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Déjantés du ciné
20 février 2008

On achève bien les chevaux de Sydney Pollack

On_ach_ve_bien_les_chevaux Réalisé par Sydney Pollack
Titre original : They shoot horses, don't they ?
Année : 1969
Origine : Etats-Unis
Durée : 130 minutes
Avec : Jane Fonda, Michael Sarrazin, Susannah York, Gig Young, Red Buttons,...


Fiche IMDB

Résumé : En pleine dépression économique, les primes des marathons de danse attirent jeunes et vieux accablés par la misère. Robert et sa partenaire Gloria dansent à en perdre la raison. Ils tiendront coûte que coûte. A moins que la mort ne les sépare...


Cet avis contient des spoilers… Pour ceux qui n’ont pas vu le film et qui n’aiment pas que des éléments leur soient révélés, il vaut mieux dans ce cas s’abstenir de lire le texte qui suit.

Cela dit, afin de bien saisir les thèmes abordés par ce film et la psychologie des personnages, il m’a semblé indispensable de révéler la fin du film.

Adaptation réussie du splendide roman de Horace MacCoy, On achève bien les chevaux est l’un des plus beaux films de Sydney Pollack, auteur de films remarquables (on peut citer par exemple Propriété interdite, 1966 ; Jeremiah Johnson, 1972 ; Les trois jours du condor, 1977 ou encore le méconnu Yakuza, 1974) mais cinéaste parfois inégal (il suffit de voir ses dernières œuvres, très décevantes et impersonnelles, même si L’interprète, son dernier film en date avec Nicole Kidman et Sean Penn, était assez intéressant).

On achève bien les chevaux nous plonge au cœur de la Grande Dépression économique des années 1930 aux Etats-Unis, suite au krach boursier de 1929. Pour survivre ou faire rêver les gens, des marathons de danse ont été organisés à travers le pays. La règle de ces épreuves est très simple : il faut danser en couple le plus longtemps possible, avec seulement des pauses de dix minutes toutes les deux heures. De nombreuses personnes s’y inscrivent, afin de décrocher la somme d’argent d’une valeur de 1500 $ attribuée au couple vainqueur, tandis que d’autres personnes s’y rendent pour profiter du spectacle, afin d’oublier leur propre misère.

Le spectateur va suivre le destin de quelques-unes de ces personnes, toutes candidates d’un marathon de danse. On peut citer tout d’abord Gloria (Jane Fonda, impressionnante), actrice et jeune femme cynique qui vient de perdre son partenaire à la suite d’une grippe de celui-ci et Robert (Michael Sarrazin, secret), jeune homme épris de liberté, qui deviendra le partenaire obligé de Gloria et sera le référent du spectateur. On pourra y croiser également  Alice (Susannah York, très émouvante), aspirante actrice elle aussi, starlette resplendissante et son partenaire Rollo (Michael Conrad), son pseudo-agent. Enfin, il y a aussi Sailor (Red Buttons, exceptionnel), marin qui commence à se faire vieux et sa partenaire Shirley, puis une jeune femme enceinte et son compagnon, père de l’enfant. Toutes ces personnes vont tenter d’aller jusqu’au bout de leurs forces, afin d’essayer de décrocher la prime qui leur permettrait de sortir de la misère.

Film intense et désespéré, On achève bien les chevaux apporte un témoignage saisissant sur ces fameux marathons de danse, véritables jeux de cirque des années 1930, qui représentent la dépression économique et morale dans laquelle était plongée les Etats-Unis à cette époque. Parabole de la condition humaine, vouée inévitablement à la tragédie, le film se déroule dans un décor unique, oppressant, véritable arène où les gens ruinés viennent assister au spectacle de la misère, afin d’oublier la leur.

La scène d’ouverture, très étrange, ne laisse pas de doute quant à la parabole, peut-être un peu trop appuyée, voulue par Pollack. Dans un paysage naturel, constitué par des plaines et des bois, un homme et un enfant (Robert ?) se lancent à la poursuite d’un cheval qui s’est enfui, visiblement épris de liberté. Pollack filme ensuite Robert errant sur une plage déserte, une voix off martelant les règles du marathon de danse. Retour sur la fuite du cheval qui finit par tomber, épuisé ; puis de nouveau plan de Robert sur la plage, avec la voix off qui continue de donner les règles du marathon. Enfin, retour sur l’enfant et l’homme, qui finit par abattre le cheval d’une balle dans la tête, réduisant ainsi à néant la quête de liberté de l’animal, mais le libérant malgré tout de sa condition de cheval d’étable.

Le personnage de Rocky (Gig Young, fabuleux), l’organisateur du marathon de danse, est un pur homme de spectacle. Véritable metteur en scène de la misère humaine, son but est de donner aux gens ce qu’ils recherchent, même s’il faut tricher. Les spectateurs du marathon de danse veulent voir d’autres personnes souffrir, pour échapper à leurs vies brisées par la crise économique. C’est pourquoi Rocky, comme il l’explique à Robert, a lui-même dérobé et déchiré la superbe robe d’Alice, qui rendait celle-ci trop resplendissante à son goût et donc pas assez misérable aux yeux des spectateurs.

Sans sa robe, Alice se retrouve totalement démunie et finit par devenir aussi sale et misérable que les autres candidats. Superficielle au début du film, dans ses rêves d’actrice et de succès, elle finit par devenir touchante par sa vulnérabilité et sa naïveté dans sa quête désespérée pour retrouver cette robe qui semble être sa seule raison de vivre. Se dégradant de plus en plus, de plus en plus sale, Alice finira par se donner à Robert par désespoir. Epuisée, s’enfonçant progressivement dans la déchéance, elle finira par devenir à moitié folle. Personne n’oubliera son regard vide, dans la scène où elle prend une douche toute habillée, après la mort de Sailor. Ce sera d’ailleurs la dernière scène où Alice, véritable épave humaine, apparaîtra, quittant le marathon (et le film) pour retourner à sa propre misère, ses rêves de starlette complètement brisés. L’interprétation très fine de Susannah York dans le rôle d’Alice, alors jeune actrice britannique que l’on a pu voir dans le célèbre Tom Jones de Tony Richardson, est tout à fait remarquable.

Pollack, utilisant au maximum le fabuleux décor conçu par Harry Horner, enferme ses personnages en huit-clos, pour les isoler du reste du monde et les montrer prisonniers de leur condition. Le rêve de succès se jouera pour tout le monde sur la piste du marathon. Les rares plans extérieurs ne seront que des mirages : on peut notamment citer la scène où Robert, lors d’une pause, regarde par la porte une plage de carte postale (une image de plage) qu’il ne parviendra sans doute jamais à atteindre. On sait qu’il le fera pourtant, puisque le film est un long flash-back et qu’au début, on voit Robert déambuler sur une plage déserte, se souvenant du marathon. Cette plage, réelle, n’est en rien celle qu’il a entrevue par la porte.

Pollack éclate en effet la narration de son film par son utilisation du flash-back, comme on l’a dit précédemment, mais aussi par l’utilisation, peu fréquente au cinéma, du flash-forward, où on peut suivre Robert, après le marathon de danse, jugé puis emprisonné. Que s’est-il donc passé ? Par ce procédé, qui crée un véritable suspense, le spectateur s’interroge ainsi sur l’issue du marathon, tout en se doutant qu’une tragédie a eu lieu.

Cependant, Pollack s’intéresse surtout à ses personnages. Sailor (Red Buttons), marin enjoué, qui a déjà participé à ces marathons, soutient tous les autres protagonistes par son expérience. Seulement, son âge avancé finira par avoir raison de sa santé et il mourra d’épuisement sur la piste de danse, lors d’un derby organisé par Rocky pour relancer l’intérêt des spectateurs du marathon. Rocky se gardera bien évidemment de révéler la mort de Sailor au public.

Pollack a d’ailleurs filmé ces scènes de derby, où les participants doivent tourner autour d’un carré délimité durant dix minutes sans interruption, avec une intensité dramatique rarement égalée. La caméra, tournant avec les candidats, agresse littéralement le spectateur, de manière physique, l’épuise et lui fait ainsi ressentir toutes les souffrances que ceux-ci endurent. Les scènes où les candidats, à bout de souffle, presque des zombies, se soutiennent comme ils peuvent, sont vraiment mémorables. N’oublions pas que les trois derniers couples sont éliminés, ce qui donne naissance à une lutte âpre et acharnée.

Le personnage de Gloria est sans doute le plus ambigu du film. Au départ cynique, presque antipathique, elle finira par opérer une mutation soudaine et inexpliquée. Insatisfaite de sa condition, rêvant de succès, à l’instar d’Alice, elle fera tout pour tenter d’empocher la prime qui lui donnerait une seconde chance. Pollack procède avec elle de la même façon qu’avec Alice. Gloria semble en effet une jeune femme endurcie au début du film, ne se laissant pas marcher sur les pieds. Très franche, elle reproche constamment à une autre jeune femme d’être enceinte, alors que celle-ci n’aura jamais les moyens d’élever cet enfant, ce qui d’ailleurs peut se défendre. Mais sa rancœur est telle que Gloria finit par faire douter cette jeune femme en cloque. Personnage obscur, elle reproche également à son partenaire Robert d’avoir céder à Alice et se vengera de lui en prenant un autre partenaire, alors qu’il n’y a pas de liens amoureux entre Gloria et Robert.

Gloria, éprise de liberté (elle ne cesse de le clamer), veut par tout moyen échapper à la misère et finit par se donner à Rocky dans l’espoir de le dominer. Pollack opère à ce moment un changement radical du comportement de Gloria. Après avoir découvert que Rocky avait finalement abusé d’elle, elle devient alors complètement démunie, laissant tomber son masque. Son regard, si âpre, si dur, dénué de la moindre émotion, se transforme et devient désespéré et fiévreux.

A cet instant, le spectateur, surpris de sa dureté au début du métrage, se rend alors compte que Gloria souffre énormément et qu’elle est aussi vulnérable. Sa quête de liberté étant sans issue, elle demandera, brisée, à Robert de l’achever, puisqu’elle n’a pas le courage de le faire elle-même, une fois qu’ils ont quitté tous deux le marathon de danse. Robert, comprenant que Gloria n’aura jamais le courage de retourner à sa condition misérable, l’exécutera d’une balle dans la tête, comme un cheval blessé. D’ailleurs, Pollack insère un plan, dès que la balle est partie, de Gloria s’effondrant dans un champ lumineux, symbole de la liberté qu’elle a tant cherchée, puis revient à la dure réalité de la vie, où des ambulanciers ramassent le corps sans vie de Gloria et où des policiers procèdent à l’arrestation de Robert. Lorsque l’un d’eux lui demande la raison de son geste, Robert, référent du spectateur, répliquera sans émotion : « On achève bien les chevaux ».

Film claustrophobique, cruel et désespéré, d’une agression physique et visuelle constante, On achève bien les chevaux est l’une des œuvres les plus marquantes des années 1960 et sans doute l’un des chefs d’œuvre de Sydney Pollack. Rarement le cinéma aura été aussi pessimiste sur la condition humaine. D’une noirceur absolue, le film reste également un témoignage remarquable sur l’organisation de ces fameux marathons de danse dans les années 1930, encore pratiqués aujourd’hui en Pologne.

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