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Déjantés du ciné
15 avril 2012

Martin de George A. Romero

martinRéalisé par : George A. Romero
Origine : Etats-Unis
Date de sortie : 1977
Scénario : George A. Romero
Avec : John Amplas, Lincoln Maazel, Christine Forrest, Elyane Nadeau, Tom Savini, Sara Venable, Francine Middleton

Fiche IMDB

Synopsis : Martin est un jeune homme de 17 ans. Recueilli par son oncle Cuda à Braddock en Pennsylvanie, il est rapidement mis en garde par son tuteur : Martin est un Nosferatu, un vampire âgé de 84 ans, et Cuda doit sauver son âme avant de détruire son enveloppe terrestre. Des meurtres perpétrés par Martin semblent donner raison à son oncle, meurtres au cours desquels Martin boit le sang de ses victimes mais où aucun pouvoir fantastique ne transparaît.

Réalisé après le mésestimé  season of the witch , George A. Romero reprend dans Martin le réalisme cru qui avait tant dérouté et continu à diviser les amateurs de zombis.

Il faut dire que Martin a tout du film malade : film bicéphale, pour ne pas dire schizophrénique, dans la mise en scène comme dans la thématique, il joue aussi sur l'esthétique visuelle pour composer une œuvre d'une grande poésie, ou, à l'instar d'un conte, la douceur côtoie la violence la plus crue.

Dès sa scène introductive, l'auteur nous plonge au cœur de l'action, sans explication : nous assistons aux préparatifs et à l'exécution d'un meurtre dans un train.

Le meurtrier, un jeune homme aux aguets, au comportement aussi ambigu, instable et insaisissable que ses motivations va sauvagement attaquer une jeune femme : après lui avoir administré une drogue au moyen d’une piqure, il va lui couper les veines, à l'aide d'une lame de rasoir pour boire son sang.

Cette scène, à la sauvagerie sèche, filmée avec le plus grand réalisme, donne lieu à la première percée poétique, pour ne pas dire surréaliste : une vison, en noir et blanc, montre la jeune femme succomber avec lascivité dans les bras du jeune homme grimé en vampire. L'esthétique fait clairement référence aux films de la Hammer, dont les Dracula étaient des valeurs sûres, alors déclinantes en 1976, année de réalisation de Martin : Le jeune homme porte la cape comme son « modèle ».

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Nous pouvons noter le montage particulier de cette scène, au découpage précis, et très présent : les plans sont courts, nous plongeant au cœur des réactions des deux protagonistes : le meurtrier et sa victime. Mais le montage prend également un autre sens : sa précision, sa froideur semblent également symbolisé l'état d'esprit de ce jeune inconnu si déterminé dans sa terrible tâche, et préfigurer le destin de la victime qui va périr par l'usage d'une lame de rasoir, arme précise, au tranchant radical.

Le montage de la scène de crime semble répondre à l'usage de cette même arme.

L'issue fatale de cette attaque : le jaillissement du sang représente à lui seul plusieurs symboliques.

Tout d'abord la métaphore de l'éjaculation, venant en conclusion d'un acte vécu d’abord sur le mode de la séduction puis de l’acte sexuel, par son auteur, comme en témoigne la vision en noir et blanc nimbée d’érotisme, mais aussi son attitude et sa volonté de rassurer la victime : « vous ne ressentirez rien, vous n'aurez pas mal, n'ayez pas peur ».

L'approche même de la victime pouvait être perçue comme une approche amoureuse bien maladroite. Le sang apparaît aussi comme le parachèvement de son fantasme d'être vampire. Plus tard, nous verrons qu'il a également une connotation religieuse :

Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière,
nous sommes mutuellement en communion,
et le sang de Jésus son Fils nous purifie de toutpéché. 1 Jean 1:7.

Cette première scène résume l’ensemble du film ou vont constamment lutter, comme des sentiments contradictoires la frustration, la fragilité, le religieux, la violence, la douceur , le moderne et l’ancien. Martin, le film, comme le personnage, est un cocktail dangereusement instable de tout cela.

Dès son arrivée, Martin, est accueilli et recueilli par son vieil oncle, Cuda, catholique « plus » que pratiquant. Un homme regardant d’un mauvais œil toute modernité, tout changement y compris au sein de l’église.

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Martin se montre un jeune homme renfermé, asocial, d’un redoutable timidité, vite à l’étroit dans la petite ville de Pennsylvanie, que la plupart des jeunes rêvent de quitter, ou il se retrouve : Braddock est une ville à la population vieillissante, sans attrait.

De plus, l’attitude de Cuda est des plus stigmatisantes : il traite Martin en Nosferatu, en s’appuyant sur une « histoire » de famille des plus rocambolesques. Cuda, dangereusement pragmatique enferme littéralement son neveu, la honte familiale, forme de péché originel, met des gousses d’ail sur sa porte et lui interdit d’approcher sa fille.

Aidant son oncle dans sa petite boutique, œuvrant en qualité de livreur, Martin va pourtant peu à peu s’ouvrir au monde. Il fera même une rencontre déroutante, qui, dans un premier temps l’effraiera : une jeune veuve « libérée », qui jouera à le provoquer.

Cette première rencontre, hors du cadre familial, qui n’a rien de réconfortant, en dehors de la nièce, qui représente l’ultime interdit, le tabou par excellence, va le faire vaciller et se mettre en quête d’une victime. Une recherche qui va le conduire à se mettre en danger bien plus qu’il ne l’imagine, donnant lieu à une monumentale scène de poursuite dans un appartement labyrinthique à souhait.

Son ouverture au monde se fera aussi par le biais du téléphone : il deviendra involontairement la coqueluche d’une émission nocturne avide de détails morbides sur ses fantasmes vampiriques.

Le télescopage avec les séquences en noir et blanc présent tout au long du métrage, revêt différents sens : l’une d’entre elle tourne clairement en ridicule les convictions éculées de Cuda. On y voit Martin, déguisé en vampire, arborer de superbes canines ( que n’aurait pas renié Christopher Lee en son temps) danser autour de son oncle, un soir de pleine lune. Mais, la danse achevée, Martin dévoile le subterfuge, fustigeant ainsi son oncle et son attitude.

Cette scène nous invite à la réflexion : à l’instar de « season of the witch », sommes nous prisonnier de nos convictions ? Comment pouvons nous nommer un individu qui boit le sang de ses victimes, sans sombrer dans l’imagerie religieuse ou fantastique ?

N’est-ce qu’affaire de représentation ? Comme ce noir et blanc qui fait intrusion dans cet univers si réaliste, qu’il en est presque naturaliste.

Bien-entendu, la figure du vampire, bien malmenée ici, car martin n’a aucun pouvoir et doit recourir à des subterfuges bien modernes, n’est qu’un prétexte : le film parle avant tout de la jeunesse américaine, confrontée au puritanisme ambiant. Nous sommes alors en pleine libération sexuelle.

Le double fantasmé de Martin représente tout ce qu’il n’est pas : séducteur, sûr de sa force, doté de réel pouvoir. Lui est un adolescent bien banal, en proie à des désirs qu’il pense coupables à cause de ce puritanisme ambiant.

Mais ce contenter de cette analyse semble bien réducteur au regard de la complexité même du film : s’il y est bien question des problèmes de la jeunesse, d’un choc générationnel, il y est également question de comportement addictif.

Un élément majeur du mode opératoire de martin nous met en alerte à ce sujet, sans que toutefois l’auteur ait à s’appesantir sur le sujet : l’utilisation d’une seringue pour endormir ses victimes. Il suggère donc que Martin pourrait n’être qu’une victime que de ses visions sous l’emprise de la drogue : la schizophrénie évoquée serait sous-tendue par cette addiction, l’amenant à confondre rêve et réalité, l’autre et soi-même.

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La psychanalyse s’est d’ailleurs intéressée à cette tendance, citons Pérel Wilgowicz : « Le mythe de vampire, « revenant en corps », ni-mort/ni-vivant et ses variantes littéraires et artistiques, se prêtent à éclairer des aspects cliniques et métapsychologiques en deçà des problématiques oedipiennes et narcissiques. Un vampirisme psychique décelable dans les pathologies narcissiques, borderlines ou psychosomatiques est tout particulièrement à l'ouvre dans les pathologies du deuil et post-traumatiques. Irreprésentable, ante et antinarcissique, le vampirisme associe une tendance à l'indistinction sujet/objet, un flou des limites temporo-spatiales, la circulation ombilicale d'un flux sanguin de l'un à l'autre des partenaires à l'intérieur d'une peau commune. . »

Une définition, qui, à elle seule, semble définir le comportement de Martin : son manque de confiance en soi, son incapacité à s’accepter tel qu’il est.

Nous le voyons, Martin, le film que Romero déclare comme son préféré, est d’une remarquable complexité, une complexité pourtant jamais rebutante et qui n’opère pas au détriment de la narration.

 Romero s’autorise même de petites pointes d’humour : le jeu avec le double vampirique, véritable hommage au cinéma de genre, qui contrebalancent avec le puritanisme excessif de Cuda, la transposition en Pennsylvanie, au lieu de la Transylvanie, pays natal de Dracula, justement.

Martin est donc un film à découvrir de toute urgence pour accéder à une facette plus intimiste de Roméro.

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