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Déjantés du ciné
27 novembre 2008

Le sabreur solitaire de Chang Cheh

Le_sabreur_solitaire Réalisé par Chang Cheh
Titre international : Have sword, will travel
Année : 1969
Origine : Hong Kong
Durée : 108 minutes
Avec : David Chiang, Ti Lung, Li Ching, Ku Feng,...

Fiche IMDB

Résumé : Un chevalier solitaire décide d'escorter une petite troupe de convoyeurs qui emmènent un chargement d'or à l'autre bout du pays. Mais un redoutable gang de voleurs va chercher par tous les moyens à mettre la main sur le butin...


Cet avis contient des spoilers, il vaut donc mieux avoir vu le film avant d'en entreprendre la lecture.

Je tiens à préciser que ce n'est pas vraiment une critique, plutôt une notule allongée, que j'avais au départ prévu de ranger dans la rubrique En bref. Vu la longueur du texte, j'ai néanmoins préféré le classer dans les critiques...

Cette production Shaw Brothers est le premier film du réalisateur hongkongais Chang Cheh à réunir les talents de deux acteurs cultes de la célèbre compagnie hongkongaise, David Chiang et Ti Lung, avant l’incroyable La rage du tigre du même auteur (et avant bien d’autres, comme les excellents Vengeance ou encore Duel sauvage, toujours de Chang Cheh).

Le sabreur solitaire est aussi l’un de ses métrages les plus réussis et les plus émouvants, moins barbare que les œuvres ultérieures.

Le cinéaste offre un wu xia pian qui s’inspire notamment des chambaras japonais : il suit en effet les errances d’un sabreur d’une grande rigueur morale nommé Yi Lo, interprété avec sobriété par David Chiang, proche des ronins, les samouraïs sans maître, qui préfère la pauvreté et l’honnêteté à la gloire et l’injustice, malgré ses aptitudes inégalées à l’épée. Une scène magnifique voit ce sabreur vendre son bien-aimé cheval pour une somme dérisoire pour pouvoir se payer un maigre repas. La dignité semble être son seul guide.

Chevalier sans attache et solitaire, ce personnage tragique croise le chemin d’un couple composé de Siang (Ti Lung) et Yun Piao-piao (la belle Li Ching [ou Ching Lee]) qui défend son clan contre un cruel seigneur sans foi ni loi (le toujours excellent Ku Feng) qui n’hésite pas à éliminer les personnes qui le gênent dans sa soif de reconnaissance et de richesse et qui a décidé de mener une guerre meurtrière contre ce fameux clan afin de lui dérober son butin.

Le chevalier va malgré lui semer le trouble chez le jeune couple, Yun Piao-piao (Li Ching, donc) fiancée à Siang (Ti Lung) n’étant pas insensible à son charme et son sort, provoquant bien évidemment la jalousie de Siang, jalousie d’ailleurs aussi bien sentimentale que technique, Yi Lo (David Chiang) étant visiblement plus doué à l’épée.

Chiang semble exercer une fascination chez Chang Cheh, qui le filme avec amour mais aussi avec sadisme, le cinéaste n’hésitant pas à l’humilier sans cesse avec une certaine jubilation. Tout admirateur de Chang Cheh se souvient des morts affreuses que le réalisateur lui a concoctées dans Les 13 fils du dragon d’or (un écartèlement graphique d’une incroyable sauvagerie, où Chiang finit complètement démembré, ses bras et ses jambes arrachées et traînées loin du tronc humain restant par les chevaux) ou encore dans le très beau Frères de sang (dans lequel Chiang meurt éviscéré).

Dans Le sabreur solitaire, Chang Cheh fait mourir Chiang pas moins de deux fois, la première dans un flashback mensonger mais très sanglant dans lequel Chiang imagine sa mort, transpercé de toutes parts par ses ennemis ; la deuxième étant sa mort effective, dans un bain de sang mais de manière héroïque, à moitié éviscéré, le corps déchiré.

Cette sacralisation de la mort semble être obsessionnelle chez Chang Cheh, qui la met en scène de manière quasi-mythologique, inscrivant certes à jamais ses héros dans l’Histoire, mais démontrant également un désir maladif de filmer l’agonie infinie de ses personnages (masculins).

On peut donc évidemment se poser la question de savoir si Chang Cheh veut filmer la naissance de héros (masculins) ou leur mort, ceux-ci prenant véritablement chair dans leur mort atroce et interminable. Il semblerait que ses personnages (masculins) doivent être sacrifiés de la manière la plus inhumaine pour prendre vie. D’ailleurs, les femmes sont totalement exclues de ces jeux sadiques : lorsqu’elles meurent, c’est toujours rapidement, de manière non héroïque. Seuls les hommes ont droit au sacrifice, à une mort sadique et mythique à la fois.

Dans Le sabreur solitaire, le personnage de Li Ching n’est pas antipathique (à la différence de certains autres films de Chang Cheh), mais c’est tout de même elle qui provoque l’animosité entre David Chiang et Ti Lung, sans chercher à arranger les choses, bien au contraire. La jeune femme ne sert qu’à valoriser les deux personnages masculins et n’intervient que très peu dans les combats. Elle n’est pas vraiment vénale mais bien la cause indirecte de la mort de David Chiang, comme dans la plupart des films de Chang Cheh. Le cinéaste semble très peu s’intéresser à elle, même si son personnage est tout de même moins négatif que dans d’autres œuvres de Chang Cheh.

Non, c’est bel et bien le duel entre Chiang et Ti Lung qui a droit à toute l’attention du réalisateur et surtout dans son acharnement à tuer Chiang. Si les débordements graphiques sont moins importants que dans La rage du tigre, sommet de barbarie, ou d’autres films ultérieurs, la longue scène d’affrontement final, où Chiang se bat presque tout seul contre un nombre incalculable d’adversaires et finit complètement ensanglanté, ses vêtements déchirés, laisse libre cours à toute la fureur destructrice de Chang Cheh, où celui-ci allonge incroyablement l’agonie de Chiang, mourant dans des geysers de sang, entouré d'un nombre impressionnant de cadavres. L'utilisation du ralenti magnifie encore cette mort terrible, comme si Chang Cheh voulait encore la freiner, comme s'il voulait que cette mort dure éternellement.

Constamment partagé entre héroïsme et sadisme, Le sabreur solitaire est une œuvre typique du style si reconnaissable de Chang Cheh. Si on peut préférer le raffinement de King Hu, la philosophie martiale de Liu Chia-liang ou la fantaisie et la poésie de Chu Yuan (ce qui est mon cas), il faut reconnaître que la mise en scène de Chang Cheh reste unique, impure, ambigüe mais d’une jubilation sadique absolue, provoquant un sentiment étrange chez le spectateur, entre dégoût et fascination. C’est sans doute ce qui fait tout le prix et l’originalité de l’œuvre du grand cinéaste chinois…

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