Déjantés du ciné

23 mai 2025

In bed with Madonna d'Alek Keshishian (critique film + blu ray)

Titre du film : In bed with Madonna

 

Réalisateur : Alek Keshishian

 

Date de sortie au cinéma : 1991

 

Origine : Etats-Unis

 

Durée : 1h59

 

Editeur : Bubbelpop

 

En édition collection “essentiel” 1 blu ray + 1 DVD et un livret exclusif de 28 pages depuis le 14 mai 2025 (une édition collector spéciale Fnac disponible le 28 mai, comprend l’édition “essentiel” + 1 affiche + le dossier de presse de l’époque + 4 photos collector + 4 croquis signés Jean-Paul Gaultier)

 

Synopsis : En 1990, pendant le "Blond Ambition Tour", Alek Keshishian suit Madonna du début de la tournée à Tokyo jusqu'au dernier concert à Nice en passant par les Etats-Unis. Le réalisateur filme tout. Toute la vie de l'artiste que ce soit sur scène, en répétition et en coulisses. Madonna se livre comme elle est, à la fois chanteuse et danseuse, femmes d'affaires, figure de mère, enfant inconsolable, mais aussi bourreau de travail et icône glamour... Un documentaire incontournable pour cerner la personnalité de la plus grande star de la musique.

 

 

En 1990, Madonna est au sommet de sa gloire. Ses albums Like a virgin (1984) et True blue (1986) se sont vendus à plus de 20 millions d'exemplaires et le plus récent Like a prayer (1989) à environ 15 millions d'exemplaires. La queen of the pop est au top. Avec In bed with Madonna, qui retrace sa deuxième tournée internationale, elle entend asseoir sa notoriété.

 

Madonna a cherché en vain à recruter David Fincher, réalisateur du clip Express yourself. Elle s’est alors tournée pour ce documentaire vers Alek Keshishian. Principalement connu pour les clips de Bobby Brown (My prerogative, Don't be cruel, Every little step), Keshishian s’est vite rendu compte que le plus intéressant dans ce qu'il filme n'est pas le concert en lui-même mais le côté backstage.

 

En effet, avec sa personnalité sulfureuse, excessive, volontairement frivole et éprise de liberté, Madonna s'en donne à coeur joie. Entre son célèbre mime d’une fellation sur une bouteille d’eau d’Evian, sa possible arrestation par la police de Toronto si elle ne cède pas sur certains choix artistiques, ou encore d’autres frasques, on ne s’ennuie pas une minute. C'est ce qui fait tout le sel de ce documentaire hors du commun.

 

Car le spectateur a vraiment l'impression de se retrouver dans l'intimité de Madonna. Il faut dire que celle-ci paraît très proche de ses danseurs, mais aussi de ses choristes. Lors d’une tournée, il se crée immanquablement une proximité. On est ici aux premières loges des coulisses de la tournée. Une Madonna (sans doute) un brin manipulatrice se plait à souffler le chaud et le froid avec son entourage. Tantôt elle s'amuse à insulter et à vanner, tantôt elle cherche au contraire à rassurer et à mettre en confiance. Elle va jusqu’à se confier à ses danseurs et à s’intéresser à leur vie personnelle.

 

Par ailleurs, dans de nombreuses soirées elle apparaît avec les membres de son équipe mais surtout avec des stars comme Warren Beatty (son petit ami de l'époque), Kevin Costner, Al Pacino, Pedro Almodovar ou encore Antonio Bandera. Une façon de rappeler qu’il y a Madonna et les autres.

 

Dans In bed with Madonna, la star c'est cette chanteuse iconique, qu’elle soit avec son équipe (choristes, danseurs, coiffeuses, etc.), les membres de sa famille (son frère, son père) ou quelques amis. La madone gouverne son monde. C'est elle qui décide qui elle voit et à quel moment, quand elle se repose, etc. Elle est maligne car elle joue clairement avec l'affect des gens. Ainsi, avant le début de chaque concert, elle motive comme jamais ses troupes et elle fait tout (en tout cas c'est ce qui apparaît à l'écran)pour créer du lien entre chacun. Elle agit comme une mère avec ses enfants.

 

La chanteuse pop recherche constamment la lumière. “Executive producer” de ce documentaire, elle a donné ses directives au réalisateur Alek Keshishian pour obtenir ce qu'elle souhaitait : un subtil mélange d'intime et de sentimental, avec toujours un parfum de scandale puisque cela fait vendre. Même si elle paraît sans filtres, Madonna a forcément eu le contrôle total de ce documentaire, lui permettant de révéler ce qu'elle souhaitait.

 

On la voit raconter en voix off ses états d’âme, comme si on était dans un film noir. Cette impression est en outre renforcée par l’utilisation d’un noir et blanc lors de toutes les séquences hors concert. De là à penser que Madonna se prend pour la nouvelle Rita Hayworth… Dans tous les cas, Madonna a toujours su être en avance sur son temps. C’est lors de ce “Blond ambition tour” qu’elle arbore sa célèbre guêpière couleur chair avec les seins pointus que lui a dessiné Jean-Paul Gaultier. Ses danseurs ont également droit à des tenues extravagantes.

 

Un fait important est le travail acharné de Madonna et de ses danseurs lors des répétitions. La réussite de ses concerts ne tient pas du hasard. On ressent une exigence certaine, tant au niveau des chants que pour les chorégraphies, extrêmement travaillées. Les shows de Madonna sont un régal pour les yeux et les oreilles.

 

D’ailleurs, la musique constitue une part notable de ce documentaire passionnant. In bed with Madonna propose, via des extraits de concerts, un melting-pot de ses plus grands hits d’alors : Express yourself, Like a virgin, Holiday, Vogue, Papa don’t preach, Like a prayer, etc. Chaque chanson a droit à une ambiance particulière. Les décors sont magnifiques, à tel point que l’on a l’impression d’assister à des tableaux vivants. Il se dégage quelque chose de fort lors des concerts de Madonna, que l’on soit fan ou non de cette immense artiste.

 

Au final, ce documentaire incontournable connaîtra un immense succès. Il renforcera le côté iconique de Madonna. Il aura même droit aux honneurs de Cannes (en hors compétition) avec évidemment la présence de Madonna en personne. Pour terminer, intéressons-nous au titre original de ce documentaire, “Madonna : truth or dare”. Autrement dit “Madonna action ou vérité”. Quelle est la part de vérité dans tout ça ? Difficile à dire tant Madonna sait jouer avec son image et la contrôler.

 

Dans tous les cas, Madonna apparaît dans ce documentaire comme une star incomparable, et pas seulement pour ses chansons célèbres. On s'en rend compte encore aujourd'hui avec tous ces youtubeurs “stars” maniant avec un talent certain l'art de la vacuité !

 

Critique du blu ray édité par Bubbelpop :

 

 

L'image : Une image somptueuse sur les séquences de concert et un noir et blanc tout en nuances sur les autres scènes plus intimes.

 

Le son : Film visionnable en version originale avec sous-titres français (ou italiens !) ou en version française. Je conseillerais de voir le documentaire en VOSTF pour profiter de la véritable voix des protagonistes.

 

Les suppléments : L'éditeur Bubbelpop voit une nouvelle fois les choses en grand en proposant quatre interviews, les deux premières étant les plus intéressantes. Dans Madonna à l'écran, par Samuel Blumenfeld (23mn05), ce journaliste du Monde revient sur la personnalité de Madonna et l'importance de ce documentaire. S'il reconnaît le côté incontournable de Madonna et l'aspect novateur de In bed with Madonna, il n'est pas toujours tendre avec la madone. Il considère qu'elle n'a jamais existé au cinéma, à la différence d'une Barbra Streisand.

Dans le second bonus, 35 ans après, par Olivier Cachin (31mn03), ce journaliste se révèle bien plus enthousiaste au sujet de Madonna. Il indique que le film dispose au départ de 200 heures de rushes, réduits finalement à 2 heures. On apprend aussi que lors de la première projection chez Warren Beatty, celui-ci a menacé Madonna d'un procès. Des séquences ont donc été coupées à sa demande. Avec In bed with Madonna, Olivier Cachin considère que la chanteuse donne l'image d'une femme libre, indépendante, provocatrice et celle d'une grande artiste.

Le troisième bonus, Retour à Cannes, par Michel Burstein (33mn49) est plus anecdotique. Attaché de presse du film en 1991, Michel Burstein raconte la folie ayant gagné la Croisette lors de la venue de Madonna. Il évoque pour sa part une artiste intelligente et très professionnelle. On apprend que lors de la projection cannoise, la salle était quasiment vide en raison d'un dispositif de sécurité bien trop important.

Le quatrième et dernier bonus, In bed with Madonna, selon Jérôme Brucker (33mn07) est le moins captivant car il est redondant avec les deux premiers. C'est d'autant plus dommage que l'interviewé n'a pas vécu les événements qu'il relate concernant le documentaire. Ce qu'il dit n'est pas pour autant inintéressant. Il indique de façon pertinente que Madonna a inventé la télé-réalité avec 10/15 ans d'avance.

Publicité
Publicité
16 mai 2025

Body trash de Philip Brophy (critique film + blu ray)

Titre du film : Body trash

 

Réalisateur : Philip Brophy

 

Date de sortie au cinéma : 1993

 

Origine : Australie

 

Durée : 1h23

 

Avec : Gerard Kennedy, Andrew Daddo, Ian Smith, Vince Gil, Regina Gaigalas

 

Editeur : Rimini Editions

 

En édition collector limitée blu-ray + DVD + livret de 24 pages "13 morts sur ordonnance" écrit par Marc Toullec, le 16 mai 2025

 

Synopsis : Une nouvelle vitamine est testée en secret sur les habitants d'une petite ville australienne, alors que les précédents tests se sont révélés mortels. Le chercheur qui a découvert la molécule tente de donner l'alerte, mais, contaminé, il décède dans des circonstances atroces. Deux policiers mènent l'enquête, tandis que mutations, effets secondaires violents et hallucinations se multiplient dans la population.

 

 

Réalisé par l'australien Philip Brophy, Body trash (Body melt de son titre original) est une comédie horrifique totalement déjantée. S'il date des années 90, le film s'inscrit dans la continuité de films craspecs des années 80 tels que Re-Animator (1985), Street trash (1987), Slime city (1988) ou encore Le blob (1988). Le propos du film est très simple : une substance inédite, testée à l'insu de personnes vivant dans une banlieue australienne, transforme progressivement les corps des gens, jusqu'à ce que ceux-ci en décèdent.

 

Le film comporte quatre sous-intrigues : celle d'un homme célibataire, de deux italiens un peu benêts, une femme enceinte et une famille moyenne. Forcément, les divers protagonistes seront les victimes de ces expériences. Quand la science propose ce qu'elle a de pire...

 

Évidemment, tout cela est traité de façon très humoristique et décalé : il n'y a qu'à voir la première victime, qui s'arrête dans un supermarché et ingurgite du détergent, afin de ralentir les effets de la vitamine ! Les amateurs de comédies horrifiques seront aux anges. D'ailleurs, le cinéaste Philip Brophy cite explicitement le cultissime Re-Animator au début du film avec la seringue contenant la substance vert fluo. Body trash est à prendre avant tout pour ce qu'il est : un bon gros délire (à voir entre copains) censé amuser la galerie ! Il faut dire qu'en la matière le film s'en donne à cœur joie : vomi vert fluo, pénis explosif, placenta attaquant un protagoniste !

 

Le film joue totalement la carte de l'humour et part dans tous les sens avec ses différentes histoires se chevauchant. Il serait cependant injuste de n'y voir rien d'autre qu'une œuvre horrifique potache. Le cinéaste Philip Brophy est très attaché à la représentation du corps humain, ce que l'on retrouve dans toute sa filmographie. Avec les trois phases de sa dangereuse molécule, il se moque des programmes amincissants. On songe évidemment aux entraînements de fitness de Jane Fonda se déroulant là aussi en trois phases.

 

A sa façon, le film critique ouvertement le culte du corps où l'ambition est d'avoir un corps parfait. Les instructeurs du club de gym sont comme par hasard body-buildés et avec un air décérébré. S'il convient en principe de regarder un film en version originale, le doublage français vaut sacrément le détour avec l'un des hommes boby-buildé ayant une petite voix ridicule !

 

Le film ne s'arrête pas là. Il s'en prend aussi au mode de vie normatif de ces banlieues pavillonnaires où chacun a sa petite vie rangée et où il ne se passe pas grand chose. C'est sans doute par opposition à ce mode de vie plutôt morne qu'il propose à l'inverse une des quatre histoires chez des rednecks dans le style de Massacre à la tronçonneuse au pays des kangourous. Il n'y a clairement aucun lien avec les autres histoires, si ce n'est de montrer des personnages difformes et vraiment tarés. Cette histoire donne même lieu à une chasse au kangourou dont on se gardera bien de révéler la finalité.

 

Last but not least, Body trash dont on préfère le titre original Body melt (littéralement le corps fond), dispose d'une bande son hallucinante, oscillant entre l'électro dingo et la musique expérimentale ! Comme un certain John Carpenter, le réalisateur est aussi l'auteur de la musique originale du film. A noter que l'un des titres phare de la bande son se nomme tout simplement Body melt.

 

Vous l'aurez compris, par son côté excessif Body trash n'est pas à mettre entre toutes les mains (enfin plutôt tous les yeux). Il reste destiné à un public averti, fan de films d'horreur en tous genres. A sa façon, Body trash est un des fleurons de la ozploitation (pour aussie exploitation), à savoir ces films d'exploitation australiens populaires des années 70 (Wake in fright, Long Weekend, etc.) au milieu des années 80. Body trash en est une réminiscence dans les années 90, comme le sera plus tard l'excellent Wolf creek (2005) au début des années 2000. Après avoir vu cet incroyable Body trash, ayant une obsession certaine pour le culte du corps, on ne peut s'empêcher de penser que le fameux The substance (2024) de Coralie Fargeat s'en est forcément (un peu) inspiré !

 

Caractéristiques du film édité par Rimini Editions :

 

L’image : la copie est magnifique. Le travail au niveau de la photographie paraît plus évident et les effusions gore sont bien plus remarquées.

 

Le son : il est disponible en version française (DTS-HD stéréo) que je conseille fortement, tant le doublage est hilarant. Pour les puristes, le film est accessible en version originale sous-titrée français avec un son encore meilleur grâce à un DTS-HD 5.1 (et aussi du DTS-HD stéréo.

 

Supplément : outre le livret de 24 pages de Marc Toullec, le blu ray comporte un bonus intitulé Body horror et fitness au pays des kangourous (16mn11), enregistré à Lyon en mars 2025. Lilyy Nelson, chroniqueuse cinéma de genre, évoque le réalisateur du film et en corollaire les enjeux de Body trash. Elle en profite pour revenir sur l'ozploitation ainsi que les différentes influences du film. Très complet et bien documenté, ce bonus permet de faire le tour de Body trash de façon concise et claire. Voilà un complément idéal au film !

9 mai 2025

The assessment de Fleur Fortuné (critique film)

Titre du film : The assessment

Réalisatrice : Fleur Fortuné

Date de sortie au cinéma : pas de sortie prévue, uniquement sur Amazon Prime (vu en avant-première le 16 avril 2025 dans le cadre du festival Hallucinations collectives à Lyon)

Origine : Etats-Unis

Durée : 1h55

Avec : Alicia Vikander, Elizabeth Olsen, Himesh Patel, etc.

Synopsis : Dans un monde ravagé par le changement climatique, une société utopique optimise la vie, y compris l'évaluation de la parentalité. Un couple heureux est soumis à un examen minutieux par un évaluateur pendant sept jours.


Fleur Fortuné est connue principalement en tant que vidéaste. On lui doit notamment les clips de M83 Midnight city, Reunion et Wait. Ainsi, The assessment constitue son premier long métrage pour le cinéma. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la jeune cinéaste n'a pas cherché la facilité.

Avec The assessment (littéralement l'évaluation en français), on se trouve dans un monde futuriste. Les principaux protagonistes, Mia (Elizabeth Olsen) et Aaryan (Himesh Patel) vivent de manière privilégiée dans une luxueuse maison située près de la mer. Afin de ne pas subir les effets néfastes du changement climatique, ils sont à l'intérieur d'un dôme et cultivent des plantes dans une serre pour ne pas épuiser les ressources naturelles. Ceux qui n'ont pas la chance de Mia et Aaryan vivent sur notre Terre devenue quasi inhospitalière et désormais appelée « l'Ancien Monde ».

Le film est très riche sur le plan thématique. Il brasse avec beaucoup d'à-propos des sujets actuels comme l'écologie avec l'épuisement des ressources de la planète et en corollaire la sur-population qui nous guette. Si le film est pour l'heure dystopique, gageons qu'il ne devienne pas dans des dizaines d'années une réalité... Si la cinéaste ne cite pas explicitement des références cinématographiques, on songe tout de même à Logan's run (L'âge de cristal, 1976) de Michael Anderson avec ces humains vivant dans des villes bulles et la vie de chaque individu limitée à 30 ans afin de faire face à la surpopulation. De manière plus générale, il est évident que le film se base sur Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley (1932).

Et pour cause, dans The assessment, les gens ont trouvé une solution pour ne pas vieillir. En contre-partie, les naissances sont régulées afin de limiter la population sur la planète. C'est tout l'objet de ce long métrage avec une évaluatrice, Virginia (Alicia Vikander), vivant pendant sept jours aux côtés de Mia et Aaryan pour voir s'ils feraient de bons parents. Par son côté « clinique » et froid, The assessment fait immanquablement penser à l'excellent Bienvenue à Gattaca d'Andrew Niccol (1997). Mais la cinéaste Fleur Fortuné y a apporté sa touche personnelle avec un humour noir et une certaine causticité.

Les trois acteurs principaux de ce huis-clos sont tous formidables et interprètent brillamment leurs personnages respectifs. Mention spéciale à Alicia Vikander, dans le rôle de cette évaluatrice qui met à rude épreuve les évalués. L'idée la plus brillante, que l'on comprend rapidement, est qu'elle décide d'être pendant les sept jours de l'évaluation, l'enfant de Mia et Aaryan, afin de les tester pour potentiellement les faire craquer. Car le fait de mettre au monde un enfant dans cette société nouvelle est devenu un luxe que la société ne peut plus se permettre.

En corollaire, le film permet de s'interroger sur la notion de couple et sur le fait de savoir si la relation entre deux êtres passe forcément par le fait d'avoir un enfant. Voilà un sujet qui divise forcément, certains pensant que la maternité est un exutoire alors que d'autres ne ressentent nullement ce besoin.

La vision de Fleur Fortuné, qui a eu l'idée de de son film, alors qu'elle avait des difficultés à avoir un enfant, ne devrait pas plaire à tout le monde. Mais cherche-t-elle à plaire ? Sans doute pas. On peut en revanche penser qu'elle souhaite éveiller les consciences.

Au niveau de la mise en scène, le film est très bien filmé et particulièrement fluide. Contrairement à ce que l'on aurait pu imaginer au regard du passé de la cinéaste, le film n'est nullement clippesque. Il est au contraire extrêmement rigoureux et renforce l'aspect froid de l'ensemble, tout juste contre-balancé par des séquences d'humour (noir) que l'on ne voit pas forcément arriver !

The assessment dépasse largement le cadre de savoir si le jeune couple va réussir l'évaluation pour pouvoir donner naissance à un enfant. Dans ce film assez brillant au demeurant, sa réalisatrice invite in fine le spectateur à s'interroger dès à présent sur notre avenir. Il est temps de changer les choses sinon cette dystopie risque bien de ne pas être un futur lointain.

29 avril 2025

La tour du diable de Jim O'Connolly (critique film + blu ray)

Titre du film : La tour du diable

Réalisateur : Jim O'Connolly

Date de sortie au cinéma : 1972

Origine : Royaume-Uni

Durée : 1h30

Avec : Bryant Haliday, Jill Haworth, Mark Edwards, Jack Watson, Anna Palk

Synopsis : Accostant Snape Island, un îlot au large de l'Écosse, deux pêcheurs découvrent les corps de trois jeunes gens sauvagement assassinés. Penny, l'unique survivante, dans un état second, tue l'un des pêcheurs. Admise dans un hôpital, elle va raconter ce qu'elle a vu. Peu après, des archéologues débarquent sur l'îlot à la recherche de la tombe d'un roi phénicien...

En édition collector limitée combo blu ray + DVD + livret de 24 pages "Massacre sur l'île au trésor" écrit par Marc Toullec le 6 juin 2025

Au début des années 70, la célèbre firme britannique Hammer (Le cauchemar de Dracula, Frankenstein s'est échappé, etc.) est sur le déclin. Elle ne réussit pas particulièrement bien le passage post-68 et la libération sexuelle qui en découle. C'est durant cette période que le film La tour du diable, réalisé au sein des studios Shepperton en Angleterre, entend notamment concurrencer les films produits par la Hammer.

Pour arriver à ses fins, son réalisateur, Jim O'Connolly, joue la carte de la violence et appuie (un peu) au niveau de l'érotisme. On ne sera donc pas surpris de croiser dans ce film des hippies songeant avant tout à faire l'amour. Ce long métrage se veut évidemment d'une certaine façon une critique du puritanisme anglais. D'ailleurs, pour contourner la censure, Jim O'Connolly avait fait exprès de tourner plus de scènes que prévu afin d'obtenir un accord sur ce qu'il considérait comme l'essentiel.

Quelque part, La tour du diable peut être considéré à son niveau comme un film charnière. Le gothique est sur la fin tandis que les slashers ne se développeront que quelques années plus tard. On perçoit bien ici cet entre deux. Le côté gothique est évident avec son décor principal, le phare et son île. Sans compter d'étonnantes galeries souterraines qui entretiennent l'aspect mystérieux de l'ensemble. Le côté slasher est présent avec ces jeunes gens se faisant tuer les uns après les autres par un tueur dont l'identité reste secrète pendant la majeure partie de l'intrigue.

Si elle n'est pas d'une folle originalité, La tour du diable est une œuvre appréciable qui en donne pour son argent au spectateur. Les scènes horrifiques sont réussies et assez marquantes, qu'il s'agisse par exemple d'une main ou d'une tête coupée. On ne s'ennuie jamais devant ce film qui entretient constamment une part de mystère. Mais qui est cette personne jouant de la flûte à l'extérieur du phare ?

Ainsi, le scénario multiplie les (fausses) pistes concernant le meurtrier. On a même droit à un rebondissement à la toute fin, qui n'est pas sans rappeler l'excellent film de Roger Corman, La chute de la maison Usher. Une inspiration prouvant que le côté gothique est bien vivace.

Qui dit film anglais dit humour anglais. Et sur ce plan on n'est pas déçu. L'actrice Anna Palk notamment s'en donne à cœur joie avec des répliques faisant mouche. Deux morceaux choisis : « C'est là que la fille a perdu la tête. Ça arrive à un tas de filles dans une chambre, ma chère Rose. » Ou encore : « Qu'est-ce que tu as fait [à manger] » lui demande un des protagonistes ? Réponse d'Anna Palk : « De la nourriture pour chiens. Cela te fera aboyer plus fort. » Précisons qu'Anna Palk interprète le rôle d'une femme libérée, qui n'a pas froid aux yeux. A travers son personnage, on perçoit une guerre des sexes, voire même un aspect féministe. Bien vu !

Toujours concernant le casting, notons qu'il comprend de jeunes acteurs, pour la plupart inconnus. Il n'empêche, ils remplissent chacun très bien leurs rôles, alors que généralement ce type de série B souffre d'une distribution de qualité erratique.

En somme, La tour du diable est une belle (re)découverte, alliant généreusement scènes horrifiques, érotisme (léger), thriller, le tout avec une pincée de fantastique. Voilà donc une série B agréable à regarder, permettant de passer un bon moment.

Caractéristiques du blu ray édité par Rimini Editions :

L’image : un master HD qui enterre de toutes parts le DVD sorti naguère chez Artus Films. Un régal pour les yeux.

Le son : le film est disponible en version française ou en version originale sous-titrée français. Les deux langues proposées se révèlent d'excellente facture. Aucun écho et aucun son renfermé.

Supplément : Rimini Editions reprend le bonus de 2016 figurant sur le DVD d'Artus Films. Avec « Derrière la brume par Eric Peretti » (25mn24), ce programmateur des festivals Hallucinations collectives (à Lyon) et du LUFF (à Lausanne) revient sur le film et son réalisateur. Il évoque ainsi la genèse de La tour du diable, les jeunes acteurs présents ou encore les qualités intrinsèques du film (l'alliance entre nudité et violence). Fourmillant d'anecdotes, ce bonus est intéressant à visionner. On se demande comment Eric Peretti sait tout ça !

19 avril 2025

Il était une fois Michel Legrand de David Hertzog Dessites (critique film + blu ray)

Titre du film : Il était une fois Michel Legrand

Réalisateur : David Hertzog Dessites

Date de sortie au cinéma : 4 décembre 2024

Origine : France

Durée : 1h50

Synopsis : « La musique, c’est la vie ». Michel Legrand entre au Conservatoire de Paris à l’âge de 10 ans et s’impose très vite comme un surdoué. 3 Oscars et 75 ans plus tard, il se produit pour la première fois à la Philharmonie de Paris devant un public conquis. De la chanson jusqu’au Cinéma, ce véritable virtuose n’a jamais cessé de repousser les frontières de son art, collaborant avec des légendes comme Miles Davis, Jacques Demy, Charles Aznavour, Barbra Streisand ou encore Natalie Dessay. Son énergie infinie en fait l’un des compositeurs les plus acclamés du siècle, dont les mélodies flamboyantes continuent de nous enchanter.

En édition blu ray simple ou en édition collector limitée (blu ray et DVD du film, DVD bonus, livret, affiche et 5 cartes postales) depuis le 11 avril 2025


Il était une fois Michel Legrand est un documentaire sur Michel Legrand, musicien, compositeur, pianiste de jazz, connu entre autres pour ses participations aux musiques des films de Jacques Demy. Le réalisateur David Hertzog Dessites a eu l’opportunité de le filmer pendant les deux dernières années de sa vie.

Le sujet du film, Michel Legrand, est évidemment passionnant puisqu’il s’agit de l’un des plus grands artistes musicaux du XXème siècle. Peut-être le Beethoven de notre époque. Sa contribution est énorme et sa participation avec les plus grands comme Miles Davis, Charles Aznavour, etc., le prouve. Grâce à une quantité effarante d’images d’archives, dont un grand nombre inédites, le spectateur assiste à des extraits d’émission TV, de concerts ou des interviews concernant Michel Legrand. On perçoit encore mieux qu'il s'agit d'un musicien génial, associé à de nombreux artistes étrangers et sans qui l’œuvre de Jacques Demy n’existerait pas (Les demoiselles de Rochefort, Les parapluies de Cherbourg). Le firmament de sa carrière semble être atteint avec la musique du film Yentl de Barbra Streisand (1983) qui lui a d’ailleurs valu son troisième oscar.

Si l’immense carrière de Michel Legrand valait bien un documentaire, son réalisateur n’échappe à tous les pièges inhérents à son sujet. Bien souvent, il fait office de fan et fait preuve par intermittence d’esprit critique. Sans conteste, les moments les plus intéressants ont lieu lorsque le film met en exergue les failles et les aspects compliqués de la personnalité de Michel Legrand. On apprend ainsi avec surprise que l’intéressé, pourtant au sommet de sa gloire, a fait une grave dépression lors de sa période américaine, et qu’il mettra longtemps à s’en remettre. Sur le plan de la personnalité, le film montre quelqu’un d’exigeant, d’autoritaire voire irascible qui met à mal les personnes avec qui il travaille, notamment lorsqu’il s’agit de ses subordonnés. On lui pardonne visiblement ce comportement, car, d’après les interviews dans le documentaire, c’est une personne qui s’excusait rapidement, souhaitant être appréciée de tous.

Sur le plan narratif, Il était une fois Michel Legrand fourmille d’images d’archives, qu’il s’agisse de concerts, d’interviews ou de moments plus intimes de Michel Legrand. L’ensemble donne l’impression de partir un peu dans tous les sens. Il n’y a pas vraiment de fil narratif, si ce n’est de parler de Michel Legrand et de son œuvre. Certes, ce que l’on apprend est passionnant mais il aurait été appréciable d'avoir des thématiques ou tout simplement quelque chose de plus structuré.

Heureusement, il se dégage une émotion certaine dans ce documentaire empli de bienveillance envers ce maestro de la musique ayant traversé les époques et qui, arrivé au crépuscule de sa carrière, a continué jusqu’au bout pour offrir au monde de magnifiques concerts. Le dernier concert à la Philharmonie de Paris, quelques mois avant son décès, témoigne du talent, de la ténacité et de l’incroyable volonté de Michel Legrand, pourtant à bout de forces. On ressent véritablement l’envie de Michel Legrand de tout donner à son public et ce dernier lui offre en retour toute la gratitude qu’il mérite, conscient d’assister aux derniers moments sur scène d’un très grand monsieur de la musique.

Au final, Il était une fois Michel Legrand permet d’en apprendre plus sur le génie que constitue Michel Legrand. Ce documentaire comporte ainsi un nombre très important d’images d’archives de toutes sortes et d’interviews et extraits de concerts plus récents. Cela a dû prendre beaucoup de temps à le réaliser et à le monter. Si le travail pour monter ce film est indéniable, on aurait toutefois apprécié que la relation entre la vie intime et la vie professionnelle de Michel Legrand soient plus analysées. On a parfois la sensation que David Hertzog Dessites peine à dépasser son statut de fan et reste en surface de son sujet. Somme toute, la carrière très riche de Michel Legrand donne sacrément envie de se plonger dans sa discographie et de revoir les films où il est intimement lié.

Caractéristiques du blu ray édité par Blaq Out :

L’image : une fois n’est pas coutume, elle est de qualité très variable. Et pour cause : elle allie des matériaux très variables, qui vont d’archives très anciennes (grain très présent) aux derniers concerts de Michel Legrand (image somptueuse).

Le son : un dolby digital 5.1 (et un stéréo) là encore très efficace sur les extraits de concerts et interviews récents, et nettement moins sur les extraits anciens. Comme souvent, l’éditeur Blaq Out propose le film en audio-description et la possibilité de le visionner avec des sous-titres pour sourds et malentendants. Une option supplémentaire permet de voir le film avec des sous-titres anglais.

Suppléments : le premier bonus, Karaoké (11mn19) est une petite sucrerie qui permet de s’amuser sur trois musiques phare des films cultes de Jacques Demy : Peau d’âne, Les parapluies de Cherbourg et Les demoiselles de Rochefort. Quant aux scènes coupées (d'un total de quatre, 15 mn environ), une concerne des interviews des filles de Michel Legrand et une autre des scènes de la vie intime de Michel Legrand. Elles auraient pu être intégrées au montage final.

A noter que l’édition collector comporte un DVD bonus avec des suppléments inédits. On a droit ainsi à Michel Legrand vu par… (31mn27)  qui constitue un agrégat de (micro) interviews des enfants de Michel Legrand, de cinéastes, d’acteurs, etc. On a également Le film du film, de celui qui a fait le film du film ! (47mn56), sorte de making of où le réalisateur exprime notamment ses intentions, les difficultés auxquelles il a été confronté, la réception du film, etc.

Publicité
Publicité
9 avril 2025

La nuit des maléfices de Piers Haggard (critique film + blu ray)

Titre du film : La nuit des maléfices

 

Réalisateur : Piers Haggard

 

Date de sortie au cinéma : 1971

 

Origine : Royaume-Uni

 

Durée : 1h36

 

Avec : Patrick Wymark, Linda Hayden, Barry Andrews, etc.

 

Editeur : Rimini Editions

 

En édition collector limitée blu ray + DVD + livret de 24 pages “Sous le soleil de Satan” écrit par Marc Toullec, le 11 avril 2025

 

Synopsis : Angleterre, XVIIIème siècle. Dans un petit village, un jeune homme affirme avoir vu le Diable. Le juge du comté n'y prête pas attention. Mais soudain, des événements anormaux se déroulent : les villageois sombrent dans la folie, et des jeunes femmes se voient affligées de marques sur le corps. C'est alors qu'un groupe mené par la jolie Angel Blake pratique d'étranges cérémonies funèbres.

 

 

Second long métrage du quasi inconnu Piers Haggard, La nuit des maléfices, sortie en 1971, est pourtant une œuvre majeure du cinéma fantastiques des années 70. Produit par la petite société britannique Tigon British Film Productions, ce film post-1968 a été tournée à une époque où l’on était beaucoup plus libéré qu'aujourd'hui. Il est évident que le film surfe sur le succès passé d’un studio comme la Hammer, mais en exacerbant violence et érotisme.

 

Par ailleurs, à la différence de la firme Hammer, La nuit des maléfices joue la carte du réalisme. Tourné dans des décors naturels, le film s’inscrit plutôt dans la tradition de la folk horror dont l’un des films les plus célèbres est The wicker man (1973) de Robin Hardy.

 

La nuit des maléfices se déroule au XVIIIème siècle dans un village anglais. Le film joue parfaitement sur la dichotomie entre réalisme et fantastique. D’un côté, ce long métrage met l’accent sur l’univers de cette campagne anglaise avec des fermes authentiques, un soin particulier aux vêtements portés par les protagonistes et des coupes de cheveux se voulant en phase avec cette époque. D’un autre côté, on perçoit des éléments fantastiques avec une créature mystérieuse (Satan?) qui rôderait dans les parages et d’étonnantes touffes de poils apparaissant sur la peau. « L’empreinte de Satan ? »

 

Le film est suffisamment bien conçu qu’il amène à s’interroger sur la nature réelle de ces éléments fantastiques. En fin de compte, n’assisterait-on pas à une hystérie collective ou tout simplement à des hallucinations ? La nuit des maléfices se révèle assez subtil, de telle sorte que l’on est en permanence entre rationalisme et fantastique. N’y aurait-il pas derrière tout ça un discours sous-jacent du réalisateur ?

 

Après tout, au moment du tournage du film, on est en pleine période de libération sexuelle et certains s’inquiètent alors de l’importance du mouvement hippie et de la contre-culture (avec développement de sectes où l’on consomme de la drogue). Il paraît évident que La nuit des maléfices n’est pas un film d’horreur lambda où il est simplement question de rites sataniques et d’orgies. La libération sexuelle exposée dans le film est une façon de s’attaquer au puritanisme anglais. Avec tous ces cultes païens se déroulant en pleine nature, c’est aussi une façon de s’en prendre au culte de Dieu.

 

En outre, le film laisse poindre une critique sociale assez forte. La première histoire qui nous est contée est celle d’une femme sur le point d’épouser son fiancé. Sauf que la famille du fiancé n’est visiblement pas de cet avis, car la jeune femme vient d’un milieu plus modeste. La nuit des maléfices est aussi celle du mépris des classes sociales, où il est alors bien difficile de sortir de son milieu d’appartenance. Voilà ce qui fait encore un point remarquable de cette œuvre atypique.

 

Notons également que si le film ne dispose pas d'acteurs célèbres, la distribution s’avère d’une grande qualité et d’une justesse de ton assez impressionnante. Les jeunes acteurs et actrices sont tous très bons, apportant un vrai vent de fraîcheur à ce film majeur de la folk horror. On songe en particulier à la jeune actrice dans le rôle de Angel, qui donne vraiment l’impression d’être une servante de Satan.

 

Film méconnu notamment en France, La nuit des maléfices est une œuvre centrale de la folk horror. Il paraît évident que des œuvres récentes telles que The witch ou Midsommar lui doivent beaucoup. Une raison de plus de regarder cette œuvre très riche et ô combien mystérieuse.

 

Caractéristiques du film édité par Rimini Editions :

 

L’image : on a affaire à une copie très nette permettant le travail autour de la photographie du film.

 

Le son : film disponible en version française (le doublage est satisfaisant) ou en version originale sous-titrée français.

 

Supplément : un seul bonus mais très récent puisqu’il a été enregistré à Paris le 12 février 2025, et totalement pertinent. Il s'agit d'un entretien avec Olivier Père, directeur de l’Unité Cinéma à Arte France, qui revient sur le film pendant plus de 40 minutes (42mn06). Passionnant à suivre dans ses explications, Olivier Père signale qu’il s’agit d’un des plus grands films fantastiques de sa période. C’est le film le plus connu du cinéaste Piers Haggard, qui a été l’assistant d’Antonioni sur Blow-Up. Olivier Père revient à plusieurs reprises sur l’importance du genre du film, la folk horror, qui peut amener à douter de la nature réelle des éléments fantastiques. Selon lui, La nuit des maléfices a influencé des cinéastes récents quand on voit des œuvres telles que Kill List, The witch et Midsommar.

30 mars 2025

Les maîtres du temps de René Laloux (critique film + blu ray)

Titre du film : Les maîtres du temps

 

Réalisateur : René Laloux

 

Date de sortie au cinéma : 24 mars 1982

 

Origine : France

 

Durée : 1h18

 

Dessins originaux de Moebius

 

Editeur : Tamasa Distribution

 

Sortie en blu ray depuis le 25 mars 2025

 

Le coffret collector contient 1 combo blu-ray & DVD + 1 affiche du film + 1 livre de 84 pages illustrées + 1 morceau de pellicule 35mm du film

 

Synopsis : Sur la planète Perdide, Claude et son jeune fils Piel, fuient une inquiétante nuée de frelons, aux commandes d'un véhicule tout-terrain. Leur course se termine par un accident. Claude, grièvement blessé, envoie Piel se mettre à l'abri et lui confie un étranger microphone.

 

 

En 1973, le français René Laloux émerveille le monde entier avec La planète sauvage, très beau film d'animation, récompensé au festival de Cannes par le prix spécial du jury. Malgré une reconnaissance de la critique et du public, Laloux devra attendre près de dix ans (1982) avant de réaliser son second long métrage, Les maîtres du temps.

 

La production du film a été difficile à mettre en œuvre et le budget s'est avéré bien en deçà de ce qui était nécessaire. En raison de ce financement réduit, une partie de la production a été délocalisée en Hongrie afin de réduire les coûts. Le résultat à l'écran est sans doute inégal mais cela n'entame pas le plaisir à regarder cette oeuvre enchanteresse que l'on n'oublie pas de sitôt.

 

Comme pour La planète sauvage, Laloux adapte avec Les maître du temps un roman de l'immense Stefan Wul (Pierre Perault), L'orphelin de Perdide (1958). Il est ici question d'un enfant, Piel, qui s'est réfugié dans une forêt luxuriante de la planète Perdide pour échapper à l'attaque de frelons géants. Totalement isolé, Piel communique via un microphone (doté d'une sacrée longue distance !) avec les membres d'un vaisseau spatial partis le secourir.

 

Totalement ancré dans la science-fiction, ce long métrage s'inscrivant dans un univers à la Star Wars comporte peu de scènes d'action. Doté d'un rythme disparate, Les maîtres du temps se permet de nombreuses envolées contemplatives, totalement inattendues dans ce genre de film.

 

Par ailleurs, en raison de son budget contraint, il souffre d'une qualité d'animation variable. Si on ne peut que louer l'implication du dessinateur culte Moebius, qui a effectué près de 1000 dessins pour l'occasion, le rendu à l'écran n'est pas toujours optimum. On imagine que cela est dû à des animateurs hongrois plus ou moins doués. Certains dessins se révèlent ainsi assez moyens (le vaisseau spatial, le design de certains personnages).

 

Ce qui pourrait constituer une faiblesse majeure met au contraire en lumière la beauté des nombreux décors réussis. On songe par exemple aux multiples détails de la forêt de Perdide, à la magnifique planète exotique. De plus, les télépathes ou les étonnants hommes oiseaux de la planète Gamma 10 constituent des réussites indéniables.

 

René Laloux a également effectué des ajouts par rapport au roman de Stefan Wul qui s'avèrent pertinents. La présence des deux gnomes télépathes est appréciable, avec notamment cette idée géniale de la pensée qui pue ! Les fameux maîtres du temps sont absents du roman L'orphelin de Perdide. Or, ils permettent d'expliquer un élément fondamental de l'intrigue avec l'histoire du paradoxe temporel. Ces ajouts sont un vrai plus pour ce beau film d'animation.

 

Dans un autre registre, ce long métrage dispose de scènes étonnantes contribuant une nouvelle fois à son charme. Qu'il s'agisse des chansons du vieil aventurier Silbad ou de l'incongrue scène de la baignade, Les maîtres du temps ne cesse de nous surprendre. Et que dire de l'inoubliable plan final tourné en 3D. Certes il apparaît aujourd'hui désuet, voire un peu raté. Pourtant, il faut le replacer à son époque : il était alors considéré comme novateur. Pour la petite histoire, René Laloux avait même envisagé un temps de tourner son troisième et dernier film, le magnifique Gandahar (1987), en images de synthèse. Tout cela prouve l'esprit novateur d'un René Laloux, fer-de-lance d'un cinéma d'animation français alors quasiment exsangue. Sans une volonté à toute épreuve, ses trois films entrés au panthéon de l'animation, n'auraient jamais vu le jour. Cela aurait été dommage tant ils continuent de nous émerveiller et même de nous émouvoir pour .Les maîtres du temps.

 

 

Caractéristiques du blu ray éditée par Tamasa Distribution :

 

L'image : Le film a été restauré en 4K. L'image est splendide, on redécouvre Les maîtres du temps sous un nouveau jour avec ces fabuleux dessins de Moebius.

 

Le son : Le film est évidemment disponible en français, sa langue d'origine. Tamasa a mis les petits plats dans les grands avec deux options très appréciables : des sous-titres pour sourds et malentendants et de l'audiodescription.

 

Les compléments : Le premier bonus, très récent (2024) Emotion et paradoxe temporel par Fabrice Blin (44mn10) laisse la place à ce journaliste, spécialiste de René Laloux. Revenant sur les origines des Maîtres du temps et les difficultés de sa mise en production, il décrypte très bien le film. Il n'hésite pas également à aborder les défauts et limites de celui-ci. Il parle notamment d'une histoire émouvante et touchante, ainsi que de la poésie qui se dégage du film. Pour lui, ce long métrage a très bien vieilli sur le fond mais dispose d'une animation non homogène.

Le second bonus est une interview ancienne du français Stefan Wul (16mn45), décédé en 2003. Très humble, cet immense romancier de science-fiction semble amusé par le fait ses livres soient traduits dans de nombreuses langues, notamment en finlandais ! On apprend qu'il était initialement chirurgien dentaire. Au sujet de ses romans, ce qui l'intéresse c'est de captiver le lecteur en racontant des histoires extraordinaires.

Le troisième gros bonus, De l'orphelin de Perdide aux maîtres du temps (37mn49) est une reprise d'un ancien bonus (2003) du DVD édité jadis par Opening. De nombreux spécialistes des Maîtres du temps et intervenants autour du film, reviennent sur celui-ci, qu'il s'agisse du journaliste Fabrice Blin, du réalisateur René Laloux, du dessinateur Moebius, du superviseur de l'animation, du producteur, etc. Voilà un complément appréciable permettant de parfaire sa connaissance des Maîtres du temps, même si certains éléments sont redondants avec la première intervention de Fabrice Blin.

Un module intitulé De la friture dans les lunettes (6mn49) est un extrait de l'émission du 28 avril 1982 Image par Image (sur TF1). Dans ce bonus très succinct, René Laloux évoque entre autre le storyboard et le rôle de l'animateur. On assiste rapidement aux différentes étapes de la création du film.

Le dernier bonus est constitué du film annonce (1mn33) des Maîtres du temps.

22 mars 2025

Gianni et les femmes de Gianni Di Gregorio (critique film)

Titre du film : Gianni et les femmes

Réalisateur : Gianni Di Gregorio

Date de sortie au cinéma : 1er juin 2011

Origine : Italie

Durée : 1h30

Avec : Gianni Di Gregorio (Gianni), Valeria de Franciscis (la mère), Elisabetta Piccolomini (la femme), Alfonso Santagata (Alfonso), Valeria Cavalli (Valeria), Kristina Cepraga (Kristina), Michelangelo Ciminale (Michelangelo), Aylin Prandi (Aylin), Teresa Di Gregorio (Teresa), Lilia Silvi (Lilia), etc.

 

Synopsis : Gianni, la soixantaine éclatante, fait preuve d’un dévouement exceptionnel : il est au service de son épouse, femme active débordée, de sa fille adorée, du fiancé de sa fille qui a élu domicile chez lui, et surtout de sa vieille mère, noble déchue qui s’obstine à vivre au-dessus de ses moyens. Un jour, son ami Alfonso lui ouvre les yeux : tous les hommes de sa génération, malgré leurs airs respectables, ont une maîtresse. Gianni tente alors de changer les choses...

 

En 2011, l'acteur-réalisateur Gianni Di Gregorio est de retour derrière la caméra après son Déjeuner du 15 août, comédie italienne très amusante. Le cinéaste ne change pas une formule qui marche. Ainsi, il décide à nouveau de faire une chronique italienne autour de son personnage qu'il a créé de toutes pièces. Par ailleurs, pour ceux qui ont vu Le déjeuner du 15 août, quelques personnages sont de retour. C'est le cas notamment de la mère de Gianni. Elle continue ici déranger son fils pour des broutilles.

 

Surtout, comme l'indique le titre, ce long métrage est marqué par la relation entre Gianni et les femmes. A savoir toutes les femmes. Il y a évidemment la relation avec sa mère, qu'il essaie d'arnaquer en tentant de récupérer son appartement. Mais la mère est plus maligne qu'il ne le pense. Si elle aime son fils, elle lui rend tout de même bien la pareille comme on pourra aisément le constater ! Tout cela se passe évidemment sur le mode de l'humour.


Du côté de sa relation sentimentale avec les femmes, Gianno les aime toutes. Il s'intéresse aussi bien à ses anciens amours qu'à de belles jeunes femmes. Et en bon italien, il apprécie les attributs féminins, notamment les fortes poitrines. Complètement obsédé par les femmes, il ne peut pas s'empêcher de les séduire. Mais Gianni n'a plus 20 ans et ce séducteur sur le déclin est victime de son âge. Il ne peut plus faire illusion comme auparavant. Les femmes se rendent compte que Gianni les apprécie et  elles profitent de lui. On peut citer entre autres sa belle voisine qui le "branche" gentiment et en retour Gianni lui fait ses courses. Du côté de ses anciennes amours, elles rentrent dans  son jeu pour obtenir un bon repas, car Gianni est un vrai cordon bleu.


Le film joue la carte de l'humour à fond. Si Gianni est très présent, il laisse également la part à d'autres personnages hauts en couleurs. On retiendra la présence de la mère de Gianni, particulièrement lucide. On a aussi le petit ami de la fille de Gianni qui squatte son appartement. Ou encore le Saint-Bernard de la voisine de Gianni que celui-ci promène de temps à autre (notamment lors d'une scène où il est complètement à côté de ses pompes).

Tous les acteurs sont attachants et prennent leur rôle à cœur de façon complètement naturelle, à tel point qu'on n'a pas l'impression qu'ils jouent. Gianni Di Gregorio est évidemment le plus remarquable d'entre eux, étant capable de faire sourire le spectateur par son amour immodérée des femmes et la façon dont il se fait "jeter" à chaque fois. Mais les autres acteurs sont aussi très bons. Quant aux actrices, elles sont très belles, en plus de savoir bien jouer, ce qui ne gâche rien. On a presque l'impression de voir un film italien de la grande époque avec des personnages masculins dragueurs et des actrices charmantes.

 

S'il n'est pas vraiment marquant par sa mise en scène, Gianni et les femmes vaut avant tout pour ses de tranches de vie et ses personnages amusants. Le film est léger et permet de passer un bon moment. C'est un divertissement de qualité. La fin du film, qui se déroule sur l'excellente morceau des Pixies Here comes your man, est particulièrement drôle et n'est pas sans rappeler d'une certaine manière un certain Very bad trip... A la  différence près qu'il s'agit d'un fantasme ! Voilà une comédie méconnue en France qui mériterait de sortir de l'anonymat.

13 mars 2025

Jeunesse perdue de Pietro Germi (critique film + blu ray)

Titre du film : Jeunesse perdue

 

Réalisateur : Pietro Germi

 

Date de sortie au cinéma : 2 avril 1948 (en Italie)

 

Origine : Italie

 

Durée : 1h20

 

Avec : Massimo Girotti, Carla Del Poggio, Jacques Sernas, Franca Maresa, Diana Borgese, etc.

 

Editeur : Tamasa Distribution

 

En blu ray le 14 mars 2025

 

Synopsis : Marcello Mariani, jeune inspecteur de police, se fait passer pour un étudiant dans une université afin d'enquêter sur un meurtre. L'investigation se complique dès lors que le policier se rapproche de la sœur du principal suspect...

 

 

Après la sortie en septembre 2023 sur support physique du Chemin de l'espérance (1950) et Séduite et abandonnée (1964), l'excellent éditeur Tamasa Distribution continue son exploration de l’œuvre de Pietro Germi. C'est dorénavant Jeunesse perdue qui a droit à son combo blu ray/DVD.

 

Pour la plupart des gens, le cinéaste transalpin est l'auteur de comédies cultes comme Meurtre à l'italienne (1959), Divorce à l'italienne (1961) ou Ces messieurs dames (1966), palme d'or à Cannes en 1966. Et pourtant, les films sortis par Tamasa Distribution montrent de façon évidente que Germi est un auteur bien plus hétéroclite que ce que l'on peut imaginer. Le chemin de l'espérance marche sur les pas du néo-réalisme avec un aspect mélodramatique. Pour Séduite à abandonnée, on se situe à la fois dans un registre comique et cynique. Quant à Jeunesse perdue, second film de Pietro Germi, il est dans la lignée des classiques hollywoodiens avec toutefois un environnement local.

 

D'ailleurs, pour appréhender au mieux Jeunesse perdue, il est important de faire un point sur le contexte historique. Après des années de fascisme, la République italienne est proclamée le 2 juin 1946. L'Italie entre alors (pour longtemps) dans une période politique instable avec un régime de type parlementaire. Terminé à l'automne 1947, Jeunesse perdue est victime de la censure et n'aurait sans doute pas pu sortir sur les écrans sans une mobilisation générale de la gauche de l'époque.

 

Mais pourquoi chercher à censurer un film où un inspecteur de police s'infiltre dans le milieu étudiant suite à un braquage ayant mal tourné ? Tout simplement car le réalisateur Pietro Germi effectue une association d'idées (bourgeoisie et délinquance) qui ne plaît pas du tout au gouvernement. Le long métrage s'intéresse à un jeune homme, fils d'un professeur d'université, qui commet des délits non pas pour survivre mais pour améliorer son niveau de vie. Il va sans dire que ce lien entre bourgeoisie et délinquance était très peu apprécié par Giulio Andreotti, membre d'un comité de censure, homme politique italien parmi les plus célèbres du XXème siècle.

 

Cela reste une fiction mais la dimension politique est évidente dans cette Italie au sortir de la guerre. Pietro Germi va même jusqu'à critiquer l'hermétisme des classes sociales. Dans Jeunesse perdue, il est ainsi question d'un amour (impossible) où la raison l'emporte bien souvent sur les sentiments : “Je veux comprendre votre situation financière” déclare une des protagonistes. La bourgeoisie ne se mélange pas facilement avec le reste de la population. Cette romance sur fond d'intrigue policière n'augure rien de bon.

 

Si Jeunesse perdue se situe en Italie dans un contexte social assez lourd et fait partie de la mouvance des films néo-réalistes, c'est aussi un film sous influence américaine. Ce long métrage utilise les codes du film noir, qu'il s'agisse entre autres de ruelles sombres, de gros plans sur un revolver ou encore de la femme fatale dans le cabaret. Le film est clairement dans la lignée des films noirs américains. D'ailleurs, le synopsis rappelle étrangement celui de L'ombre d'un doute d'Hitchcock (1943) où l'action se déroule dans la bourgeoisie. Il est en effet question d'un homme suspecté d'être un tueur de riches veuves.

 

Pietro Germi était alors passionné par le cinéma hollywoodien, revenu sur les écrans italiens après la guerre. Il est donc logique qu'il se soit inspiré des grands maîtres avec ici Hitchcock. Pour Le chemin de l'espérance, il s'inspirera cette fois des Raisins de la colère de John Ford. Pour les deux films, il a d'ailleurs réussi à en faire des œuvres personnelles, que l'on peut assimiler au néo-réalisme italien.

 

Notons que la réussite du film tient évidemment à sa distribution de qualité. Le français Jacques Sernas crève l'écran dans le rôle de ce jeune dandy à la beauté froide et au côté implacable par les actes amoraux qu'il commet. A ses côtés, Massimo Girotti campe un policier infiltré prêt à tout pour débusquer le coupable, y compris à sacrifier sa vie privée. Quant à Carla Del Poggio, elle joue subtilement le rôle de cette femme amoureuse enfermée dans son statut social.

 

Film atypique ou en tout cas méconnu de Pietro Germi, Jeunesse abandonnée est une belle rareté. Pas le meilleur film de son auteur mais une œuvre intéressante, dans la lignée des films noirs hollywoodiens avec en toile de fond le contexte italien de l'époque. A découvrir.

 

Caractéristiques du blu ray éditée par Tamasa Distribution :

 

L'image : Le film a été restauré en 4K en 2021 à partir des négatifs originaux. Le résultat à l'écran est magnifique, ce qui est d'autant plus marquant pour un film noir.

 

Le son : Le film est disponible en version italienne sous-titrée français. Aucun défaut constaté. On entend clairement la voix des acteurs. Le film se suit vraiment de manière très agréable.

 

Les suppléments : Le blu ray comporte un bonus intitulé Entre néoréalisme et film noir (35mn31). L'intervenante, Aurore Renaut, est passionnante à écouter. Elle revient notamment sur le contexte politique de l'époque en Italie. Elle évoque longuement la question de la censure, qui a concerné en premier chef le film de Pietro Germi. Par ailleurs, elle détaille parfaitement l'aspect film noir de Jeunesse perdue en établissant un parallèle avec l'oeuvre d'Hitchcock. Enfin, on apprend que le film a été plébiscité par la critique et qu'il a rencontré un grand succès en Italie, même s'il est peu connu en France,

Le blu ray comporte aussi les films annonce de trois films de Pietro Germi ressortis au cinéma : Au nom de la loi, Le chemin de l'espérance et Séduite et abandonnée.

Il convient d'ajouter que le joli digipack édité par Tamasa Distribution dispose également d'un livret de 12 pages intitulé “Jeunesse perdue, une école du crime ?”. Les éléments décrits constituent un complément direct au bonus du blu ray puisqu'il est à nouveau question de la censure, de l'influence d'Hitchcock et des différences sociales.

3 mars 2025

Miséricorde d'Alain Guiraudie (critique film + blu ray)

Titre du film : Miséricorde

 

Réalisateur : Alain Guiraudie

 

Date de sortie au cinéma : 16 octobre 2024

 

Origine : France

 

Durée : 1h43

 

Avec : Félix Kysyl, Catherine Frot, Jean-Baptiste Durand, Jacques Develay, David Ayala, etc.

 

Editeur : Blaq Out

 

En blu ray et DVD le 4 mars 2025

 

Synopsis : Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s'installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue...

 

 

Réalisateur singulier dans le paysage cinématographique français, Alain Guiraudie a tourné son dernier long métrage, Miséricorde, dans l'Aveyron. L'action se déroule ainsi dans un village en apparence sans histoire. Le retour de Jérémie, venu pour enterrer son ancien patron, va raviver des tensions et révéler des sentiments enfouis jusque-là.

 

Jérémie confie ainsi à Martine, une veuve pas franchement éplorée, qu'il avait un fort attachement pour son ex patron. Dans le cinéma de Guiraudie, cela signifie que la relation ne se limitait sans doute pas à un lien professionnel... Moins érotique que certains de ses précédents longs métrages, Miséricorde n'en demeure pas moins une œuvre ouvertement homosexuelle. Volonté de choquer ? Pas du tout. C'est au contraire un souhait pour le réalisateur de casser les codes et de laisser son empreinte.

 

Cela risque d'en déconcerter plus d'un tant on n'a pas l'habitude de voir dans des films traditionnels des hommes déclarer leur attirance pour des personnes du même sexe. Et puis Alain Guiraudie ne s'arrête pas là puisqu'il met en scène des relations entre de jeunes hommes et des personnes plus âgées. Là encore le spectateur ne connaissant pas le cinéma de Guiraudie risque d'être surpris. Tout cela donne lieu à des séquences étonnantes, à la fois amusantes et inattendues.

 

C'est dans la forêt avoisinant le village que les différents protagonistes trouvent comme par magie systématiquement sous leurs pieds des champignons. Cette forêt est aussi le lieu de rencontre insolite donnant la possibilité aux personnages de laisser libre cours à leurs envies. Ce sont aussi bien des étreintes (suggérées) que des moments de lutte, résultats de frustrations qui ne demandent qu'à exploser au grand jour. Dans ce contexte, dans ce film au ton unique, un événement tragique va avoir lieu et justifier le nouveau ressort dramatique de Miséricorde.

 

Ne nous y trompons pas, Miséricorde ne cherche pas la vraisemblance dans ce récit. Alors que le film se présente au départ comme une sorte de chronique rurale où chacun a ses petits secrets et ses frustrations, il dérive donc progressivement vers un polar quasi surréaliste. Tandis que l'histoire pourrait être dramatique, Guiraudie décide de la traiter de façon décalée, à la limite du burlesque, avec des personnages hauts en couleurs.

 

Il y a d'abord la veuve Martine faisant preuve de beaucoup de gentillesse auprès de Jérémie et qui l'héberge comme si c'était un membre de sa famille. Qu'attend-elle en retour ? Autre personnage marquant, cet ancien agriculteur alcoolique vivant seul et recevant durant ses journées le fils de Martine... On n'omettra pas de parler de ce curé intrigant et omniprésent. Il comprend bien ce qui se trame derrière tout cela et aura jusqu'au bout un rôle central à jouer. D'ailleurs, on comprend aisément que le titre du film est une façon pour Giraudie de tester de façon jusqu'au-boutiste (mais pas forcément désintéressée) la notion de miséricorde. Quant aux gendarmes, ils vont jusqu'à s'introduire chez les suspects, en pleine nuit, pour mener leur enquête et vérifier leur alibi !

 

S'il paraît au premier abord assez futile au regard de son parti pris, Miséricorde a le mérite d'interroger la notion de culpabilité et de pardon. Le réalisateur Alain Guiraudie ne cherche nullement à théoriser la question et laisse chacun se faire sa propre opinion. Il en va de même pour la fin ouverte du film.

 

Quelques mots sur la distribution qui doit beaucoup à la réussite de ce long métrage. Félix Kysyl est excellent dans le rôle principal, à savoir celui de Jérémie. On retrouve également avec plaisir Catherine Frot dans le rôle important de Martine. L'actrice n'a aucun mal à se fondre dans l'univers de Guiraudie. On notera également la présence de Jean-Baptiste Durand, le réalisateur de Chien de la casse. En tant qu'acteur, il est tout à fait crédible. Un dernier mot sur Jacques Develay, incroyable de naturel dans le rôle de ce prêtre très spécial...

 

Avec Miséricorde, Alain Guiraudie livre un film décalé et amusant, un faux polar, qui risque toutefois de gêner certaines personnes par son aspect volontairement homosexuel. Pour les autres, entrez dans cette œuvre sortant des sentiers battus, à l'intérieur de cette forêt où il se passe bien des choses !

 

Caractéristiques du blu ray édité par Blaq Out :

 

L'image : elle est d'excellente facture. On appréciera que pour un tel film, on puisse bénéficier d'un blu ray.

 

Le son : il est disponible dans un dolby digital 5.1 (et en stéréo) lui aussi tout à fait appréciable. L'éditeur Blaq Out propose comme souvent le film en audio-description et la possibilité de le visionner avec des sous-titres pour sourds et malentendants. Une initiative à nouveau bienvenue !

 

Bonus : on a droit à un entretien avec le réalisateur Alain Guiraudie (30mn44). Le cinéaste revient dans le détail sur son film et notamment ses intentions. On apprend notamment qu'il avait depuis le départ le titre du film et comptait d'ailleurs pousser jusqu'au bout le concept de miséricorde. Alain Guiraudie signale également qu'il laisse ses acteurs assez libres ou encore qu'il souhaite laisser une part de mystère afin que chacun se fasse sa propre idée. On apprend aussi que la forêt dans le film sert d'environnement pour ce qu'il qualifie de conte avec ce village à l'aspect intemporel. Guiraudie indique aussi qu'il voulait faire un film érotique (sans acte sexuel), avec la notion de désir, même si elle n'est pas réciproque. Ce seul bonus est un excellent complément au film.

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 50 60 70 80 > >>
Déjantés du ciné

Site indépendant proposant plus de 700 critiques de films américains, asiatiques et européens, dans tous les genres (action, comédie, documentaire, drame, romance, fantastique et S-F, horreur, policier, politique, thriller, western, etc.)
Voir le profil de Tchopo sur le portail Canalblog

Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité