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RENE de Alain Cavalier

France, 2002

Avec Joël Lefrançois, Nathalie Malbranche, Nathalie Grandcamp, Emmanuelle Grandcamp

FICHE IMDB

résumé : un homme décide de reprendre sa vie en main après que sa femme l'ait quitté.

Ce nouvel opus de Alain Cavalier ( Thérèse, La chamade ) oscille entre le documentaire et la fiction, ce au point d'entremêler l'un et l'autre.

Le fil narratif est lui-même ténu : la caméra suit le quotidien de René ( Joël Lefrançois), un homme bon vivant aux dimensions gargantuesques ( il accuse 155 kilos à la pesée), qui va voir sa vie basculer suite au départ de sa femme. Décidé à se reprendre en main, il entame un régime.

C'est sur cette trame liminaire que  semble se construire sous nos yeux le film de Cavalier, tant rien ne semble devoir être scénarisé.
L'impression de documentaire est accentuée par l'utilisation d'une caméra numérique filmant au plus près des personnages, multipliant les gros plans, au point de paraitre faire corps avec ceux-ci, comme en témoigne la première partie du fil où la caméra se fait subjective, épousant le point de vue de notre « héros » du quotidien, se battant aussi bien pour regagner l'amour perdu, que pour reprendre confiance en soi.

Car « René » retrace un combat au quotidien, celui qui permettra de faire peau neuve au travers du régime drastique qu'il devra s'imposer. Le film est rythmé par les pesées et les  victoires du personnage:  « chaque kilos perdu est une victoire en plus », comme lui dira Anne, son ex-femme. Cela explique l'importance des corps dans ce métrage : ceux-ci dévorent ( littéralement ) l'espace, bouchant l'horizon. Alain Cavalier semble traquer au plus près de ceux-ci la vérité ou la réalité des personnages, le corps devenant témoignage du vécu de chacun.

Celui de René, en particulier, portant les stigmates de son relâchement et de ses excès ( à l'image de ce personnage hors normes). Le film s'ouvre sur la séparation brutale de René et Anne ( celle-ci lui à laissé un mot qu'il trouve à son retour), plongeant René dans un besoin de compenser : on le voit ingurgiter une copieuse assiette de fromages, tout en relisant le billet laissé par Anne
Mais très vite René est rattrapé par des problèmes de santé, fictifs ou réels, qui vont le conduire à décider d'entamer un régime.

Ce régime n'est rien d'autre qu'un moyen de refaire peau neuve et de remettre un peu d'ordre dans sa vie pour René. Ce lui-ci, acteur dans une troupe de théâtre qui donne des spectacles pour enfants, semble vivre une crise existentielle, la fameuse crise de la quarantaine.

Au fur et à mesure que le film avance, on en découvre un peu plus sur la vie de notre « héros ». Cavalier ne donne jamais au spectateur de l'avance sur ses personnages, le film donnant réellement l'impression de saisir des tranches de vie se déroulant sous le regard de la caméra, procédé narratif qui renforce le sentiment de voir un documentaire, dans lequel la mise en scène est censé s'effacer. Si celle de cavalier est discrète, elle n'en est pas moins présente : le parti pris d'utiliser des acteurs
( même non professionnels, comme à son habitude), puisque personne ne joue sous son véritable nom, rappelle qu'il s'agit bien d'une fiction, certes réaliste, mais qui ne fait qu'épouser les traits de la réalité.

Une scène reflète bien ce point de rupture entre fiction et réalité : la scène où René, embarrassé, va demander sa part d'héritage, provoquant l'incompréhension de la mère et du frère.

La caméra jusque là « pudique », quand à l'intimité de chacun, va transgresser cette barrière, nous plongeant dans une « réalité » fictionnelle plus palpable, où la part de réalisme semble moins revendiquée, au point que la question de l'héritage est elle-même vite éludée.

Le métrage semble avoir laisser une part d'improvisation aux protagonistes, sans que l'on puisse juger de l'importance de cette même liberté, tant le filmage est serré.


Fidèle à son habitude, Cavalier filme de manière dépouillée, sans fioritures aucune, se rapprochant en cela de la méthode documentaire, que le grain de l'image semble devoir affirmer un peu plus.

L'esthétique même du film semble faire écho à la simplicité des gens qu'il met en scène, et du sujet traité. Cavalier traque sans détour la vie, le quotidien, mais un quotidien mis en scène et reconstitué.

Le filmage près des corps cherche à percer et aller au-delà de la simple réalité physique : René, s'il est indéniablement imposant et truculent, se révèle être un colosse aux pieds d'argile, touchant de naïveté infantile parfois, tant il semble prompt à s'émouvoir.
Le corps de René, au final, se révèle être une carapace contre les agressions de l'extérieur, du monde, mais une carapace fragile qui est en même temps une prison, un obstacle au bonheur, du moins le croit-il, ce qui explique le recourt au régime.

Aussi, René oscille-t-il , tout au long du film, entre joie et larmes, entre victoires et doutes, sans jamais perdre son optimisme ( la scène de tentative de suicide montre bien qu'il est trop attaché à la vie pour se donner la mort ).

Le regard de Cavalier est toujours emprunt d'empathie pour ses personnages dans ce qui se révèle une leçon d'humanisme. En effet, Cavalier ne choisit-il pas de filmer ce  que tout le monde, médias en tête, préfèrent nous cacher ? Car, si René semble inconstant en amour, s'il est immature, il n'en demeure pas moins attachant, le film de Cavalier permettant de mettre à jour la sympathie du personnage, alors que les premiers plans, si près du corps, quasiment viscéraux, nous faisant ressentir toute la pesanteur du personnage (comme pour mieux lui donner corps ), pouvaient nous en détourner.

Un autre degré de lecture nous permet d'apprécier le film pour d'autres raisons : Cavalier cherche à perdre son spectateur entre le documentaire et la fiction, soit la « réalité » mise en scène  et la pure création.

En cela, le film peut être vu comme une métaphore de la création et du rapport à la réalité.

Zola, en écrivain naturaliste ne s'inspirait-il pas de la réalité en se déplaçant pour prendre des notes sur les lieux qu'il aurait à décrire ? Cavalier semble faire de même, nous rappelant à la fois que toute fiction s'inspire du réel, et que le cinéma ( comme l'art en général )  ne doit pas oublier pour autant le monde qui l'entoure.

On pourrait même dire que dans l'oeuvre de Cavalier les rapports entre la réalité et la fiction sont encore plus intimes et complexes, tant l'un et l'autre semblent se nourrir mutuellement, pour mieux se confondre au final.

Joël Lefrançois ( déjà vu dans « Thérèse », du même Cavalier ), s'il incarne René, finit par se confondre avec lui : René est acteur dans une troupe de théâtre, comme Joël Lefrançois d'ailleurs.

L'on assiste donc à une double représentation : celle de René montant sur scène, et celle de l' acteur interprétant René.

On le voit, Alain Cavalier joue sur tous les degrés de lecture donnant à ce qui pourrait n'être qu'une tranche de vie filmée la profondeur d'une réflexion sur la création, la fiction, la réalité.

Le film pourrait se résumer à ce balancement, un balancement profondément humaniste où l'autre et sa différence sont respectés, un balancement entre le rire et les larmes où la vie en ressort célébrée de fort belle manière.