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Déjantés du ciné
22 février 2008

Kaïro de Kiyoshi Kurosawa

Ka_ro Réalisé par Kiyoshi Kurosawa
Titre international : Kairo

Année : 2001
Origine : Japon
Durée : 118 minutes
Avec : Haruhiko Kato, Kumiko Aso, Koyuki, Kurume Arisaka, Masatoshi Matsuo, Shinji Takeda,...

Fiche IMDB

Résumé : Taguchi, un jeune informaticien, est retrouvé pendu dans son appartement. Sous le choc, ses collègues cherchent à en savoir plus sur ce suicide inexplicable. La victime a laissé un mystérieux message contenu dans une simple disquette. De toute évidence, celle-ci recèle un virus qui contamine ses utilisateurs et a de graves répercussions sur leur comportement. A Tokyo, l'inquiétude grandit au fur et à mesure que le virus se propage à travers les réseaux informatiques. Des petits groupes de jeunes gens tentent de résister, tandis que les disparitions se multiplient.


Ce texte contient des spoilers : il est donc préférable d'avoir vu le film avant la lecture.

Kaïro est un thriller fantastique dans la lignée du fameux Ring d’Hideo Nakata. Il s’agit aussi du film qui a confirmé le talent de Kiyoshi Kurosawa, cinéaste japonais prolifique quasiment inconnu il y a quelques années en France, dont seuls trois films jusqu’alors avaient bénéficié d’une sortie au cinéma à l'époque, à la sortie de Kaïro dans les salles de cinéma (en 2001) : Licence to live, l’éblouissant Cure et l’énigmatique Charisma. Depuis, le cinéaste japonais a la chance de voir la plupart de ses oeuvres actuelles sortir en France, soit en salles, soit en DVD. Les specateturs ont ainsi pu découvrir très récemment le très beau Loft, ainsi que le sublime (du moins paraît-il, car je ne l'ai pas encore vu) Retribution.

Kaïro raconte la réaction de quelques jeunes japonais face à la disparition progressive des gens dans des circonstances très mystérieuses. Le film se déroule dans une métropole quasiment déserte (phénomène très inhabituel au Japon, où la plupart des villes sont surpeuplées) et qui se vide de plus en plus. Les spectateur va alors suivre le trajet parallèle de Kawashima, jeune étudiant en économie et de Michi, employée botaniste, qui vont essayer tous deux de comprendre les raisons de ce phénomène.

Le film de Kiyoshi Kurosawa est extrêmement froid, voire clinique, où le son est utilisé de manière particulièrement efficace, à l’instar de Ring ou du récent et magnifique Dark water d’Hideo Nakata. Ce son, très strident, surgit de manière inattendue, soulignant la tension de certaines scènes et contribuant ainsi au climat angoissant du film.

Kaïro a la forme du thriller fantastique, mais traite surtout des thèmes favoris de Kiyoshi Kurosawa : l’incommunicabilité, l’isolement, la solitude. Il se rapproche en cela des films d’Antonioni, dans sa façon de vider progressivement le décor, comme la ville où se déroule l’action du film se vide au fur et à mesure de ses habitants.

Bien que la métropole et ses habitants soient suréquipés, voire saturés d’ordinateurs et de matériel high-tech, la froideur de la mise en scène rend le décor extrêmement pesant. A l’ère d’Internet, nous dit Kiyoshi Kurosawa, même si les autoroutes de l’information sont censées rapprocher les gens, elles ne font que tuer petit à petit la communication, contribuant à renforcer l’isolement et la solitude des êtres. Il suffit de voir à quel point les écrans, ordinateurs, téléviseurs, jeux vidéo sont présents dans les plans du film, envahissant l’espace et le rendant menaçant, presque inhumain. Les êtres ne se parlent quasiment plus, chacun restant dans son coin, s’isolant du monde.

La composition des plans est extraordinaire, créant chaque fois des cadres dans le cadre qui séparent les protagonistes. D’ailleurs, Kiyoshi Kurosawa se réfère énormément à Antonioni (on se souvient tous de L’Avventura ou de La notte) en montrant des espaces qui se vident progressivement de leur substance. Les scènes où les acteurs, pourtant dans le même espace, sont scindés par des lignes horizontales ou verticales (fenêtres, portes, murs, …) abondent, les isolant les uns des autres et les coupant du monde.

Une des scènes les plus impressionnantes du film est d’ailleurs celle où Harué, la jeune informaticienne, s’assoie face à son ordinateur.  L’écran de celui-ci montre au spectateur le contrechamp et agit comme un miroir. Harué se lève et se retourne devant sa porte de chambre qui s’est entrouverte mystérieusement, située à l’opposé de son ordinateur. Elle semble discerner une présence qui la rassure et vient pallier à sa solitude, le moniteur la montrant en sens opposé. Le spectateur voit Harué de dos et de face (sur l’écran), mais ignore ce qu’elle-même découvre, car cela reste hors-champ. C’est justement ce hors-champ qui est menaçant, sans que le spectateur sache pourquoi, puisque celui-ci ne peut matérialiser la menace. Une scène similaire se retrouve dans le superbe Twin Peaks – Fire walk with me de David Lynch.

Kiyoshi Kurosawa compose remarquablement ses plans, les agence de manière savante, sans rien laisser au hasard. En ce sens, il est dans la droite lignée des grands metteurs en scène japonais qui l’ont précédé comme Ozu, Mizoguchi, Akira Kurosawa ou Naruse, qui possédaient déjà une admirable science du plan, qualité que l’on retrouve également chez de nombreux cinéastes japonais contemporains comme Takeshi Kitano ou Sogo Ishii.

Kaïro, film froid et angoissant, n’est cependant pas dénué d’émotion : ces moments sont rares mais se révèlent de toute beauté. La scène où Kawashima et Harué s’enfuient puis montent dans un métro vide est remarquable, en outre c’est l’un des seuls instants du film où il y a enfin une communication, un échange : peu de paroles, mais une compréhension mutuelle qui se traduira par le fait qu’Harué, épuisée et terrorisée, finira par poser sa tête sur l’épaule de Kawashima. Le plan montre enfin la formation d’un couple, d’autant plus émouvant que celui-ci est isolé dans le métro déserté. Hélas, le moment de répit sera de courte durée.

La fin du film, terrifiante, montre une métropole dévastée, déshumanisée et complètement déserte, presque apocalyptique. Michi et Kawashima, qui semblent être les deux seuls survivants, sont en voiture et découvrent en même temps que le spectateur l’étendue du désastre, l’apothéose se traduisant par un avion en flamme qui se crashe contre un building déjà détruit. La fuite semble inéluctable : nos deux héros arrivent enfin vers la mer (souvent symbole de liberté et d’évasion, comme dans le célèbre Les 400 coups de François Truffaut) et embarquent sur un bateau.

Le dernier plan, apaisé, montre le navire sur une mer immense, en partance vers nulle part. Kiyoshi Kurosawa enferme alors ce plan dans un nouveau cadre, plus petit, qui s’éteint comme un écran d’ordinateur, laissant la seule survivante Michi (Kawashima a fini par disparaître à son tour) se dirigeant vers un futur incertain.

Film angoissant, sur lequel plane l’ombre de la solitude et de la mort (« La mort est un isolement », affirme un personnage du film), film sur l’incommunicabilité et les ravages de l’informatique et d’Internet, qui séparent les êtres au lieu de les rapprocher, traversé d’intenses moments d’émotion, Kaïro est un film à découvrir absolument, qui confirme l’immense talent de Kiyoshi Kurosawa.         

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