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Déjantés du ciné
19 septembre 2016

Possession d'Andrzej Zulawski

possessionTitre du film : Possession

Réalisateur : Andrzej Zulawski
Année : 1981

Origine : France

Durée : 2h 05 mn

Avec : Isabelle Adjani, Sam Neill, Margit Carstensen

FICHE IMDB

Synopsis : Rentrant d’un long voyage, Marc retrouve à Berlin sa femme Anna et son fils, Bob. Mais rapidement, il se rend compte que le comportement de sa femme a changé. Prise de violentes crises, elle quitte le domicile. L'amie du couple, Annie, révèle à Marc le nom de l'amant d’Anna, Heinrich. Lorsqu’elle disparaît, Marc engage un détective qui découvre bientôt qu’Anna s'est réfugiée dans une étrange demeure où semble se cacher une créature surgie des ténèbres.

 

Possession est certainement le diamant noir de Zulawski. Tourné lors d'une période douloureuse pour le réalisateur qui sort d’un divorce difficile, le métrage peut n'être vu que sous l'angle d’une métaphore de cette séparation. Si cette thématique est bien présente, le film s’avère bien plus complexe comme semble le souligner de manière presque insidieuse le titre au travers de sa définition.

Possession :

– fait de posséder quelque chose,

– phénomène diabolique qui fait d'un sujet l'instrument du démon,

– forme de délire dans laquelle le malade s'imagine habité par un démon.

Le titre, par sa polysémie, entretien une ambivalence que l'on retrouvera tout au long du métrage.

possession6Sur le fond, Zulawski traite d'une histoire simple, pour ne pas dire banale : la séparation d'un couple et ses déchirures. Cela permet au réalisateur de mettre en scène l'hystérie comme lui seul semble capable de le faire : dans un cadre froid, aux lumières délavées bleutées, la caméra tourbillonne jusqu’au vertige provoquant le malaise. Par cette technique, quasi immersive, Zulawski rend son film plus viscéral encore, sentiment renforcé par les nombreuses scènes tournées en intérieur. Le cadrage très serré, utilisant à merveille l'architecture désincarnée de Berlin, rend les quelques scènes extérieures claustrophobiques.

Dès les premiers plans, Zulawski nous prévient : Possession n'est pas et ne sera pas un film aimable, ni facilement abordable.

L'arrivée de Marc (un Sam Neil jeune et remarquable en mari transi) est vue au travers d'un long travelling sur le mur de Berlin, sur lequel on peut lire subrepticement cette inscription : « die mauer muss fallen » (le mur doit tomber) comme une injonction, comme la prédiction d'un bouleversement. Le mur, que l'on apercevra à diverses reprises au cours du métrage, constitue, au même titre que Berlin, un personnage à part entière.

Sans scène de présentation aucune, Zulawski nous fait pénétrer directement au cœur des problèmes de couple que rencontrent Anna et Marc : sans recul, presque cliniquement, nous découvrons que celui-ci est au bord de la rupture. Si le premier constat semble se faire sans amertume ni éclat, rapidement les choses vont évoluer.

Marc, qui rentre d’un voyage, au cours duquel il a accompli une étrange mission (d’espionnage, sans doute) met fin à ses activités pour se consacrer à son couple, mais il constate qu’il est déjà trop tard : la rupture est définitive et Anna semble avoir déjà un autre amant, depuis quelque temps.

Zulawski se révèle un fin observateur de la psychologie humaine au sein de ce drame du quotidien qui voit un couple se déchirer, pour des raisons qui restent obscures, ce dont les protagonistes ont conscience au départ :  « il ne faut pas avoir peur, dira Marc, ce qui nous arrive est peut-être normal ». La lente érosion du couple est présentée comme inévitable, même si elle semble échapper à toute explication, du moins au départ. Car chacun semble (vouloir) rester sur une image positive du couple, et des instants vécus. Bob, le fils unique, ne semble rapidement devoir jouer qu’un rôle d'  « objet transactionnel » (pour parodier la formule de Winnicott : l'objet transitionnel). Ici, l’enfant devient le premier objet de « possession », ce de manière purement perverse serait-on tenté de dire : est-ce l’amour maternel qui « oblige » Anna a s'occuper de Bob, ou est-ce son incapacité à se séparer vraiment de Marc ? Marc ne reprend-il la garde de Bob que par amour paternel, ou parce que Bob est un « moyen » détourné de revoir Anna ? Bob, existe-t-il pour lui-même, ou parce qu’il permet à chacun des protagonistes de revoir l’être aimé ? Bob est-il autre chose que la représentation fantasmée du couple parfait ?

possession3Les questions sont multiples, et Zulawski ne fait que dresser des pistes, sans apporter de réponses, bien entendu.

Il convient d'ajouter, afin de nouer l'histoire personnelle de Zulawski avec celle du film, que le personnage de l'amant, Heinrich, sorte de gourou prônant la liberté, le dépassement des normes et de soi, s'exprimant dans un pompeux verbiage emprunt d’images néo-psychédéliques, semble directement inspiré par l'amant de sa propre femme.

Ici, le personnage, et son discours, s’intègre parfaitement dans la, ou plutôt les thématiques du film.

Possession traite de la rupture du couple, du moins en apparence, et cela ne semble être qu’un prétexte. Il traite de la folie, du double et de la société qui les rend possible : le totalitarisme.

La folie, tout d'abord, apparaît par petites touches, au gré des phrases des uns et des autres, comme au détour d'un simple mouvement de caméra ; en cela, la mise en scène de Zulawski est remarquable : l'instabilité de sa caméra, très mobile, aux mouvements amples et circulaires, dessinant des spirales vertigineuses, propres à créer le malaise et à préfigurer le pire : la scène où Marc est interrogé par ses employeurs à propos de sa mission, est un modèle du genre.

En effet, nous voyons le personnage incarné par Sam Neil assis face à une vaste table où se tiennent 6 hommes, qui le harcèlent véritablement de questions. Au cours de l'entretien, la caméra décrit des cercles autour des personnages, mais de manière chaotique : l’épicentre des mouvements semble en constante évolution, comme s’il était constamment remis en question, rendu instable par un mécanisme extérieur qui pourrait n'être que le dialogue en cours. Celui-ci, sous des apparences tranquilles ressemble plus à une joute verbale, où chaque saillie verbale, chaque question ou réponse vise à marquer des points et faire remporter son point de vue.

Cette scène me semble matricielle : métaphoriquement nous pourrions comparer le jury au surmoi qui entrerai en conflit avec le moi, cherchant à le pervertir, préfigurant ainsi le déchaînement des pulsions et passions à venir.

Ainsi, Marc, homme sensé, bien vu par sa hiérarchie et qui semble prendre la rupture de son couple de manière raisonné, même s’il en est logiquement affecté, va-t-il basculer peu à peu.

Car, au fond, Marc est un amoureux transit, mais aussi un mari terriblement jaloux et possessif. C’est là qu’intervient la deuxième référence au terme de « possession ». Profondément marqué par cette rupture et le départ de Anna, Marc va tout simplement sombrer : nous le voyons plonger dans les affres de l'alcool, devenant méconnaissable, s’isolant. Devenu hirsute, et semblant émergé de sa léthargie, il est dans l'incapacité de s'exprimer. À la phase d'abandon va succéder la réaction, aussi violente que l’abandon était profond.

De son côté, le comportement de Anna ne manque pas d’interroger également : décidée à rompre, elle ne peut pourtant s'empêcher de revenir dans l’appartement qui était le leur, sous prétexte de s’occuper de Bob. Or, celui-ci est particulièrement absent, et ne semble être qu’un prétexte.

Le film verra Anna plonger dans un délire meurtrier, irréversible. Les points de rupture seront nombreux : la tentative de suicide dans la cuisine, la masturbation dans l'église jusqu'au point culminant qui la verra entrer réellement en transe dans les couloirs du métro. Cette scène est d'ailleurs particulièrement forte, filmée en plan séquence ce qui renforce son caractère éprouvant, la caméra enferme littéralement Anna dans sa propre folie. La possession bat ici son plein, et l'on ne peut s'empêcher de penser à « l'exorciste ». Cette scène est en effet la référence la plus directe à la possession démoniaque. Zulawski opère d'ailleurs un parallèle subtil entre la religion et le satanisme : deux scènes se répondent, montrant Sam Neil déshabillant son fils, Bob, dans l'une, sa femme Anna dans l'autre. La référence christique est évidente : Jésus lavant les corps des mendiants. Ici, c'est Marc (Sam Neil) qui est dans la posture du christ. L'autre parallèle avec le satanisme est la masturbation d'Anna dans l’Église. On retrouvera plus tard Anna les bras en croix, enlacée par la créature monstrueuse sous le regard perdu de Marc.

possession5Possession est également construit comme un vaste labyrinthe placé sous le signe de la trinité : le triangle familial : Marc, Anna, Bob, le triangle amoureux qui se joue entre Marc, Anna, et Heinrich, les trois figures de la femme : la femme réelle (Anna), la femme fantasmé (Helen), l'amante (Annie), les instances psychiques : ça (le pulsionnel – le monstre), moi (Marc, Anna), le surmoi (Berlin, le mur, les employeurs de Marc). Zulawski semble prendre un malin plaisir à décliner ces triangles comme pour mieux perdre son spectateur : ainsi, Marc a-t-il réellement frappé Anna, ou n'est-ce qu'un fantasme ? S'est-il réellement jeté aux pieds de celle-ci dans un accès d'amour passionné ? Lequel est réellement dépendant de l'autre ?

Possession est également l'occasion pour Zulawski de mettre en évidence l' ambiguïté du discours amoureux et du discours politique dans une société totalitaire : Heinrich déclarera à Anna : « je suis le seul a avoir des droits sur toi car je n'exige rien de toi. »

En écho celle-ci déclarera : « si je suis avec toi, c'est parce que tu dis « je » pour moi ». A travers ces injonctions paradoxales, Zulawski pointe la schizophrénie du discours totalitaire, de la société qui en découle. Le monstre dont Anna semble plus dépendante que réellement amoureuse peut également être vu comme un prolongement de cette folie : « « Je viens d’un endroit où le mal semble plus facile à dépister parce qu’il s’incarne dans les gens » Il devient vous-même pour que les autres voient clairement le danger d’être déformé par lui » dira Anna à Marc qui ne la comprend plus. Heinrich, gourou possessif se gargarisant de discours new-age sur la liberté est l'incarnation même de ce discours schizophrène.

D'un même geste, Zulawski condamne la vision d'un autre « idéalisé » tant par l'amour que par le discours totalitaire.

La ville elle-même est un personnage important, bien que les scènes extérieures soient rares : elle est froide, claustrophobique. Le mur symbolisant cet en-dehors, ou au-delà, inaccessible, cet absence d'horizon qui distille la paranoïa. Plusieurs plans montrent les soldats scrutant avec leurs jumelles, comme pour observer Marc ou le domicile de celui-ci.

La figure du monstre dont s’éprend Anna est elle-même hautement symbolique : représentation de cet « autre » si différent qu’il est inconcevable, il est tentaculaire, à l’image de l’amour et de la jalousie qui semblent animer Marc. Il est également une métaphore du totalitarisme et de son emprise sur les individu.

Au final, Possession est un labyrinthe amoureux, un drame existentiel et schizophrénique dont la puissance visuelle ne peut laisser indifférent. Un film qui montre toute l’étendue du talent de Zulawski récemment disparu.

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