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Déjantés du ciné
15 août 2019

Melaza de Carlos Lechuga

melazaafficheTitre du film : Melaza

Réalisateur : Carlos Lechuga

Année : 2014

Origine : Cuba

Durée : 1h20

Avec : Miguel Gomez, Yuliet Cruz

FICHE IMDB

Synopsis : Monica et Aldo vivent à Melaza, un village cubain, où ils mènent une vie des plus modestes. Tous les matins, ils empruntent, main dans la main, la rue principale du village pour se rendre à leur travail : Monica est gardienne de l’usine désaffectée de rhum et Aldo est instituteur. Le soir venu, ils louent leur maison à Marquez, un mari infidèle et partent en promenade sur le Malecón. Mais la Police découvre la manœuvre et leur inflige une amende qui met en péril la survie de la famille…

 

Proche du documentaire dans son approche, Melaza nous plonge dans le quotidien d’une famille à Cuba. On y suit Monica et Aldo, qui vivent dans une minuscule maison en compagnie de la mère et de la fille de Monica.

Le titre du film, Melaza, qui signifie mélasse, est emblématique de la situation inextricable dans laquelle se trouve embourbée cette famille et par extension du climat économique tendu que connaît ce pays socialiste.

Le réalisateur cubain Carlos Lechuga, dont c’est le premier long métrage, se révèle très critique à l’égard de son pays. Les notions de travail, de famille et de patrie, qui ne sont pas sans rappeler une célèbre devise, sont clairement décriées.

melaza2Sur le plan du travail, Aldo est instituteur et Monica gardienne dans une usine de rhum qui ne fonctionne plus. Avec deux salaires et notamment celui d’un enseignant, on pourrait les croire suffisamment aisés pour se dépêtrer des affres du quotidien. Il n’en est rien. Ils (sur)vivent tant bien que mal dans une maison en tôle et appartiennent à ce que l’on appelle communément des travailleurs pauvres, contraints à la promiscuité dans leur logement.

La vie familiale n’est pas évidente avec plusieurs générations qui se côtoient dans un même foyer : grand-mère, parents avec Monica et Aldo, et enfant doivent apprendre la cohabitation en milieu exigu. La proximité brise toute intimité. Le réalisateur parvient à plusieurs occasions à nous surprendre, notamment lors de cette séquence inaugurale où l’on voit un couple faire l’amour dans une usine déserte sur un matelas miteux : non, ce ne sont pas deux amants fougueux qui se déflorent, mais simplement nos deux protagonistes en manque d’espace, qui sont là à palier à leur manière le manque d’intimité que leur offre leur domicile.

Alors que le travail est souvent mal payé à Cuba et que la famille est parfois encombrante, la notion de patrie reste le dernier pilier sur lequel on peut se reposer. Le réalisateur n’est pas tendre sur ce point, révélant que l’État endoctrine les gens dès leur plus jeune âge. Ainsi, dans l’école où travaille Aldo, les enfants récitent l’hymne national, exercice de conditionnement, voire d’aliénation, qui laissera des traces sur les adultes qu’ils deviendront. Une méthode efficace, puisque lorsque la protestation s’organise, les habitants se contentent d’agiter des drapeaux de Cuba et de chanter : “Vive le socialisme ! La patrie ou la mort ! Nous vaincrons !” Pourtant la notion de patrie demeure abstraite. Sans changement radical dans l’exercice du pouvoir, on ne voit pas bien comment l’économie et le social qui minent le quotidien vont pouvoir s’améliorer. L’économie de Cuba, fondée notamment sur la culture de la canne à sucre, est en crise et pourtant son modèle n’est pas remis en question. Carlos Lechuga ne manque pas d’humour pour décrire des situations qui paraissent aberrantes : on fait garder une usine sans ouvriers et vérifier le bon fonctionnement de machines qui sont à l’arrêt ; on apprend à nager aux enfants dans une piscine vide.

A l’image du titre du film et de l’usine de rhum fermée, les personnages principaux sont eux donc dans la “mélasse”. Ils doivent louer moyennant finance leur maison à une prostituée afin qu’elle reçoive ses clients et quand la police leur met une amende, ils sont contraints de trouver de nouvelles sources de revenus.

Carlos Lechuga décrit un monde différent du nôtre où les aides sociales n’existent pas. Pour s’en sortir, il est nécessaire de cumuler les jobs (Monica fait un peu de ménage en plus de son travail de base). Et quand cela n’est pas suffisant, les personnages ont recours à des moyens illégaux, même si c’est contre leur morale : vente de viande sous le manteau pour Aldo ; vol et prostitution pour Monica. Sous le poids des besoins primaires, la moralité est mise à rude épreuve.

melaza3Heureusement, Melaza se refuse de n’être qu’une chronique sociale de plus sur un pays meurtri dans sa chair. C’est avant tout une belle histoire d’amour contrariée, entre deux êtres qui s’aiment et qui continuent à s’aimer, malgré les questions morales qu’occasionnent leurs choix. La force du film de Carlos Lechuga réside dans une absence de dialogues. L’amour émane au-delà des mots. La gestuelle des personnages principaux parle d’elle-même. Comment ne pas être sensible à la complicité de Monica et Aldo lorsqu’ils se rendent ensemble tous les jours au travail ? Comment ne pas succomber aux regards de tendresse où l’on lit le désir ardent de l’autre ?

Même quand les vents sont contraires, nos protagonistes restent unis. La scène où Aldo nettoie Monica lors d’un bain commun est signifiante : c’est une façon pour cet homme d’accepter le choix de son épouse de se prostituer par la purification. Les deux acteurs principaux, qui incarnent Monica et Aldo à l’écran, font preuve d’un jeu épatant de naturel offrant une crédibilité sans faille à leur couple. Au pessimisme plombant de la vie quotidienne le cinéaste érige en contrepoids le bastion de sentiments sincères et purs. Comme souvent au cinéma, l’amour semble vouloir être plus fort que tout.

Melaza constitue une chronique sociale pertinente magnifiée par une romance atypique, dont la fébrilité parvient à nous toucher durablement.

Critique parue à l'origine sur le site avoir-alire.com à l'adresse suivante :
https://www.avoir-alire.com/melaza-la-critique-du-film

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