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Déjantés du ciné
20 février 2008

Safe de Todd Haynes

Safe Réalisé par Todd Haynes
Titre original : Safe
Année : 1995
Origine : Etats-Unis
Durée : 119 minutes
Avec : Julianne Moore, Xander Berkeley, Peter Friedman, Susan Norman,...

Fiche IMDB 

Résumé : Carol White, une femme au foyer aisée et passive, partage son temps entre les séances d'aérobic, la cuisine et les achats pour sa maison. Son univers douillet bascule lorsqu'elle développe une allergie à ce qui l'entoure. En proie a la dépression, elle finit dans un inquiétant centre de traitement new-age.


Ce texte contient des spoilers. Il est donc conseillé de ne le lire qu'après avoir vu le film.

Safe (« en sécurité » en anglais) est le deuxième film de Todd Haynes, après l’intrigant Poison. Il dépeint la vie d’une jeune bourgeoise américaine, Carol White (interprétée par la géniale Julianne Moore, l’une des meilleures actrices du cinéma américain contemporain), qui se trouve progressivement atteinte d’une maladie liée à l’environnement, à moins que cette maladie ne soit dans sa tête.

Haynes présente Carol White comme la bourgeoise américaine typique, femme d’intérieur dont les principales occupations sont la décoration de sa maison et les réunions avec ses amies issues du même milieu privilégié. Carol a tout pour être heureuse : un mari attentionné, de l’argent, une magnifique villa, mais il lui manque visiblement quelque chose. Elle paraît figée dans le décor comme une poupée de porcelaine, presque sans vie ( « white » signifie blanc en anglais). Haynes la décrit comme un personnage maniaque à l’extrême (la scène du canapé, dont la couleur n’est pas à son goût). Cependant, Carol est également étrange, notamment par le fait qu’elle ne sue pas lorsqu’elle fait du sport. En ce sens, elle se rapproche d’un personnage cronenbergien. D’ailleurs, Haynes filme de manière clinique, où toutes les choses semblent trop bien à leur place, au point qu’il plane un climat étrange durant tout le film.

Toutes les scènes de Safe sont éclairées par une lumière blanche, presque aveuglante, avec des couleurs froides, délavées. Cette réalisation clinique devient au fur et à mesure suffocante pour le spectateur. Peu à peu, Carol semble sujette à des migraines de plus en plus fréquentes qui se traduisent par des quintes de toux, des petits malaises, des suffocations. Son médecin lui déclare malgré tout qu’elle est en excellente santé, mais les malaises s’intensifient jusqu’à se transformer en véritables crises. Carol finit par ne plus supporter son entourage et son environnement, elle étouffe littéralement. Son corps réagit de plus en plus mal à la pollution, aux émanations de gaz, à l’air qui devient irrespirable.

Le film, très marqué par les fameuses maladies de l’environnement apparues dans les années 1990, va alors montrer comment Carol va essayer de guérir. Pour cela, elle décide de se couper du monde, de quitter son confort familial pour entreprendre une sorte de cure dans un centre communautaire tendance new age, situé au milieu de nulle part, complètement isolé et stérilisé, qui ressemble étrangement à une secte. La deuxième partie du film s’attache à démontrer que malgré l’isolement, malgré la propreté, le malaise reste présent. Le gourou charismatique du centre a beau affirmer que ces maladies se situent dans la tête des gens et qu’il faut apprendre à s’accepter pour pouvoir guérir, le spectateur continue à suffoquer.

Les protagonistes circulent pourtant toujours munis de leur masque à oxygène : rien n’y fait. Haynes filme d’ailleurs ces scènes encore plus cliniquement que les précédentes. Carol va progressivement se fondre dans cette communauté, fétichisant de plus en plus son corps. Loin de son environnement habituel, elle finira par s’enfermer de plus en plus (les fameux bungalows du centre sont très éloignés les uns des autres, comme si le simple contact humain pouvait être dangereux), mais par s’accepter (mais peut-être n’est-ce qu’une illusion).

Safe présente en fait une femme qui devient peu à peu hantée par une peur obsessionnelle de la contamination et qui finit tout bonnement par s’isoler de son propre milieu. La secte qu’elle rejoint se base certes sur la peur des microbes, de la contamination mais également, et c’est ce qui est plus grave, sur la peur maniaque de l’autre : cette paranoïa est d’ailleurs un phénomène typiquement américain, et de nombreux films ont déjà traité ce problème (on pense au splendide film de Don Siegel, L’invasion des profanateurs de sépultures, ou plus récemment au beau Signes de M. Night Shyamalan). Carol y aura trouvé une certaine forme d’anonymat, qui sera surtout un éloignement de son identité de femme au foyer.

La scène finale du film, qui voit entrer Carol dans son bungalow, froid comme la mort, la montre isolée, face à face avec elle-même, devant un miroir qui lui renvoie sa propre image. Carol se contemple puis lance un « je t’aime » devant son propre reflet. Le dernier plan, magistral, la montre face à son propre corps, fétichisé à l’extrême, totalement figée, laissant entendre au spectateur qu’elle s’est enfin acceptée. Mais personne n’est dupe : malgré son retrait du monde, malgré son isolement total par rapport à ses proches, à sa famille, Carol se retrouve seule face à elle-même. L’air, malgré la stérilisation, semble encore plus irrespirable que l’air de la ville. Le spectateur suffoque encore plus et lorsqu’il sort enfin de la projection, il est presque content de respirer un air certes pollué, mais largement plus sain.

Haynes a réalisé un film unique, presque physique, décrivant des êtres de plus en plus obsédés par leur propre corps, qui devient leur unique préoccupation, au détriment de leurs relations humaines. Seule peut-être l’œuvre de Cronenberg a dépeint un univers aussi clinique et aussi suffocant : on pense notamment à son magnifique Faux semblants ou à son incroyable Crash.

En 2002, dans l’admirable Loin du paradis, hommage aux mélodrames du grand Douglas Sirk, Haynes a retrouvé  l’excellente Julianne Moore. Si la forme employée est différente, les thèmes restent les mêmes : étouffement, recherche d’un ailleurs, d’où la personnalité pourra enfin jaillir.

La BO en VO 

 

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