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Déjantés du ciné
25 avril 2008

Free zone de Amos Gitaï

Free_zone Réalisé par Amos Gitaï
Titre international : Free zone
Année : 2005
Origine : Israël
Durée : 90 minutes
Avec : Natalie Portman, Hana Laszlo, Hiam Abbass, Carmen Maura, Makram Khoury, Aki Avni,...

Fiche IMDB

Résumé : A la suite d'un concours de circonstances, deux femmes sont amenées à se rencontrer. A cause d'une bagarre avec sa belle-mère, Rebecca fuit l'hôtel dans lequel elle était domiciliée. Embarquant dans un taxi, elle rencontre Hanna. Elle arrive à convaincre cette dernière de l'emmener avec elle hors d'Israël, jusqu'à la Free zone.


Le grand cinéaste israélien Amos Gitaï a consacré toute son œuvre cinématographique (que cela soit ses célèbres films documentaires comme le passionnant Wadi grand canyon, ou ses films de fiction comme les excellents Devarim, Kippour ou encore Kedma) au conflit israélo-palestinien et ses funestes conséquences sur les destins individuels. Son dernier long-métrage en date, le très beau Désengagement, sorti au cinéma en 2008, traite une nouvelle fois de cette thématique, en décrivant de manière directe le retrait des troupes israéliennes de la fameuse bande de Gaza.

Réalisé en 2005, juste après l'extraordinaire Terre promise, peut-être le film de fiction de Gitaï le plus achevé à ce jour, qui était un constat sans concession d'un capitalisme marchand (dans le film, la prostitution féminine) et invisible qui passait par-dessus les frontières et une dénonciation impitoyable de la prostitution des filles de l'est, présenté au festival de Cannes la même année, Free zone est un film sans doute moins abouti, mais dont la sincérité pétrie d'humanisme et la maîtrise formelle sont indéniables. 

La première séquence est absolument inoubliable : une jeune femme prénommée Rebecca (admirablement interprétée par l’actrice américaine d’origine israélienne Natalie Portman, bien connue du public), pleure toute les larmes de son cœur, assise à l'arrière d'une voiture garée quelque part en Israël, devant le Mur des Lamentations, dans un plan quasiment fixe d'une durée impressionnante, rythmé par la superbe chanson « Ha Gadia » d'Hava Alberstein (chanson allégorique sur le cycle infernal et sans fin de la violence à laquelle répond une autre violence, de la construction et de la destruction permanentes des espoirs) et qui oblige le spectateur à regarder en face les terribles conséquences de cette guerre incessante sur le destin de personnes qui n’arrivent pas à trouver leur place, coincé dans un conflit qui semble éternel et sans solution.

Après ce plan d'une puissance émotionnelle exceptionnelle, extrêmement douloureux, Free zone, filmé presqu’entièrement en longs plans-séquence fluides (comme les affectionne Gitaï, par exemple dans son formidable Alila), va suivre le trajet de trois femmes vers la mystérieuse Free Zone, située aux confins des frontières jordanienne, irakienne et saoudienne : Rebecca donc, jeune américaine d'origine juive et double fictif du cinéaste, Hanna (magnifiquement incarnée par Hana Laszlo), israélienne et Leila (Hiam Abbass, une révélation qu’on a pu revoir dans la première séquence, très symbolique, de Désengagement, dernier film en date de Gitaï).

Gitaï, par le biais du road movie, un peu à l'instar du grand cinéaste iranien Abbas Kiarostami (auteur entre autres des sublimes Close-up et Au travers des oliviers) avec sa célèbre voiture-caméra utilisée notamment dans Et la vie continue, Le goût de la cerise ou encore Ten, va en fait proposer une réflexion passionnante sur la notion-même de frontière, que ces frontières soient physiques ou mentales, et qu'il faudrait essayer de briser.

Free zone est un film fragmenté, éclaté, comme le sont ces trois femmes, à cheval entre leurs histoires individuelles et l'Histoire collective qui les lient toutes les trois, où passé et présent se superposent jusqu’à devenir indiscernables, ce qui s’exprime par toutes ces superpositions de plans qui, loin d'être gratuites, inscrivent tout simplement le film dans la Mémoire (une thématique chère à Gitaï), cette mémoire apparaissant également par l’utilisation des flashbacks (la scène où le mari de Hanna est blessé par une explosion) et surtout des plans-séquence qui relient les trois mémoires individuelles, fragmentées, des trois héroïnes en une seule et même mémoire collective.

Car c'est bien de cette Mémoire commune qu'il s'agit, cette mémoire qui n'en finit plus d'alimenter le cycle absurde de la violence, la séparation séculaire des israéliens et des palestiniens, et d'empoisonner l'existence des hommes, qu'ils soient d'ailleurs israéliens ou palestiniens (thème déjà évoqué dans le superbe Kedma).

Entre documentaire et fiction, Free zone fait justement exploser cette frontière par le biais du cinéma, en tentant de briser les barrières physiques, culturelles et psychologiques des personnages.

Il en résulte un film d'une très grande fluidité qui essaie de recoller les morceaux malgré les cassures, constamment pris entre deux frontières que rien hélas ne pourra détruire. Ce clivage est évidemment symbolisé par l'entente puis la mésentente entre Hanna et Leila, qui finit par refaire surface.

A tout moment pourtant, le spectateur espère que cette tension séculaire pourra tomber : cet espoir possible se traduit  notamment par la belle scène du changement de la roue du véhicule de Hanna, ou encore par celle où Rebecca, Leila et Hanna entonnent toutes les trois, à l’unisson, une chanson qui passe à la radio, mais le cycle infernal de la mémoire ou plutôt des mémoires, trop intimement liées à l’histoire individuelle de Leila et Hanna, reprendra toujours le dessus (la belle et terrible séquence finale où, sur la chanson du début « Ha Gadia », Hanna et Leila recommencent à s'opposer).

Face à cela, en dépit du regard porteur d’espoir de Rebecca (donc de Gitaï), il semble donc que le conflit israélo-palestinien ne pourra s'arrêter (la belle scène de la palmeraie en flamme), les violences répondant inexorablement aux violences, la vengeance à la vengeance. Une seule solution se présente alors pour Rebecca : sortir de la voiture (voiture-monde qui réunit les trois héroïnes), donc du conflit et fuir, fuir à tout prix. Dépasser ces frontières, même si ce n'est qu'une illusion. Disparaître dans le flou, comme dans le dernier plan du film ; se fondre à jamais dans la Nature, seul refuge possible.

D’une grande force évocatrice et émotionnelle, Free zone est un film très riche, pétri d'humanité et ouvertement pacifiste, qui est aussi une quête de soi au-delà des frontières et le rêve utopique d'une terre sans frontière, mais également le constat impuissant de l'impossibilité à le réaliser. Le prix d'interprétation obtenu par Hana Laszlo au festival de Cannes 2005 aurait sans doute mieux fait de récompenser les trois actrices, qui livrent chacune une prestation absolument magnifique. Ce n’est sans doute pas le film le plus abouti de Gitaï, mais c’est une œuvre passionnante et indispensable de la brillante filmographie du cinéaste israélien, à découvrir au plus vite si ce n’est déjà fait.

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