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Déjantés du ciné
13 septembre 2009

Un nommé Cable Hogue de Sam Peckinpah

Cable_Hogue Réalisé par Sam Peckinpah
Titre original : The ballad of Cable Hogue
Année : 1970
Origine : Etats-Unis
Durée : 121 minutes
Avec : Jason Robards, Stella Stevens, David Warner, Strother Martin, Slim Pickens, L. Q. Jones, Peter Whitney,...


Fiche IMDB

Résumé : Un prospecteur est abandonné dans le désert par ses associés. Après quatre jours de marche, il découvre un point d'eau sur la piste de la diligence : sa fortune est faite.


Ce texte contient des spoilers : il est donc conseillé de visionner le film avant d'entreprendre la lecture de cet avis.

Ce western américain très étrange a été réalisé en 1970 par l'immense cinéaste Sam Peckinpah, juste après son chef d'oeuvre barbare et cultissime La horde sauvage en 1968 et juste après son non moins barbare et non moins culte Les chiens de paille en 1971.

Film existentialiste et humaniste au ton léger (mais dont le contenu est loin d'être léger), Un nommé Cable Hogue semble être une oeuvre où Peckinpah a voulu prendre le contrepied de son célèbre La horde sauvage. Le cinéaste, traitant comme à son habitude de la fin de l'Ouest et l'arrivée de la modernité, s'intéresse particulièrement au portrait d'un homme simple (voire naïf) nommé Cable Hogue, magistralement interprété par l'excellent Jason Robards (le Cheyenne de Il était une fois dans l'Ouest de Leone [1968], autre grand film sur la disparition de l'ouest), qui découvre un puits d'eau au milieu du désert et décide de s'y installer, refusant la vie urbaine.

N'hésitant pas à utiliser le burlesque (comme les plans en accéléré, antithèse de ses célèbres ralentis, ou encore l'utilisation presque cartoonesque du split-screen lors du générique de début) et la fantaisie, Peckinpah signe ici son film le plus drôle, mais aussi le plus tendre et le plus sensible et offre une fable morale légère mais désenchantée qui est aussi une métaphore de la construction de l'Amérique, entre capitalisme, esprit de propriété, solidarité et individualisme.

Le personnage de Cable Hogue est lui-même dual, égoïste et généreux à la fois, bourru et tendre, cynique et candide. Sa rencontre avec la belle prostituée Hildy (une affriolante Stella Stevens) va être le coeur du film, cette Hildy également double, moderne (alors que Hogue est plutôt passéiste), attirée par l'argent mais aussi capable d'être la plus charmante et généreuse des épouses.

Peckinpah démontre toute sa sensibilité à travers cette relation improbable mais poignante entre deux êtres opposés et pourtant si proches et fait taire toutes les accusations de misogynie dont il a souvent fait l'objet, alternant avec une incroyable fraîcheur scènes de comédie pure et scènes plus retenues (comme cette fabuleuse séquence où Hildy vient rejoindre Cable dans son oasis, dans laquelle Peckinpah filme ses deux protagonistes dans une lumière en demi-teinte en train de se préparer et de se déshabiller chacun de leur côté, avant de se rejoindre dans la chambre, comme un couple profondément amoureux, qui est assurément l'une des plus belle scènes tournées par le cinéaste). Car ce qu'il filme avant tout, avant même la disparition de l'Ouest, c'est l'histoire d'amour qui naît et qui dure entre deux doux rêveurs, en dépit du changement de la société.

Un troisième personnage mérite également l'attention : celui du pasteur obsédé sexuel interprété tout en finesse par l'excellent David Warner. Malgré ses défauts, sa maladresse et son érotomanie (il faut le voir consoler une jeune femme, dont le frère vient de mourir, en lui malaxant les seins !), ce personnage paillard qui ne demande qu'à profiter pleinement de la vie est foncièrement attachant. Peckinpah en profite pour donner une image résolument anticléricale de l'Eglise, tout en admettant qu'il a lui-même la foi (il suffit de penser à la scène d'ouverture du film, où on voit Cable Hogue, abandonné sans eau en plein désert par ses deux associés, invoquer Dieu, qui le sauvera en le faisant tomber par hasard sur une source d'eau).

Cela dit, Un nommé Cable Hogue, malgré un ton qui semble insouciant, est empreint de la mélancolie chère à Peckinpah, même si cette mélancolie est moins marquée que dans La horde sauvage (1968) ou son magnifique Pat Garrett et Billy the Kid (1973), peut-être le plus beau film de Peckinpah (c'est mon préféré). Tout au long du film plane ce désenchantement tempéré par un humour omniprésent, et la sublime scène finale voit Cable Hogue se faire renverser par la voiture de Hildy (objet qui représente le venue du progrès) et mourir dans la joie et la bonne humeur par une ellipse d'une grande audace.

Comme souvent chez Peckinpah, la société actuelle n'a plus de place pour des hommes tels que Cable Hogue, mais aussi Pat Garrett, Billy the kid (dans Pat Garrett et Billy the Kid ou Pike Bishop et ses compagnons (dans La horde sauvage), et ceux-ci doivent alors disparaître à jamais du cadre, dans un immense bras d'honneur, pour laisser la place au règne du capitalisme et du profit.

Un nommé Cable Hogue fait donc bien partie des films crépusculaires de Peckinpah, mais le style du film, tout en ruptures de ton, marqué par l'humour, voire le grotesque de certaines situations, est tout à fait inhabituel dans le cadre du western, tout comme dans les autres films du cinéaste.

Ce film est d'ailleurs un western quasiment sans coups de feu, sans méchants non plus, qui ne se concentre que sur les rapports entre des gens remplis de qualités et de défauts. Tous les poncifs des codes du western sont bannis, et même la vengeance de Cable Hogue contre ses associés tourne court.

Au contraire, ce qui ressort est cet oasis de paix, utopique et quasi-miraculeux, loin de la ville et de ses notables antipathiques qui ne jurent que par l’argent, que s'est créé Cable Hogue, où tout est possible et où les gens peuvent être libres, être tout simplement eux-mêmes et jouir pleinement de la vie, du sexe, du bonheur, que cela soit Cable, Hildy ou le pasteur. Cette liberté à tout prix est une autre thématique essentielle de l'oeuvre de Peckinpah, qui s'exprime ici de manière malicieuse mais néanmoins frontale.

Une nommé Cable Hogue est sans conteste une des oeuvres majeures de Peckinpah, qui demeure encore largement méconnue. C'est fort dommage, car loin de se limiter à des explosions de violence barbare ou à de la misogynie, Peckinpah est aussi un cinéaste doté d'une grande sensibilité et d'une ironie particulièrement mordante, tout à fait capable de filmer une histoire d'amour dénuée de dérision et de cynisme.

Entre la première scène de rencontre entre Hildy et Cable, où le cinéaste ne cesse de zoomer sur la superbe poitrine de Stella Stevens, et la scène finale, où Hildy, devenue une dame respectable, dans une tenue noire d'une sobriété exemplaire, très loin des vêtements sexy qu'elle a portés durant tout le film, avec les yeux voilés, se recueille sur la tombe de Cable, le cinéma est passé par là, transformant l'insouciance et la gaieté du début du film en profonde mélancolie, même si cette mélancolie est dénuée de tragique par l'attitude de Cable sur le point de disparaître. Car c'est aussi le monde qui a changé et vu inexorablement disparaître le mythique temps des pionniers. Un monde où Hogue n'a plus sa place.

Peckinpah a souvent dit que ce film était son préféré, car le plus proche de lui. En effet, il semblerait que Cable Hogue et Sam Peckinpah ne fassent qu'un. C'est en tout cas l'un de ses films les plus personnels et l'un de ses plus beaux, l'un des plus étranges aussi, qui mérite absolument d'être redécouvert.

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