lesoldatdieu4Titre du film : Le soldat dieu

Titre international : Caterpillar

Réalisateur : Koji Wakamatsu

Année : 2010

Origine : Japon

Durée du film : 87 minutes

Avec : Shinobu Terajima (Shigeko Kurokawa), Shima Ohnishi (le lieutenant Kyuzo Kurokawa), Ken Yoshizawa (Kenzo Kurokawa), etc.

FICHE IMDB

Résumé : Durant la deuxième guerre sino-japonaise, un lieutenant japonais revient chez lui en héros, mais privé de ses bras et de ses jambes.


Avec Le soldat dieu, le réalisateur japonais Koji Wakamatsu évoque le retour parmi les siens en 1940 du lieutenant japonais Kyuzo Kurokawa, revenu de la guerre sino-japonaise avec des médailles mais ayant perdu tant ses bras que ses jambes. Le film va t-il être à l'image du sublime Johnny got his gun (1971) de Donald Trumbo un film sur la condition d'un homme qui a perdu son corps à la guerre et qui n'a plus que son cerveau pour se rappeler sa vie d'antan ?

Pas vraiment. Les films sont tous les deux clairement anti-guerre et évoquent tous deux la situation d'un homme fortement handicapé, mais le parallèle s'arrête là.

Car si Johnny got his gun se caractérise par un humanisme certain, cela n'est pas le cas du film de Wakamatsu.

Il faut bien prendre en compte l'idée que cette expression de soldat-dieu n'a rien d'honorable aux yeux du cinéaste. Elle renvoie en fait à un nationalisme exacerbé où l'Empire du Japon est présenté comme la nation de Dieu. De la sorte, en étant glorifié par ses compatriotes, le lieutenant Kurokawa devient un soldat dieu.

Mais ce soldat dieu ne comporte rien d'admirable. Il est de prime abord le symbole du machisme ambiant de l'époque. Cet homme-tronc ne peut plus que manger et dormir. Pour autant, il continue d'exprimer – à coups de grognements, puisqu'il n'arrive plus à parler – ses envies à son épouse. Sa femme, Shigeko, bien que constatant que son mari soit devenu une « chose », continue d'être sous son emprise. Et tout participe à ce qu'elle soit sous sa coupe : le lieutenant Kyuzo Kurokawa est le soldat-dieu par son uniforme, ses médailles et la coupure du journal où son courage a été mis en valeur.

Seulement, le réalisateur a la bonne idée de montrer qu'en temps de guerre, les rapports de force ne sont plus les mêmes, a fortiori quand on est fortement handicapé. Shigeko en vient progressivement à se venger. Elle se plaît d'une part à faire sortir dehors ce soldat dieu (qui se sent humilié d'être devenu un morceau de chair, ne pouvant quasiment rien faire de lui-même) et d'autre part à refuser parfois de faire l'amour avec son mari. La relation que Shigeko a avec son époux est d'ailleurs plus une relation de chair, qui ne lui apporte aucune satisfaction.

En se révoltant, thématique chère à Wakamatsu, Shigeko s'émancipe quelque peu. Elle refuse ainsi d'être simplement au service du Japon. Elle veut vivre pour elle.

Le Japon perd donc dans cette affaire une femme acquise à sa cause. Pour en arriver là, Shigeko a dû faire un gros travail sur elle car les éléments de propagande à cette époque étaient alors omniprésents. Dans le film, on voit par exemple qu'il y a une propagande de tous les instants qui est véhiculée par le média présent partout à l'époque, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, à savoir la radio. Dans la mesure où la radio n'est pas comme la télévision un mélange d'images et de son mais elle relate uniquement du son, elle permet de raconter dans le cas présent des choses erronées. Du coup, tout le monde ou presque se met à la cause de l'Empire.

Il y a aussi une propagande par le fait que chaque foyer a chez lui une photographie de l'Empereur du Japon et de son épouse. Les japonais sont donc amenés à se raccrocher à un nationalisme que l'on pourrait considérer de pacotille. Car dans tout ça, que fait l'Empereur pour les siens ? Le cas de la famille Kurokawa est symptomatique. La jeune femme travaille durement dans les rizières et doit s'occuper de son mari. Malgré tout, elle ne peut pas manger à sa faim, la pension de guerre de son époux étant manifestement assez faible.

Cet homme, le lieutenant Kurokawa, est in fine le symbole d'un Japon en pleine déconfiture. Son suicide coïncide d'ailleurs avec la fin de la guerre marquée par la capitulation de l'empire du Japon le 15 août 1945.

Du début à la fin du film, la guerre est vilipendée par son inutilité. Pourquoi avoir combattu ? Le simplet du village n'est-il pas celui qui a raison – c'est dire le manque de bon sens d'un Japon belliqueux – lorsqu'il parodie les personnages qui s'entraînent à combattre ou lorsqu'ils font des représentations bien pompeuses, pour rendre gloire aux Japonais partant à la guerre. On remarquera au passage que la seule préoccupation de Shigeko est de savoir que la guerre est finie. Peu importe l'identité du vainqueur.

Car dans cette guerre sino-japonaise, qui s'est étendue étendue au niveau mondial pour le Japon, il n'y a pas de quoi pavoiser. Les pertes humaines ont été très nombreuses. On notera  à cet effet que ce n'est pas un hasard si Wakamatsu ne fustige jamais la position des Etats-Unis (entrés en guerre en 1941 suite à l'attaque de Pearl Harbor par le Japon) qui ont tout de même envoyé par deux fois la bombe atomique sur le Japon : une première fois à Hiroshimi, causant 140 000 morts, et une deuxième fois à Nagasaki, causant 70 000 morts. Wakamatsu remet en cause en fait l'obstination du gouvernement japonais qui coûte cher en vies humaines.

Comme de nombreux autres cinéastes japonais, Wakamatsu rappelle le traumatisme de la deuxième guerre mondiale et principalement de la bombe atomique qui a marqué les générations suivantes. Ce n'est pas anodin si la dernière image du film est celle de la bombe atomique.

Le film prend d'autant plus de poids et de signification qu'il contient plusieurs images d'archives, obtenues notamment auprès des archives nationales des Etats-Unis.

Après un tel film, on ressort vidé mais satisfait d'avoir assisté à une œuvre majeure. Car si le film est parfaitement mis en scène et donne lieu à une histoire forte, les acteurs sont également pour beaucoup dans la réussite du film.

Shima Ohnishi est excellent dans le rôle difficile du lieutenant Kurokawa. L'acteur exprime parfaitement les besoins primaires de cet homme et ses doutes quand il repense à ce qu'il a fait pendant la guerre. Il faut voir que Wakamatsu n'a aucune compassion envers ce personnage du soldat dieu. En effet, au vu de ses cauchemars, on comprend que cet homme-tronc a profité de la guerre pour commettre des actes irréparables, notamment un viol. Ce viol, qui revient plusieurs fois pendant le film, donne lieu au début à un raccord audacieux. On a ainsi les images d'archives d'une ville qui brûle qui sont suivies d' une ville mise à feu à sang, avec une femme violée.

Quant au personnage de Shigeko, il est joué admirablement par Shinobu Terjima qui passe par une multitude d'états tout au long du film. Son ours d'argent de la meilleure actrice obtenu au festival de Berlin est donc totalement mérité.

En conclusion, Wakamatsu réalise avec Le soldat-dieu un film extrêmement abouti qui  se révèle un formidable plaidoyer contre la guerre. Dans un style très sec et sans concession, le cinéaste en profite également pour s'insurger contre une société japonaise des années 40 alors rétrograde, tant par son nationalisme exacerbé que dans les relations entre hommes et femmes.