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Déjantés du ciné
30 janvier 2011

C'est Gradiva qui vous appelle d'Alain Robbe-Grillet

gradiva

Date de sortie cinéma : 9 mai 2007

Réalisé par Alain Robbe-Grillet
Avec : Arielle Dombasle, James Wilby, Marie Espinosa
Long-métrage français
Durée : 01h50min

Fiche IMDB

Synopsis : Historien d'art, John Locke s'installe dans les ruines d'un ancien palace situé près de Marrakech. Là, il travaille à la rédaction d'un livre sur l'orientalisme pictural.

 

Alain Robbe-Grillet, surtout connu comme étant «  le pape du nouveau roman », est aussi un cinéaste de renom, et, quand il ne réalise pas lui-même, ses collaboration marquent l'histoire du cinéma : avec Alain Resnais, notamment, pour « l'année dernière à Marienbad », œuvre envoutante et complexe qui pourrait à elle seule illustrer le style propre à Robbe-Grillet.

En effet, le nouveau roman, qui se proposait de repousser les conventions du roman traditionnel se proposait d'être un art conscient de lui-même, où les notions de narrateurs et personnages étaient constamment remises en question par les interrogations suivantes : quelle est la place du narrateur ? Pourquoi raconte t il et écrit il ?

Le cours même de la narration se voyait lui-même profondément remis en question pour répondre à une logique plus proche du cours d'une réflexion : tour à tour structurée et tour à tour soumise aux logiques du rêve et du fantasme.

De plus, Robbe-Grillet, tout comme sa femme,  la romancière Catherine Robbe-Grillet, dont le nom de plume est Jeanne de Berg, est fasciné et adepte du sadomasochisme, ce qui influencera ses films.

« C'est Gradiva qui vous appelle » ne déroge pas à la règle. Nous avons bien affaire à un film « érotique », mais nimbé d'un mystère et d'une esthétique sans comparaison.

 

Fétichiste en diable, Robbe-Grillet semble l'être jusqu'au soin méticuleux apporté à la réalisation de chaque plan qu'il tourne. Œuvre foisonnante, Gradiva n'a de cesse d'osciller entre rêve, réalité et fantasmes pour, au final, mieux interroger le sens de la création.

En témoigne deux personnages clé du film : John Locke, le héros, écrivain, perdu dans un Marrakech fantasmatique et fantomatique, historien de l'art, amateur des peintures orientalistes et de Delacroix en particulier, et Laïla/Gradiva ( interprétées par Arielle Dombasle) jeune femme écrivant à ses heures perdues.

L'écriture semble rapidement influencer sur le cours de la réalité, du moins pour Laïla dont l'écriture semble devenir la réalité de sa vie comme de celle de John Locke, quand celui-ci semble être la proie de ses fantasmes dont les visions cruelles semblent se nourrir des peintures de Delacroix justement.

On le voit, tout au long du film, la réalité sera bien mise à mal, le tout partant du postulat qu'un souvenir peut n’être qu'un fantasme ou un rêve, ou en tout cas être fortement influencé par ces derniers.

Le métrage n'aura de cesse de poser la question de la « réalité » du fantasme comme du rêve ou de l'imagination; le point d'orgue de cette interrogation étant l'affirmation de Laïla, à l'une de ses amies, alors qu'elle écrit : « ce que j'écris est la réalité, mais je l'invente. »

 

Si Robbe-Grillet convoque Delacroix pour l’esthétique de certains plans, il ne s'arrête pas là : on pourrait tour à tour reconnaître Sade, Georges Bataille voir Pasolini, Lynch et Brisseaux pour l'aspect purement cinématographique.

L'érotisme se donne à voir, jusque dans ses plus grands excès aussi fantasmatiques soient ils : on pense à Salo de Pasolini pour les scènes de tortures en huis-clos, le discours politique en moins, car n'ayant pas sa place dans le film. Ici, les sévices ne sont pas évoqués comme étant des témoignages d'une position sociale quelconque, mais tirent plutôt leur origine d'un fantasme « orientaliste » dont Bataille ( dans les larmes d'éros)  et Octave Mirbeau ( dans le Jardin des supplices) se sont fait l'écho en leur temps.

Déjà leurs travaux témoignaient, plus que d'une réelle connaissance du monde oriental, et de l'Asie en particulier, certes d'un grand intérêt de la part de leurs auteurs, mais offraient surtout des visions très personnelles au point de ne devenir que des représentations. Il est toutefois à prendre en considération que ces représentations ne sont pas simplement dûes à une perception ethnocentrique d'une civilisation méconnue, mais plutôt comme une projection fantasmatique, propice à la création.

L'exagération et le simulacre n'étant que des moyens de susciter l'attention.

La référence appuyée à Delacroix ne trompe d'ailleurs pas : il ne s'agit que d'un reflet des choses. Le mendiant, qui conduira Locke dans ses recherches n'en fera pas grand mystère non plus : Marrakech est une ville touristique et le mystère entourant les prétendus supplices orientaux n'est peut être entretenu qu'à cet effet, et réservé à une clientèle interlope, toutefois bien existante.

À ce titre, le guide joue un peu le rôle d'un passeur, à l'instar de certains personnages Lynchien, dont le rôle est de nous faire pénétrer de l’autre côté du miroir en prenant conscience de la dualité de la « réalité », si toutefois la notion de réalité peut avoir quelque sens dans l'espace cinématographique.

Le film de Robbe-Grillet se déroule donc comme un rêve éveillé, à ceci près que les éléments fantasmés seraient conçus sciemment pour provoquer le rêve et la réalisation de fantasmes, tout en gardant à l'esprit que rien n'est réel, comme le souligne le guide évoqué précédemment, un rêve éveillé où tout se construit et se déconstruit au fil de la plume de Laïla, ou des fantasmes de John, Marrakech apparaissant plus comme une scène, au sens théâtral du terme, que comme une ville bien réelle.

Le scénario, certes complexe à souhait, entretient un suspens aussi ténébreux que les tableaux de Delacroix, et est soutenu par une mise en scène tortueuse, comme en témoignent les nombreux flash-back, ou simples digressions fantasmatiques, faisant du film une expérience mentale à part entière au cœur des fantasmes et de la création.

En effet, le processus créatif et les question qu'il soulève ne sont jamais loin du travail de Alain Robbe-Grillet, qu'il agisse en qualité d'écrivain ou de réalisateur : la réalité est elle encore sa place dans la fiction et la création ? En quoi une réalité crée est-elle moins forte que la réalité ? Quelle est la part de fantasmes dans l’œuvre crée 

Jouissant d'une esthétique irréprochable, le film s'avère être une entrée en matière passionnante dans l'univers foisonnant de Alain Robbe-Grillet.

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