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Déjantés du ciné
3 avril 2013

Berberian sound studio de Peter Strickland

berberian

Titre du film : Berberian soud studio

Réalisateur : Peter Strickland

Année : 2013

Nationalité : Britannique

Durée : 1h34

Avec : Toby Jones, Cosimo Fusco, Eugenia Caruso

Genre : Epouvante-horreur

FICHE IMDB

Synopsis : 1976 : Berberian Sound Studio est l'un des studios de postproduction les moins chers et les plus miteux d'Italie. Seuls les films d'horreur les plus sordides y font appel pour le montage et le mixage de leur bande sonore. Gilderoy, un ingénieur du son naïf et introverti tout droit débarqué d'Angleterre, est chargé d'orchestrer le mixage du dernier film de Santini, le maestro de l'horreur. Laissant derrière lui l'atmosphère bon enfant du documentaire britannique, Gilderoy se retrouve plongé dans l'univers inconnu des films d'exploitation, pris dans un milieu hostile, entre actrices grinçantes, techniciens capricieux et bureaucrates récalcitrants. À mesure que les actrices se succèdent pour enregistrer une litanie de hurlements stridents, et que d'innocents légumes périssent sous les coups répétés de couteaux et de machettes destinés aux bruitages, Gilderoy doit affronter ses propres démons afin de ne pas sombrer…

 

À travers ce film, Peter Strickland, également musicien, rend un triple hommage : un hommage détourné aux films d'épouvantes italiens des années 70, un hommage à une profession trop souvent ignorée du grand public : la postproduction sonore, et un hommage à la musique expérimentale.

Le titre nous indique d'ailleurs clairement les intentions du réalisateur : Berberian est une référence à la cantatrice Cathy Berberian qui a posé les premiers jalons de la musique vocale expérimentale dans les années 50 ; elle fut marié à Luciano Berio, l'un des pionniers de la musique électro-acoustique. Cette référence n'est évidemment pas un hasard : la musique du film sera ponctuée de morceaux de bravoure, dont une performance vocale de Jean-Michel Van Schouwburg chargé de « doubler » le gobelin lubrique de ce qui semble être un giallo, genre en vogue dans les années 70 en Italie. De plus, le film, tant visuellement, avec ses nombreux plans sur les Revox et autres matériels audio composant le studio, véritable laboratoire de savant fou, que musicalement établit un lien constant avec la musique électro-acoustique et ses multiples propriétés. Gilderoy, ingénieur-son anglais guindé, discret, au physique ingrat parvient à séduire l'une des comédienne en lui révélant les secrets du mixage de sa voix.

Peter Strickland, en musicien, fait de la musique et de l'élément sonore (les bruitage) le ressort principal du film. Berberian Sound Studio, classé à tord, à mon sens dans la catégorie des films d'horreur et d'épouvante, prend le contre-pied des productions actuelles qui se perdent dans un jeu de surenchère d'effets nonsensiques. Berberian Sound Studio se révèle plutôt un film d'ambiance, où la tension naît de la musique, des effets sonores, et de leurs effets sur leur auditoire : les actrices, les bruiteurs, et Gilderoy, l'ingénieur-son qui est notre référent. Ce dernier se trouve tiraillé entre plusieurs problèmes : fraîchement débarqué d'Angleterre, il se trouve confronté à une autre culture, qu'il a parfois du mal à comprendre. De plus, bien que jouissant d'une grande réputation dans son domaine, il n'a jamais œuvré en dehors du style balisé du documentaire. Dès son arrivée, nous pouvons voir son malaise et son incompréhension lorsqu'il découvre une des scène du films sur lequel il doit travailler : il s'agit d'une scène de torture d'une jeune fille, soupçonnée de sorcellerie, par un prêtre.

Gilderoy, timidement, pose alors cette question à propos du film : « je croyais qu'il s'agissait d'une épopée équestre ».

La réponse du producteur est des plus laconique : « oui, elle est sur un cheval, à un moment, mais là, elle est descendue ». Peter Strickland manie donc l'humour à froid comme pour mieux souligner le cynisme du milieu rendu insensible et indifférent. Le portrait du milieu du cinéma n'est guère attrayant : Santini, le roi de l'épouvante, ne pense qu'à coucher avec ses actrices, au risque de mettre en péril son propre film, et ne respecte pas le travail des autres (il entre avec son chien en pleine session d'enregistrement), le producteur est cynique et désabusé, prêt à repousser les actrices dans leur retranchement pour obtenir ce qu'il veut. La secrétaire, beauté vénéneuse, semble jouer du peu de pouvoir dont elle dispose pour rendre la situation de Gilderoy kafkaïenne.

berberianSeul, Gilderoy, au milieu, semble apporter un peu de poésie, par ses bidouillages sonores à la simplicité parfois désarmante, en comparaison du « laboratoire » qui semble démesuré : avec une simple ampoule et une râpe, il parvient à « imiter » le bruit d'une soucoupe volante, renvoyant ainsi à des techniques de trucage cinéma plus anciennes et rudimentaire, basée sur le système D, qui ne semble déjà plus avoir grâce auprès du producteur : seule l'efficacité compte, et celui-ci ne semble guère goûter les expérimentations de son ingénieur.

Si Peter Strickland détourne habilement les codes habituels du film d'épouvante et d'horreur, notamment grâce à une subtile utilisation des contre-champs sur l'équipe d'enregistrement vibrant au rythme des images, que l'on ne verra jamais, il n'oublie toutefois pas de faire référence à ses même codes. Ainsi, les dialogues égrainent-ils la longue liste des ingrédients des giallo et autres films de genre en vogue dans les années 70 : des sorcières, des prêtres, un livre d'incantation, des scènes de tortures et de démembrements, des décapitations, un gobelin « lubrique » (en guise de clin d’œil ironique). Pour les nombreux connaisseurs, la simple évocation de ces divers « symboles » suffit à éveiller des images, et c'est précisément le souhait du réalisateur qui n'ignore pas la force du son, de la musique et de la parole sur notre imagination. S'inspirant du code des giallo, il est normal que la musique évoque les maîtres de la musique de giallo : les Goblins (créateurs de nombreuses Bandes sons pour Argento).

Berberian Sound Studio, qui vient d'obtenir le grand prix du festival Hallucinations collectives 2013, se révèle un film de genre original mais qui pourra se révéler décevant pour les amateurs « purs et durs » qui seraient en quête de sensation et d'images sanguinolentes. Mais l'expérience proposée par Peter Strickland est des plus intéressante et renouvelle de belle manière un genre malheureusement trop souvent limité à une démonstration d'effets spéciaux (pas toujours de bon goût).

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