Réalisé par Sanjay Leela Bhansali
Titre international : Devdas
Année : 2002
Origine : Inde
Durée : 172 minutes
Avec : Shahrukh Khan, Aishwarya Rai, Madhuri Dixit, Kiron Kher, Smita Jaykar, Tiku Talsania,...
Résumé : Devdas, fils d’un riche propriétaire, et Paro, fille d’un voisin plus modeste, s’aiment d’un amour profond, depuis leurs jeux d'enfance innocents. Mais le père de Devdas rejette Paro à cause de leur différence de statut social. Paro se retrouve mariée à un riche propriétaire plus âgé. Devdas, désespéré, s’en va à Calcutta, traîne en mauvaise compagnie et devient alcoolique...
Présenté au festival de Cannes 2002, puis sorti ensuite dans les salles de cinéma françaises, Devdas a permis aux spectateurs français de découvrir le cinéma bollywoodien (Bollywood est en fait la contraction entre Bombay, la capitale indienne du cinéma et Hollywood), traité auparavant avec une certaine condescendance par l’intelligentsia française. En effet, à quelques exceptions près, seul l’immense Satyajit Ray, cinéaste indien intellectuel qui a construit une œuvre d’une très grande rigueur (par exemple les sublimes Le salon de musique, Charulata ou encore l’exceptionnelle trilogie d’Apu), tournée à mille lieux de Bollywood, avait eu l’honneur d’une reconnaissance internationale.
Nouvelle version d’un classique de la littérature indienne qui avait déjà connu de multiples adaptations, le film de Sanjay Leela Bhansali frappe d’emblée par son incroyable puissance visuelle et sonore. Dès les premiers plans du film, le spectateur est entraîné dans un univers foisonnant, exotique, où chaque parcelle du monumental décor brille de mille feux sur l’écran, le tout sur une merveilleuse musique indienne qui rythme et renforce chaque scène.
Incroyablement mobile, la caméra de Bhansali s’envole, légère et aérienne, suit les personnages pas à pas, furète dans les moindres coins et recoins du décor, créant un espace cinématographique à l’énergie interne incroyable, qui rappelle le faste des superproductions hollywoodiennes classiques, comme Autant en emporte le vent de Victor Fleming ou encore Cléopâtre de Mankiewicz.
Par la folle énergie et la grandiloquence de sa mise en scène, la flamboyance multicolore des costumes traditionnels, la virtuosité de ses séquences musicales, Devdas entraîne durant près de trois heures le spectateur aux confins du rêve, dans une sorte d’espace-temps purement onirique.
Dans ce décor irréel, Bhansali raconte une histoire universelle, l’amour qui lie Devdas (Sharukh Khan, très convaincant), fils d’une riche famille indienne, et son amie d’enfance Parvati, surnommée Paro (Aishwarya Rai, ex-Miss Monde 1994, époustouflante de beauté et de sensibilité), issue d’une famille de rang inférieur, et que la différence de rang social rend impossible.
Clairement divisé en deux parties, Devdas impressionne par son rythme endiablé et ses excès. La première partie s’intéresse au jeu de séduction qui s’établit entre Devdas et Paro, amis d’enfance qui se découvrent amoureux. Toutes les scènes entre eux sont d’une naïveté touchante, jamais cyniques, de la préservation du feu de la bougie (représentant l’amour brûlant entre Devdas et Paro) tenue par Paro aux séquences follement sensuelles où nos deux tourtereaux se caressent au bord du fleuve, en passant par le rôle de révélateur de la lune éclairant le visage de Paro (c’est en effet à ce moment-là que Devdas comprend qu’il est amoureux de Paro). D’ailleurs, le film se réfère sans cesse à la légende (très connue en Inde) de Radha la lumineuse (représentée par Paro) et Krishna le sombre (personnifié par Devdas), symbole de l’histoire d’amour absolue qui lie nos deux héros, d’autant que Radha, dans la mythologie indienne, dut subir la douloureuse épreuve de la séparation, comme la vivront Paro et Devdas.
Ce bonheur sera effectivement de courte durée, le système des castes étant indétrônable. A partir de l’instant où la mère de Paro, éconduite par la famille de Devdas, lance une malédiction sur le jeune homme, le film de Bhansali devient beaucoup plus sombre et creuse plus profondément les comportements des personnages. Bien que Devdas s’oppose farouchement à son père, conservateur et garant des valeurs traditionnelles, respectant le système social, il finit par renoncer à Paro, par lâcheté. Paro, désespérée, finit par se marier à un homme riche de rang supérieur à Devdas, poussée par la volonté de vengeance de sa mère.
C’est alors que peut commencer la deuxième partie, qui va s’intéresser à la déchéance de Devdas dans les bas-fonds de Calcutta et sa chute dans l’alcoolisme. Les décors demeurent tout aussi chatoyants, mais l’atmosphère devient plus pesante, plus fataliste. Le récit va alors introduire un troisième personnage principal, la belle courtisane Chandramukhi (Madhuri Dixit, frémissante), qui danse dans le bordel où va échouer Devdas. Alors que celui-ci ne pense qu’à Paro et noie son chagrin dans l’oisiveté et l’alcool, Chandramukhi, émue par l’état du jeune homme, va tomber amoureuse de lui. Une deuxième histoire d’amour impossible entre Chandramukhi et Devdas se greffe donc à celle, avortée, entre Devdas et Paro, les deux histoires d’amour s’entremêlant et emmenant le film vers une double tragédie.
La mise en scène de Bhansali se resserre alors autour des trois héros du film, les enfermant dans leurs milieux respectifs, sans leur laisser une porte de sortie : Paro reste figée dans la demeure immense et sans vie d’un mari indifférent et vivant encore dans le souvenir de sa première épouse décédée, tandis que Devdas s’enferme dans sa souffrance, rongé par l’alcool et la culpabilité de n’avoir pu s’opposer à son père (ce rapport haineux au père revient tout au long du film, culminant dans la séquence où Devdas, complètement ivre, se rend aux funérailles de son père, en éructant des horreurs qu’il n’avait pu prononcées lorsque son père était vivant), et que Chandramukhi, malgré toute l’attention et la tendresse qu’elle porte à Devdas, ne reçoit qu’indifférence et mépris de la part de celui-ci.
L’une des grandes idées de Bhansali est d’avoir exprimé la dégradation de Devdas par ses yeux, qui se teintent progressivement de sang. Par ce moyen inédit, le spectateur ressent presque physiquement la descente aux enfers de Devdas, les ravages de l’alcool sur son corps ainsi que son immense douleur. Les yeux de Devdas, de plus en plus fiévreux, traduisent très justement sa déchéance physique et morale, la vie qui s’échappe au fur et à mesure de son corps et l’annonce inéluctable de sa mort.
Comme dans tout bon film bollywoodien, les séquences chantées et dansées participent pleinement à la dramatisation du métrage. Minutieusement chorégraphiées, elles retranscrivent de manière très physique l’état d’esprit des personnages. Elles se rapprochent ainsi des comédies musicales hollywoodiennes de Vincente Minnelli, de Stanley Donen ou de George Cukor, dans lesquelles les scènes musicales ne se réduisaient pas à du remplissage mais traduisaient ce que ressentaient les héros.
Clous du spectacle, les scènes musicales de Devdas sont un véritable festival des sens. De la superbe première séquence, où Paro exprime son amour pour Devdas à la dernière, où Devdas et ses compagnons de beuverie entonnent une danse improvisée dans les rues de Calcutta, en passant par la scène des grelots de Chandramukhi ou celle, sublime, qui réunit Paro et Chandramukhi (au rythme de la chanson Dola re), les plaçant ainsi à égalité (alors que Chandramukhi est de rang très inférieur à Paro, puisqu'elle est une courtisane), toutes entraînent le spectateur dans un maelström de mouvements, de rythme et de musique, d’une grâce infinie, tout en concrétisant les sentiments qui animent les protagonistes.
La dernière scène du film, déchirante, joue sur un montage parallèle particulièrement efficace entre l’agonie de Devdas aux portes de la demeure de Paro (tenant ainsi la promesse qu’il avait faite à Paro, à savoir venir mourir devant sa maison) et la course désespérée de Paro (condamnée par son époux à ne plus sortir de sa demeure) se terminant devant une porte fermée. N’ayant pas honte du mélodrame, Bhansali multiplie les plans en plongée exprimant l’écrasement des personnages et la fatalité du destin, ne reculant devant aucun excès. Au grand dam du spectateur, les deux amants ne pourront se réunir, l’un achevant sa destinée dans la mort et l’autre restant prisonnière à jamais de sa somptueuse demeure.
Introduction parfaite à la richesse du cinéma bollywoodien, Devdas est à la fois un fascinant livre d’images, une somptueuse histoire d’amour à trois et un puissant mélodrame à l’ancienne. L’ampleur de la mise en scène de Bhansali achève de séduire le spectateur, le menant dans un espace irréel brillant de mille couleurs aux confins du rêve. On pourra regretter que le réalisateur n’ait pas insisté plus profondément sur l’injustice du système des castes (qui est tout de même la véritable cause du drame) et qu’il ait un peu laissé de côté l’aspect social (les bas-fonds de Calcutta n’ont en effet rien de réaliste), mais ce n’est pas grand chose à côté de la jubilation que provoque le spectacle, véritable concentré d’émotions, dont les excès et la splendeur picturale n’en finissent pas de fasciner, laissant un parfum délicieux se répandre autour du spectateur et qui demeure longtemps après la vision du film.
La bande annonce en VO
Merci beaucoup