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Déjantés du ciné
10 octobre 2009

Diary of the dead de George A. Romero

Diary_of_the_dead Réalisé par George A. Romero
Titre original : Diary of the dead
Année : 2007
Origine : Etats-Unis
Durée : 95 minutes
Avec : Michelle Morgan, Joshua Close, Shawn Roberts, Amy Ciupak Lalonde, Joe Dinicol, Scott Wentworth, Philip Riccio, Chris Violette, Tatiana Maslany, Todd Schroeder,...


Fiche IMDB

Résumé : Des étudiants en cinéma tournent dans une forêt, un film d’horreur à petit budget, lorsque la nouvelle tombe au journal télévisé : partout dans le pays, on signale des morts revenant à la vie. Témoins de massacres, de destructions et du chaos ambiant, ils choisissent alors de braquer leurs caméras sur les zombies et les horreurs bien réelles auxquels ils sont confrontés afin de laisser un témoignage de cette nuit où tout a changé...


Ce texte contient des spoilers : il est donc conseillé d'avoir visionné le film avant de lire cet avis.

Cinquième volet de la saga réalisé en 2007 par le cinéaste américain George A. Romero sur les morts-vivants, après les impressionnants La nuit des morts-vivants (1968), Zombie (1979), Le jour des morts-vivants (1985) et Land of the dead (2005), Diary of the dead, comme son nom l'indique, se présente sous la forme d'un journal vidéo filmé, combinant plusieurs sources d'images censées être montées par les héros du film Jason Creed, joué par Joshua Close, et sa copine Debra Moynihan (dite Deb), interprétée par la charmante Michelle Morgan.

Le début du film est un reportage dans lequel une journaliste commente le meurtre d'un couple d'immigrés, lorsque soudain ceux-ci se relèvent, attaquent violemment et finissent par tuer les policiers, les ambulanciers et même la journaliste, en les dévorant. Romero introduit donc son thème favori, les morts-vivants, en critiquant déjà la médiatisation à outrance d'un fait divers impliquant par ailleurs des étrangers (qui sont évidemment mal vus depuis les attaques terroristes) et en punissant ironiquement la coupable.

Le spectateur fait ensuite connaissance avec les principaux protagonistes du film : une bande d'étudiants en cinéma (parmi lesquels les deux héros, Jason Creed et sa copine Debra essayant de réaliser un film d'épouvante avec une momie, hommage évident au classique de Karl Freund avec le grand Boris Karloff, La momie (1932).

Romero en profite pour se moquer gentiment des codes du film d'horreur, à la façon du célèbre Scream (1995) de Wes Craven, notamment du statut réservé aux jolies victimes féminines qui passent leur temps à fuir dans la gueule du loup en déchirant leurs vêtements et en exhibant leurs poitrines, scène à laquelle fera écho une autre scène à la fin du film où la belle actrice blonde Tracy Thurman (interpétée par Amy Ciupak Lalonde), qui jouait la victime de la momie dans le film amateur des étudiants, fuyant un mort-vivant bien réel, se réfugiera dans les bois en déchirant sa robe et en montrant ses seins par inadvertance !

Mais surtout Romero, par le biais de l'apprenti cinéaste Jason Creed qui demande à l'acteur jouant la momie de se déplacer moins rapidement, se réapproprie au passage la figure du mort-vivant telle qu'il l'avait définie dans son film fondateur La nuit des morts-vivants, figure qui avait été bien malmenée depuis les films (par ailleurs plutôt intéressants) 28 jours plus tard (2002) de Danny Boyle et le propre remake du film de Romero, Zombie, L'armée des morts (2004) de Zack Snyder, dans lesquels les zombies étaient ultra-rapides et dépouillés de leur résonance politico-sociale pour devenir de simples assaillants lambdas.

Si Diary of the dead semble au départ suivre la mode initiée par le célèbre Le projet Blair witch (1999) de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez (déjà inspiré par le très culte Cannibal holocaust de Ruggero Deodato, qui date de 1980), métrage censé être filmé par ses protagonistes, et poursuivie par d'autres films d'épouvante comme les excellents [REC] de Jaume Balaguero et Paco Plaza, qui date de 2007 (la même année que Diary of the dead), Cloverfiled (2008) de Matt Reeves ou encore plus récemment le début du passionnant District 9 (2009) de Neill Blomkamp, la démarche de Romero, loin de se réduire à un effet de style comme dans la plupart des films cités précédemment, se justifie ici pleinement.

En effet, Romero utilise la forme du journal vidéo pour dénoncer sans détour les dérives de la médiatisation et de l'information. Au départ, Jason Creed, qui a des ambitions de documentariste (comme Romero à ses débuts, d'ailleurs la forme de son premier film, La nuit des morts-vivants, se rapproche fortement du documentaire), puis sa fiancée Debra, veulent filmer la prolifération inexpliquée des morts-vivants pour en informer le monde.

Mais le spectateur se rend bien compte qu'au fur et à mesure, Jason se laisse parasiter par le goût du sensationnalisme qui finit par obstruer sa capacité de jugement, au point de mettre en danger son équipe (comme dans la scène où il refuse de porter secours à Tracy, poursuivie par Ridley [joué par Philip Riccio], qui avait déjà endossé le rôle de la momie du film amateur, mais maintenant devenu zombie réel ;  pour pouvoir simplement filmer la séquence).

Car finalement, les ambitions artistiques de départ affichées par Jason ne pèsent plus face à l'envie de reconnaissance à tout prix qu'il cherche. Dès que celui-ci a mis en boîte une séquence, il l'envoie immédiatement sur Internet et surveille les téléchargements, exultant lorsque le nombre de téléchargement par les internautes se révèle important.

Jason a beau vouloir dire la vérité aux gens (mais peut-on dire la vérité en filmant alors qu'on se réfugie derrière une caméra ?), ses vidéos se perdent dans le réseau au milieu des autres. Comme le constate justement Debra, chacun veut donner sa vérité des choses, mais il y autant de vérités (ou de mensonges) que de vidéos envoyées sur le réseau, d'autant que souvent cette soi-disant vérité des choses est déformée par la recherche de sensationnalisme et par l'objectif de la caméra. D'ailleurs, il n'existe pas de vérité objective : toute « vérité » peut donc être également considérée comme un mensonge.

En outre, l'image enregistrée par la caméra n'est pas en elle-même le reflet de la réalité, mais plutôt le reflet de la pensée de celui qui l'a créée. « Ce n'est pas une image juste, c'est juste une image », disait Jean-Luc Godard.

Dans un monde saturé d'images de toute sorte (télévision, Internet, publicités, home movies,... ), l'information finit par se diluer dans la masse et par perdre toute signification, tout poids. Trop d'information tue l'information, semble vouloir dire Romero...

De ce point de vue, Diary of the dead se rapproche du sublime Redacted de Brian De Palma, tourné la même année 2007. Les deux cinéastes font le même constat de la dictature de l'image, qui semble désormais la seule réalité aux yeux des hommes, alors qu'elle est très facilement manipulable, voire falsifiable.

Dans ces conditions, la scène finale du film dans laquelle on voit des images d'hommes en train de détruire de manière extrêmement sadique et juste pour le plaisir une morte-vivante (images censées être diffusées par ces mêmes hommes sur Internet) est d'une rare cruauté et se conclut sur une question fondamentale posée en voix off par Debra : l'humanité mérite-t-elle d'être sauvée ?

Car Romero, comme dans les autres opus de sa saga, considère ces morts-vivants comme le reflet de nous-même, les fantômes de nos peurs (peur du terrorisme, peur de l'autre,... ) qui finissent par littéralement nous dévorer. Ils sont comme un châtiment, une punition divine. Il sont aussi les signes d'une humanité qui court à sa perte. La scène où le professeur Brody (interprété par un très convaincant Todd Schroeder) a du mal à regarder son reflet dans le miroir est très significative à cet égard, d'autant qu'elle est directement raccordée à la séquence finale du film déjà citée. Ce sont bien les hommes eux-mêmes qui sont la cause du désastre.

Doté d'un budget assez limité, Diary of the dead utilise remarquablement ses décors minimalistes et ternes pour distiller une atmosphère désespérée, d'une insondable tristesse. L'extérieur semble ne pas exister autrement que par le biais des images reçues continuellement sur le Net, accentuant ainsi la sensation d'isolement des protagonistes. Romero parvient à créer un véritable suspense malgré les contraintes qu'il s'est fixées (le métrage est en effet censé être filmé par les personnages), notamment par l'insertion d'images provenant de caméras de surveillance et une utilisation efficace du hors-champ.

A ce titre, la remarquable séquence de l'hôpital, ludique et terrifiante à la fois, est un modèle de mise en scène : le spectateur, en position subjective (il ne voit que ce que voit la caméra de Jason, puisque la majeure partie du film de Romero est le film de Jason), sait que la caméra de Jason, qui veut tout filmer, a des problèmes de batterie : l'image ne cesse d'être coupée par intermittence. Il faut donc recharger la batterie et pour cela poser la caméra au sol et la brancher au courant du secteur ! Pendant ce temps, nous entendons Debra, qui est donc à ce moment hors-champ par la force des choses (puisqu'elle est allée explorer le lieu et que la caméra ne peut bouger du sol), pousser des cris et revenir ensuite, ensanglantée, dans le champ, armée elle-aussi d'une autre caméra trouvée dans l'hôpital. Filmée par la caméra de Jason toujours immobilisée au sol, Debra braque l'autre caméra sur lui, lui demandant ironiquement ce que cela fait d'avoir une caméra braquée constamment sur lui, puis elle lui fait ensuite remarquer qu'il a tout raté et lui demande s'il a besoin qu'elle repousse le cri qu'elle a poussé hors-champ pour son film (qui dot selon Jason retranscrire la réalité !), alors qu'elle était semble-t-il agressée par un zombie. Le spectateur, la voyant ensanglantée, est même amené à s'interroger sur la contamination ou non de Debra : le hors-champ, utilisé à des fins purement techniques (car en effet la caméra doit être rechargée) pour les protagonistes du film mais évidemment utilisé par Romero à des fins dramatiques, crée donc un véritable suspense. Debra repousse donc un faux cri devant la caméra de Jason, puis un autre cri, bien réel cette fois, lorsqu'arrive dans l'arrière-plan un nouveau mort-vivant qui se réveille ! Romero, de manière très ludique, s'amuse dans cette scène de la difficulté de démêler le vrai et le faux dans une image et continue d'inviter le spectateur à se méfier des images.

Tous les personnages paraissent dépasser par les évènements, formant des groupes distincts et ne se mélangeant pas, à l'exception du savoureux personnage de l'Amish sourd-muet qui acceptera d'aider sans rien demander en retour le groupe d'étudiants en cinéma, mais ce geste lui coûtera la vie.

Seul le personnage du professeur Brody, déjà cité, semble d'une certaine lucidité, prenant du recul par rapport aux évènements (à la différence des jeunes étudiants en cinéma qui font équipe avec lui) et n'ayant pas une vision de la violence formatée par les flux ininterrompus d'images diffusés constamment dans les médias. Volontiers cynique, il finira cependant par retrouver des instincts primitifs de survie et par prendre les armes (plutôt primitives par ailleurs, puisqu'il utilisera notamment un arc et un sabre).

Le personnage de Debra est aussi très intéressant, car il évolue progressivement au cours du film pour finir par devenir le porte-parole de Romero. En effet, si Debra ne se différencie pas au départ de ses amis étudiants, elle essaie de raisonner Jason tout au long du métrage et semble prendre plus de recul sur les choses au fur et à mesure. N'oublions par que c'est Debra qui pose la question finale sur l'avenir de l'humanité...

Mais cette vision pessimiste de l'humanité n'exclut pas une certaine poésie morbide : on peut citer par exemple la scène presque surréaliste dans laquelle l'un des personnages, Ridley, a placé les membres de sa famille devenus morts-vivants dans sa piscine, les faisant ressembler à des sortes de méduses.

Enfin, ce cinquième volet de la saga de Romero sur les morts-vivants est tout à fait cohérent avec les quatre autres opus. A chaque fois, Romero en profite pour aborder une thématique politique ou sociale, dressant ainsi un panorama passionnant de la société et de ses dérives. La nuit des morts-vivants (1968), par son côté brut et quasi-documentaire, est un film fondateur et mettait en cause l'individualisme de chacun, où Romero constatait que la mésentente entre les hommes aboutissait souvent à un désastre, tandis qu'il condamnait certains côtés fascistes de la société qui ne demandaient qu'à exploser. Zombie, en 1979, avait pour cible la société de consommation. Le jour des morts-vivants en 1985 critiquait fortement une certaine politique militaire. Enfin, Land of the dead en 2005 traitait du pouvoir politique et de ses manipulations, comme un cri lancé à George W. Bush, alors président des Etats-Unis.

Diary of the dead se situe donc bien dans la continuité des quatre films précédents en abordant frontalement la dictature de l'image et des médias. Romero continue de porter un regard critique sur la société actuelle, tout en n'oubliant pas de livrer un vrai film d'épouvante tendu et efficace qui peut être apprécié au premier degré. Le cinéaste a annoncé qu'il n'en avait pas encore fini avec ses zombies et est actuellement en train de tourner un sixième opus à sa célèbre saga.

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Commentaires
L
Tu as bien fait de proposer ce lien !! Moi aussi j'ai un faible pour le gore des 70's !
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B
bonjour et bravo pour cet article très complet. Je me suis permis de faire un lien vers celui ci car je cherchais des infos sur Romero...Et j'ai un petit faible pour le 'gore' des années 70...effets spéciaux (moi j'aime bien le terme effet trucage) pas top et scénar bien leger.;-)
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