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Déjantés du ciné
27 février 2008

Barking dog de Bong Joon-ho

Barking_dog Réalisé par Bong Joon-ho
Titre international : Barking dogs never bite (littéralement "Les chiens qui aboient ne mordent jamais")
Année : 2000
Origine : Corée du Sud
Durée : 109 minutes
Avec : Lee Sung-jae, Bae Du-na, Byeon Hie-bong, Kim Ho-jung, Kim Roe-ha,...

Fiche IMDB

Résumé : Yun-Ju, jeune assistant d'université, mène une vie paisible avec sa femme enceinte. Mais une chose perturbe son existence : les aboiements incessants d'un chien de quartier ...


Premier film du jeune prodige sud-coréen Bong Joon-ho, auteur des remarqués et remarquables Memories of murder et The host, Barking dog est une œuvre étrange, une sorte de comédie noire décalée mais particulièrement réjouissante.

Le film narre d’une part les mésaventures d’un jeune assistant d’université au chômage qui se sent persécuté par les aboiements incessants des chiens de ses voisins, d’autre part les tribulations tragico-comiques d’une jeune fille à la dérive. Ces deux destinées vont bien évidemment être amenées à se croiser.

Sur cette trame minimaliste, Bong Joon-ho tisse un enchevêtrement absurde de petites saynètes à forte connotation sociale, dressant un portrait peu reluisant de la société sud-coréenne uniquement basée sur le culte de la réussite et de la reconnaissance.

En effet, le héros Yun-ju (interprété de manière convaincante par Lee Sung-jae) est un assistant d’université sans travail, dominé psychologiquement par son épouse enceinte (seul salaire du ménage), et qui passe son temps à errer ou se saoûler avec ses amis. Son seul objectif est d’obtenir à tout prix un poste de maître de conférence, afin de pouvoir subvenir aux besoins de sa femme et de leur futur enfant et reprendre ainsi ses fonctions de chef de famille. Surmené, frustré, humilié en permanence par sa femme qui ne cesse de lui reprocher sa paresse et son inactivité, Yun-ju développe une paranoïa de plus en plus aiguë qui se traduit par une véritable  persécution provoquée par les aboiements (imaginaires ?) des chiens du voisinage et qui le mène à tuer ces pauvres animaux (tous plus mignons les uns que les autres !).

La jeune fille prénommée Hyeon-nam (jouée avec tout l’abattement nécessaire par la charmante Bae Du-na, vue notamment dans le très noir Sympathy for Mr Vengeance de Park Chan-wook et plus récemment dans l’excellent The host, du même Bong Joon-ho), quant à elle, travaille sans conviction au syndicat du voisinage, subissant sans cesse les moqueries de ses patrons et traînant son ennui avec sa seule amie (qui est obèse). Hyeon-nam est tout aussi à la dérive que Yun-ju, constamment humiliée, dont le seul rêve est de se faire remarquer pour apparaître à la télévision (et être célébrée en héroïne).

On voit donc très clairement que Bong Joon-ho critique férocement cette société sud-coréenne où ne compte que l’apparence : réussite sociale (pour Yun-ju, le poste de maître de conférence lui permettrait de devenir quelqu’un et enfin de se faire respecter) ou reconnaissance (pour Hyeon-nam, qui croit que le fait de passer à la télévision, laquelle crée chaque jour des pseudo-héros éphémères, lui permettrait de sortir de la misère quotidienne et aussi d’être respectée). Une société qui écrase impitoyablement les plus faibles ou ceux qui ne rentrent pas dans le moule, qui vend des rêves quasi-impossibles à atteindre (par le biais de la télévision, par exemple), mais aussi une société corrompue dans laquelle tout s’achète, même les postes professionnels (comme le constatera et l’appliquera plus tard Yun-ju), enfin une société dont l’injustice ou l’inégalité si prononcées, ne créant que des gagnants ou des perdants, peuvent rendre fou.

Dans le film, cette folie s’exprime bien sûr par la paranoïa de Yun-ju, mais aussi par toute une galerie de personnages ambigus, comme le concierge dont le plus grand plaisir est de cuisiner des chiens pour les manger ou cet homme, caricature du samouraï, qui rêve de les embrocher.

Bien évidemment, l’humour et la poésie incongrue de Bong Joon-ho permettent de tempérer la noirceur du tableau, tout en humanisant des personnages pas toujours attachants (comme Yun-ju par exemple, qui tue tout de même des chiens innocents et provoque même la mort d’une vieille dame, choquée par l’assassinat sauvage de son toutou adoré). C’est ce mélange de brûlot social et d’humour noir qui donne à Barking dog sa saveur si particulière.

En outre, le jeune cinéaste se permet parfois des audaces intéressantes, comme cette longue scène irréelle se déroulant dans les sous-sols de l’immeuble, dans laquelle le concierge expose le récit comico-terrifiant de Chauffage Kim, très bel hommage à Edgar Allan Poe, notamment à sa célèbre nouvelle Le chat noir. Le spectateur ne sait comment réagir devant cette séquence étonnante à la durée dilatée, comme suspendue, qui interroge au passage sur notre part sombre et la culpabilité de chacun. Parodiant au début les pseudo-slashers américains du type Urban Legends de Jamie Blanks, ce passage crée progressivement un malaise par le seul biais de la mise en scène quasi-expressionniste de Bong, où l’ombre finit par prendre possession du plan.

Par ailleurs, comme dans les superbes Memories of murder et The host, Bong Joon-ho, même si les personnages sont peu reluisants, ne les méprise jamais et leur offre toujours un moment d’héroïsme ou d’humanité, même si celui-ci ne dure parfois que le temps d’une scène. Ainsi, l’épouse de Yun-ju, présentée comme une véritable mégère dominatrice, devient émouvante lorsque, licenciée de son entreprise, elle avoue à son mari avoir gardé la prime de licenciement pour lui payer le poste de maître de conférence dont il rêve. De même, l’amie obèse de Hyeon-nam devient héroïque lorsqu’elle vient sans réfléchir au secours de celle-ci, agressée par un individu. Même Yun-ju, souvent pathétique, apparaît touchant lorsqu’il avoue à Hyeon-nam qu’il est le fameux tueur de chiens, alors que celle-ci n’avait rien remarqué.

En revanche, c’est le contraire qui se produit avec Hyeon-nam. Alors que la jeune fille est présentée de prime abord comme le personnage le plus sensible du film, petit chaperon malmené par la vie mais pourtant toujours prête à se rendre utile et aider les gens, Bong Joon-ho laisse progressivement entendre que Hyeon-nam n’agit de cette manière que par besoin de reconnaissance, cette reconnaissance qui lui échappe d’ailleurs toujours, comme en témoigne la scène où la vieille dame à qui Hyeon-nam est venue en aide et qui ne lui lègue à sa mort que ses radis, ou encore le passage où, alors que Hyeon-nam a participé activement à l’arrestation d’un satyre ( bien qu’un doute subsiste sur le danger que représente réellement ce soi-disant satyre…), la télévision ne fait pas un plan sur elle.

Cette ambiguïté des personnages, tantôt antipathiques tantôt émouvants, fait la force de Barking dog et se retrouve dans ses deux films postérieurs. Elle permet en effet de présenter tout simplement des êtres humains, dans leurs qualités comme dans leurs défauts. Bong Joon-ho se révèle donc au final un grand humaniste.

A la fin du film, Yun-ju, qui a finalement obtenu son poste de maître de conférence (par corruption), ne semble pas plus heureux. Le plan d’ouverture de Barking dog et le dernier plan où apparaît Yun-ju sont identiques, montrant que la réussite sociale de Yun-ju n’a pas fait changer les choses, que le statut de Yun-ju est resté le même (on ne sait même pas si sa paranoïa a disparu, malgré ses aveux à Hyeon-nam). En revanche, Hyeon-nam et son amie obèse, dans la dernière scène du film, réalisent leur idée d’aller se promener en forêt, ayant tiré un trait sur leur désir de reconnaissance et préférant se ressourcer dans les joies simples et la beauté de la Nature ; elles semblent toutes deux avoir trouvé la paix. Yun-ju a atteint son but, pas Hyeon-nam, mais celle-ci apparaît cependant plus sereine. Le culte de la réussite sociale et de la reconnaissance propre à la société sud-coréenne (mais les sociétés américaine ou même française n’en sont pas si éloignées… ) est donc un leurre, une chimère. L’essentiel est finalement d’être en paix avec soi-même, cela seul peut amener le bonheur et la joie de vivre.

Œuvre inclassable, Barking dog présente un rythme très changeant et surprend souvent le spectateur. Par son mélange de lenteur, de ralentis figeant l’action et d’accélérations brutales, le film fait souvent penser à une partition de jazz, provoquant un sentiment presque aérien, à la limite de l’onirisme mais non dénué d’une certaine inquiétude, tandis que l’incongruité de certaines situations ainsi que l’enchaînement absurde et répétitif (les noix, le papier toilette) de certaines séquences évoquent le surréalisme.

Il faut enfin parler de la maîtrise de la mise en scène de Bong Joon-ho, qui explose à tous les niveaux, que ce soit dans la multiplication des points de vue, dans l’instauration d’ambiances, dans l’utilisation remarquable de l’espace ou encore dans la création d’un véritable suspense hitchcockien dans certaines scènes (le cinéaste fait d’ailleurs un clin d’œil au chef d’œuvre Fenêtre sur cour d’Hitchcock, lorsque Hyeon-nam découvre par le biais de jumelles le meurtre d’un chien par Yun-ju, tandis que la découverte du corps du chien dans la forêt évoque le très drôle Mais qui a tué Harry ?).

Comédie noire mâtinée de satire sociale difficilement classable et souvent surprenante, Barking dog est un coup de maître de la part du jeune cinéaste sud-coréen. Si le film peut dérouter, il demeure parfaitement équilibré et s’avère passionnant de bout en bout, tout en étant souvent attachant. Bong Joon-ho, qui passe d’un genre à l’autre en gardant son style et sa thématique, confirmera son talent dans ses deux films postérieurs, les mémorables Memories of murder (polar) et The host (film de monstre). Assurément un cinéaste à suivre de très près…

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