MIDORI de Hiroshi Harada , 1992
origine: japon
durée du film : 55 minutes
musique : J.A. Seazer
résumé : Midori, jeune orpheline de 12 ans, est recueillie par le directeur d'un cirque ambulant peuplé de monstres de foire. Soumise à leurs perversions, elle sera sauvé par l'arrivée de Wonder Masanitsu.
Le film de Hiroshi Harada est l'adaptation du manga Mr. Harashi's Amazing Freak Show de Suehiro Maruo, un artiste que les fans de John Zorn connaissent peut être puisqu'il a travaillé sur des pochettes de Naked City.
Suehiro Maruo est , à l'heure actuelle, considéré comme l'un des maitre du EroGuro ( érotico-grotesque), genre dont on attribue la paternité à Edogawa Rampo, romancier, auteur de la bête aveugle. L' EroGuro mêle l'érotisme à des éléments macabres et cruels.
Certains de ces artistes se déclarent volontiers inspirés par Georges Bataille et Sade.
Le film surprend par ses diverses techniques de dessins employées : en effet l'animé « traditionnel » de type télévisuel, grand public, côtoie des images gores à l'érotisme qui ne sont pas sans rappeler les hentaï pour le gout affiché pour les corps difformes.
Les premières images, quand à elles, sont directement inspirées d'estampes traditionnelles.
L'utilisation de ces divers styles peut s'expliquer tout d'abord par les études de calligraphies du réalisateur, lui-même passionné d'images. Nous verrons par la suite qu'elle sert un tout autre propos.
Le film est découpé en quatre parties délimitées par des intertitres :
prologue: Midori se rend chez les forains.
Chant premier : patience et soumission.
Chant deuxième: un nain surgit de la nuit.
Chant dernier: sous les cerisiers en fleurs.
Le découpage en chant accentue le côté dramatique du film pour l'ériger en véritable tragédie, ce qu'il est réellement.
Le film suit Midori, jeune fille de 12 ans qui devient subitement orpheline. Croyant avoir rencontré un protecteur en la personne d'un directeur de cirque ambulant, elle se rend auprès de lui. Or le cirque est peuplé de personnages monstrueux dont elle deviendra l'esclave sexuelle, subissant les humiliations les plus extrêmes. Un beau jour, un nain, hypnotiseur et magicien, rejoint la troupe et se prend d'affection pour Midori. Il devient son protecteur et lui propose le mariage. Mais le nain, malgré son amour indéfectible, cache un terrible secret.
Le film semble devoir nous conduire au plus profond de l'horreur, les scènes devenant de plus en plus extrêmes, voir gore, en fonction que le métrage avance.
Il commence malgré tout dans le Tokyo des années 50, où chacun essaie de vivre d'expédients, l'économie japonaise étant ruinée suite à la guerre. C'est dans ce cadre là que nous rencontrons Midori, jeune vendeuse de camélias, obligée d'errer dans les mauvais quartiers pour nourrir sa mère malade.
L'animation, dans cette première partie, est classique, presque lisse, de type volontairement télévisuel dira Hiroshi Harada. En effet, celui-ci, conscient du caractère transgressif de son oeuvre, a préférer utiliser cette imagerie aussi bien pour tromper la censure que pour pervertir un mode d'expression trop policé.
En cela, le prologue est une introduction en douceur dans l'univers de Midori. Seule la découverte de la mère décédée et à demi dévorée par les rats sera le premier élément de rupture avec une imagerie grand publique. Cet élément en augure de bien pire. Désoeuvrée, la jeune Midori, se rend chez le mystérieux homme qui voulais la protéger quand elle vendait des fleurs. Celui-ci se révèle être le directeur d'un cirque ambulant peuplé par des monstres de foire.
Là-bas, Midori deviendra leur esclave, sera soumise à toutes leurs perversions.
L'esthétique devient ici, dans ce premier chant, volontairement plus grand-guignolesque, confinant parfois au gore le plus pervers, l'horreur étant ici teinté d'érotisme débridé, un érotisme mâtiné de sadisme à la cruauté brute.
Les monstres peuplant et faisant vivre le cirque relèvent du cauchemar surréaliste tant l'imaginaire semble fertile : un homme tronc rampant au sol comme un serpent côtoie un colosse tatoué et borgne, un autre semble défiguré et a le visage couvert de bandelettes, un autre est un être androgyne. L'hommage au grand-guignol est donc bien présent à travers le luxe de détails et l'exagération gore rendue malsaine par sa teneur sadique et sexuelle.
Il faut se rappeler que l'origine même du grand guignol vient du théâtre, ce qui explique la théâtralisation des faits dans le film, mais aussi le fait que cela se déroule dans un cirque, espace où tout est propice à l'illusion et la représentation.
Le film, comme le manga dont il est tiré, ne nous épargne aucune scène de violence, aucune perversion, semblant se complaire à les exagérer même pour faire naitre le malaise.
Aussi voit-on une Midori horrifiée assister, avant d'en devenir l'objet, aux orgies infernales de ses « compagnons ».
La plongée dans l'horreur est totale, Midori étant soumise à toutes formes de sévices physiques et mentaux.
C'est l'arrivée de Wonder Masanitsu qui va changer le cours des choses pour la troupe, sur le déclin, et pour notre héroïne. En effet, Masanitsu, nain doué d'un pouvoir d'hypnotiseur hors du commun, va se prendre d'affection pour elle et lui apporter sa protection, et lui proposer le mariage.
Dès lors, le style du film s'apaise, l'atmosphère devenant plus propice à la poésie. Les graphisme se font plus conventionnels, soulignant la romance naissante.
Celle-ci est vite perturbée par une colère de Masanitsu, en pleine représentation, colère qui le conduit à déchainer sa magie à la puissance surnaturelle : les corps des spectateurs vont se tordre, se transformer, devenant horribles et grimaçants comme les représentations de démons dans les estampes, certains allant jusqu'à éclater littéralement dans des geysers de sang ( digne de films de sabre). Midori, qui semblait connaitre l'apaisement enfin, s'aperçoit donc que le danger rôde toujours autour d'elle, et qu'elle ne peut pas faire confiance aux apparences.
Masanitsu, nain d'apparence guillerette, prend alors des allures inquiétantes, son étrange sourire devenant une grimace ricanante.
Malgré cela, l'amour de celui-ci pour Midori sera sans faille, et ils partent tout deux, réalisant un rêve de bonheur qui pouvait sembler inaccessible il y a peu encore.
Mais la mort rôde, et c'est un simple voleur qui ôtera tout espoir à Midori en tuant Masanitsu au détour d'une ruelle.
Le film est profondément noir, et tout espoir est vite annihilé, ne laissant aucun chance à nos protagonistes. Ceux-là même qui passaient pour des monstres, et martyrisaient Midori, s'humanisent, rendant leurs perversions plus extrêmes encore.
La notion de perversion semble d'ailleurs cruciale dans le film, celle étalée dans les jeux cruels de domination, mais aussi, et surtout, celle des images, comme l'a désiré le réalisateur.
En effet, l'aspect hautement transgressif du manga, lui-même sous le coup de la censure, a été vontairement enrobé d'images plus classiques, afin de tromper cette même censure, mais aussi pour « éduquer » à la laideur la jeunesse nippone.
Cette diversité de style de dessins permet également une autre lecture du film, suggérer par l'une des dernières scènes du film : après la mort de Masanitsu, Midori sera prise d'une folie meurtrière, hurlant sa volonté de tuer. La phrase qui suit est sans équivoque : les larmes de la mères pleurent la gorge qui tombe, faisant penser que Midori est schizophrène, ses cauchemars étant des délires visuels qui ne seraient que la projection de ses propres pulsions meurtrières, de ses propres pulsions sexuelles refoulées à cause de leur violence.
Au-delà de cette lecture, on peut également considérer que la vie de Midori est une métaphore de la société japonaise, alors en quête de nouveau repères et en reconstruction, une société qui à souffert des illusions ( le fascisme, symbolisé ici par la cruauté, la violence), et qui à couru à sa propre perte. Midori devenant le symbole d'une génération sacrifiée.
Midori, qui vendait des camélias, fait comme la petite vendeuse d'allumettes: elle s'enferme dans ses souvenirs et ses rêves, avant d'être réveillée brutalement par une réalité cruelle qui lui semble inhumaine
Midori est une oeuvre déroutante à l'esthétique foisonnante, un cauchemar cruel, mais avant tout une oeuvre passionnante.