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Déjantés du ciné
24 octobre 2009

Vaudou

i_walked_with_a_zombie

Vaudou de Jacques Tourneur

Année : 1943

Pays : USA

 

synopsis : Betsy, infirmière, est engagée aux Antilles par Paul Holland, séduisant et richissime planteur, afin de s’occuper de sa femme atteinte d’une maladie inexplicable.

 

Vaudou marque la deuxième collaboration de Tourneur avec le producteur Val Lewton ( après la féline aka « cat people »).

 

S'il est intéressant de se pencher sur Vaudou c'est , bien au-delà de ses qualités cinématographiques évidentes, parce que ce film nous permet de remonter à l'origine même du mot Zombi ( à noter que le titre originel est «  I walk with a zombi », autrement plus parlant et révélateur que le titre français).

 

Les zombi sont effet des créatures liées aux croyances et pratiques vaudou, désignant une personne revenue d'entre les morts : « un fantôme, un mort-vivant », selon la définition de Paul Holland, mettant Betsy en garde contre les croyances locales, la facilité que l'on a à se laisser influencer,  basculer du rationnel à l'irrationnel.

 

Comme à son habitude, Tourneur filme dans un noir et blanc majestueux, magnifiant et renforçant une atmosphère des plus  inquiétante et poétique à la fois. À la beauté exotique et étincelante du jour répond la profondeur de la nuit, inquiétante, retentissant de milles rumeurs et murmures, hantée par le bruit du vent sur les plantations. Si l'image est importante, on ne peut passer sous silence le travail effectué sur le son, véritable acteur dans l'angoisse diffuse distillée par le métrage : rumeur lointaine des tams tams ( tour à tour rumeur languissante ou menaçante), pleurs étouffés, chuchotements, cris, bruit du vent. Une vaste palette sonore est convoquée par Tourneur pour transformer cette ile paradisiaque en cauchemar éveillé. Le film ne semble devoir jouer que sur les espaces « entre deux », les oppositions, les contrastes, à l'instar des films expressionnistes allemand. Il suffit de voir la scène où Betsy rencontre Jessica Holland : de nuit, biensûr, Betsy est réveillée par des pleurs. Elle entreprend donc d'aller voir de quoi il s'agit, se risquant dans les vastes couloirs de la demeure baignant dans l'obscurité. Au détour d'un escalier, elle est surprise par une apparition spectrale : Jessica Holland errant sans but telle une somnambule. Cette scène renvoie aussi bien  à l'univers expressionniste qu'à l'univers gothique : la demeure est froide et nimbée                                            d'un manteau d'obscurité qui semble propice à toute forme d'apparition. Jessica Holland erre telle une Ligéia dans des ténèbres éternelles, enfermée dans sa maladie.

 

Tourneur, avec une précision et une finesse sans égale ( sa science de la mise en scène semblant s'effacer totalement derrière son sujet et la qualité de sa photographie) dévoile de manière mesurée et progressive les secrets de l'ile et de la famille Holland. Jessica aurait été victime d'un accès brutale de fièvre dont son état actuel, déclaré incurable par le médecin, est la conséquence. Mais la situation se complique pour Betsy, véritable détective décidé à tout mettre en œuvre pour guérir sa patiente, apprend qu'existait une liaison entre Wesley Rand ( demi frère de Paul Holland) et Jessica. Une rumeur locale défini même l'état actuel de Jessica comme une punition de son mari.

 

Le rationnel et l'irrationnel commencent alors à s'emmêler, révélant la finesse de la mise en scène de Tourneur, qui peu à peu distille le doute.

 

Commence alors ce jeu des opposés, des contrastes, à plusieurs niveaux : le jour clairement opposé à la nuit, le rationnel mis à mal par l'irrationnel, le tangible par la suggestion, la réalité par le fantasme, la religion catholique et le Vaudou, et pour finir, le conscient et l'inconscient, le vivant et la mort.

 

Le film traite de tout cela, ou plutôt il ne fait qu'ébaucher des pistes, laissant subtilement au spectateur le soin de faire le reste, d'imaginer et fantasmer lui aussi.

Le rationnel, dans le film, serait clairement identifié en la personne de Paul Holland refusant catégoriquement toute explications provenant de croyances locales ( faut il y voir une résurgence de l'esprit colonialiste, Holland étant lui-même propriétaire d'une plantation de canne à sucre, ayant à son service des descendants d'esclaves ?). De  plus, le père de celui-ci, Mrs Rand, s'est remariée avec un missionnaire : le poids de la religion et de l'éducation ( il a étudié dans une université anglaise) le prédisposent à un esprit rationnel, ce qui n'est pas le cas de son demi-frère dont l'alcoolisme semble avoir émoussé les facultés. Holland, tout en connaissant les croyances locales les repoussent avec force, comme il repousse l'attachement de Betsy. L'irrationnel est « personnalisé » par la culture locale, et plus précisément les croyances liées aux pratiques Vaudou. Propres aux indigènes, elles semblent toutefois inquiéter une partie de la famille Holland, et troubler même le rationalisme de Betsy.

 

Jessica, à elle seule, semble symboliser cet espace entre les vivants et les morts, l'éveil et le sommeil évoquant par sa maladie et son comportement l'univers onirique souligné à chacune de ces apparitions par la photographie et la mise en scène de Tourneur, suggérant plus qu'il ne montre.

 

La figure du zombi, bien éloignée de nos images contemporaines décharnées, putréfiées et proprement repoussantes, est au contraire ici sobrement et sombrement poétique. Leurs corps se meuvent comme dépourvus d'âme, de but, sans bruit, tels des fantômes, des somnambules inquiétants par leur froideur et la ressemblance qu'ils entretiennent encore avec le vivant. Carrefour, gardien des sentiers et chemins, en est un parfait exemple : sa vaste silhouette menaçante se découpe au sein des plantations, sans toutefois qu'il émette le moindre son, ni n'esquisse le moindre geste à sa première apparition : son regard même ( les yeux sont révulsés) est absent, et pourtant sa simple présence distille une tension sourde mais palpable.

 

Tourneur, semble se livrer avec délectation à une démonstration : montrer comment s'opère le glissement du rationnel vers l'irrationnel, de la raison vers la folie; pour cela il choisi un espace clos, purement cinématographique et propice à la perte de repère : une ile éloignée, aux coutumes déstabilisantes et inconnues par l'héroïne ( notre référente), et l'enferme dans une logique, un jeu d'opposition où cette dernière fini par perdre pied.

 

Le choix de la culture Vaudou n'est certainement pas un hasard non plus : propice aux fantasmes de tous crins ( l'asservissement d'un individu à distance par envoûtement, le réveil des morts pour en faire des esclaves : nos fameux zombis), le vaudou est aussi vécu comme la résurgence de quelques croyances renvoyant aux fantasmes les plus archaïques qui soient : transes extatiques, sang d'animaux versé, offrandes aux dieux, possession, danses et rituels magiques confinant à la manie obsessionnelle.) Un univers purement cinématographique, là encore, et propice au dérèglement des sens comme l'avouera Mrs Rand qui s'est surprise à prendre la parole au cours d'un de ses rituels, réclamant au nom du dieu Vaudou la mort de sa belle fille dont le départ menaçait le couple de son fils.

 

La force de suggestion aidant, Mrs Rand est persuadée d'être la cause de la maladie de Jessica et de l'avoir tué, tandis, que de son côté, Paul Holland craint d'être également la cause de la maladie de sa femme pour l'avoir menacée si elle le quittait. On le voit, les forces inconscientes en jeu sont ici évidentes, bien qu'archaïques : la crainte de voir que son désir, même refoulé ai pu provoquer la maladie de Jessica.

 

La suggestion, plus qu'un simple artifice cinématographique semble être l'un des ressorts principaux de l'histoire : suggestion du malaise lié à l'environnement lui-même, influence inconsciente des croyances locales devant l'incompréhension de la médecine pour le cas de Jessica Holland, influence de la nuit et des nombreux bruits dont elle se fait l'écho. Tourneur, quand à lui ne donne aucune explication, mais suggère en ouvrant des pistes. L'utilisation et l'importance du hors champ montrent à quel point la suggestion est importante.

 

Chacun des protagonistes ayant des choses à se reprocher ou à cacher, l'intrigue prend alors une consonance psychanalytique, alors même que Tourneur évite toute forme d'explication. Cette suggestion, que Freud voyait en œuvre dans l'hypnose, pourrait expliquer le pouvoir du vaudou, et par extension expliquer l'état de zombi, dont le comportement est si proche d'une personne sous hypnose : voyant sa volonté réduite, la personne va devenir « esclave » de la volonté d'un tiers.

 

Plus que des mort-vivants, les zombis de Vaudou sont avant tout des êtres privés de leur volonté.

 

 

 

Ce film de Tourneur, pour sa beauté plastique et son ambiance, est à (re)découvrir d'urgence.

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