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Déjantés du ciné
16 mars 2008

La 3ème partie de la nuit de Andrzej Zulawski

La_3_me_partie_de_la_nuit Réalisé par Andrzej Zulawski
Titre international : The third part of the night
Année : 1971
Origine : Pologne
Durée : 106 minutes
Avec : Malgorzata Braunek, Leszek Teleszynski, Jan Nowicki, Jerzy Golinski, Anna Milewska, Michal Grudzinski,...


Fiche IMDB

Résumé : Cracovie, 1940. Michal, dont la femme et la fille ont été tuées par les Allemands sous ses yeux, s’engage dans la résistance. Poursuivi, il se réfugie chez Martha, qui ressemble étrangement à sa femme, et dont le mari vient d’être arrêté. Il l’aide à accoucher, puis prend soin d’elle et de son enfant. Pour gagner de l’argent, il doit vendre son sang pour nourrir les poux dans un laboratoire de vaccin. Mais son passé semble de plus en plus s’immiscer dans le présent, comme s’il était un miroir entre deux mondes.


Réalisé en 1971, La troisième partie de la nuit est le premier long métrage du cinéaste polonais Andrzej Zulawski, auteur des splendides L’important c’est d’aimer, La femme publique ou encore Possession.

Le film s’ouvre sur des plans inquiétants montrant des paysages déserts, grisâtres, des maisons à moitié détruites, tandis qu’une voix off lit des extraits de l’Apocalypse de Saint Jean (le passage des sept trompettes). Dès ces premières images, Zulawski plonge le spectateur dans une ambiance cauchemardesque hantée par la mort et la destruction. Les dix premières minutes du film sont éprouvantes, la caméra frénétique de Zulawski emprisonnant littéralement ses personnages et suivant leurs moindres faits et gestes : on a d’ailleurs l’impression que ce sont les personnages qui emportent la caméra, comme si celle-ci était attachée sur eux. Par cette technique (héritée du grand cinéaste américain Samuel Fuller, notamment dans le magistral The naked kiss), le spectateur n’a pas de temps d’avance sur les protagonistes et découvre avec eux les évènements terrifiants qui se déroulent. En un temps record, il assiste, les yeux exorbités, à l’assassinat sauvage d’une famille par ce qui semble être des nazis (mais on n’en est pas sûr) puis à la fuite effrénée du seul survivant (le héros du film Michal) et enfin à un accouchement dans la douleur (d’une jeune femme prénommée Marta qui ressemble étrangement à l’épouse assassinée de Michal, Helena), filmé en gros plan.

Progressivement, le contexte historique apparaît : l’action se déroule à Cracovie en 1940. Michal vient de perdre sa femme et son fils et décide de s’engager alors dans la résistance pour combattre la Gestapo et ainsi venger sa famille. Mais Zulawski ne s’attarde pas vraiment sur le récit et préfère privilégier la description d’une atmosphère délétère, macabre, paranoïaque, quasi-expressionniste, multipliant les zones d’ombre et de lumière (comme les expressionnistes allemands) qui emmènent le spectateur dans un univers onirique angoissant, aux confins du cauchemar. Utilisant parfaitement l’opposition d’un blanc éclatant, presque saturé (toutes les scènes du début) et d’un noir sombre comme la nuit ou le désespoir, Zulawski crée un espace entre-deux, d’un gris terne et désolé, qui marque la zone de lutte entre la lumière et les ténèbres, dans lequel se joue le destin de Michal.

Plus le film avance, plus sa narration vole en éclat et devient pure sensation. Michal finit par se perdre dans un labyrinthe sans issue, comme prisonnier d’une toile d’araignée dont il ne pourra jamais sortir, victime d’une malédiction qu’il ne peut arrêter, provoquant un malaise entêtant, presque viscéral, renforcé par une mise en scène en adéquation avec le propos privilégiant ellipses brutales, déambulations hallucinatoires, plans vertigineux, multiplications de portes symboliques, et décuplée par une bande-son dissonnante composée par Andrzej Korzynski (le compositeur attitré de Zulawski). Errant dans un dédale sans fin de rues, de portes et de couloirs, où les nazis, quasiment absents du film, sont de pures abstractions, Michal ne fait qu’ouvrir une brèche qui l’entraîne sans relâche dans les méandres du souvenir, mais lui ouvrant un univers parallèle où tout semble redevenir possible.

Souvenir de sa femme assassinée qu’il retrouve sous les traits d’une autre jeune femme mariée, Marta donc, qu’il aide à accoucher et dont il tombe évidemment amoureux… Souvenir de ce fils chéri, éliminé aussi, qui semble revenir le hanter comme un fantôme et jugeant ses actes… Tous ces souvenirs subjectifs, peut-être fantasmés, s’immiscent petit à petit dans l’esprit de Michal. Dans un présent terrifiant gangrené par une violence incommensurable, qui a provoqué la perte de toute sa famille (les ravages du nazisme ici), où la survie semble être la seule loi, où l’amour et la confiance sont éradiqués, remplacés par la haine, la destruction et la trahison, où la naissance d’un enfant ne peut s’accomplir que dans d’atroces souffrances (la scène de l’accouchement au début du film), Michal ne peut se réfugier que dans un passé glorieux (est-ce d’ailleurs vraiment le sien ?) et se reconstruire dans la réminiscence de ce passé. Face à une situation qui le dépasse et le pousse à se battre au-delà de ses limites dans un monde en déliquescence, Michal espère encore que l’amour peut le sauver, aussi bien l’amour qu’il porte à sa femme morte que celui qui naît pour Marta, si ressemblante à cette épouse tant aimée. Cet espoir n’est cependant possible que par un dépassement de soi et ne peut naître que dans la douleur, comme si le bonheur ne pouvait être atteint qu’après une série d’épreuves visant à savoir ce qui reste de l’humanité, ces épreuves n’étant pas autre chose que le regard punitif de Dieu sur la folie des hommes.

Au fur et à mesure, les souvenirs de Michal contaminent donc le présent, créant un nouvel espace parallèle (à tendance grise) où passé et présent se rejoignent et se confondent dans un temps figé et dédoublé, donnant ainsi naissance au double de Michal. La ligne qui relie passé subjectif et présent objectif est invisible, mais agit comme un effet de miroir, où Michal se retrouve face à ses angoisses, le précipitant inexorablement vers sa chute qui est aussi, plus largement, l’agonie d’une humanité corrompue. Chez Zulawski, le destin individuel cache toujours une allégorie, ici celle d’un pays (la Pologne) en crise, et plus généralement d’une humanité perdue, terrassée par les guerres et la folie.

Si la thématique du double est présente dès le début de La troisième partie de la nuit, par le simple fait que la femme de Michal, Helena, et Marta se ressemblent étrangement et sont incarnées par la même actrice, elle explose littéralement dans la dernière partie du film, où Michal se trouve confronté à lui-même, réminiscence de ses propres démons, de ses propres contradictions, qui sont aussi celles de l’Homme. Dans un univers abandonné de Dieu (effrayé par ses créatures), voué à l’apocalypse (les textes tirés de l’Apocalypse de Saint Jean qui ouvrent et ferment le film), où l’homme, qui n’est rien, est condamné à nourrir des poux et à subir le joug d’autres hommes, seule la mort, qui est la fin de toute chose, subsiste. Michal a beau s’être réfugié dans le souvenir, qui lui a fait entrevoir un instant la possibilité de revivre une histoire d’amour, le présent est bien là et le rattrape, l’entraînant vers la seule issue du labyrinthe : la mort.

La grande force de Zulawski est d’avoir immergé totalement le spectateur, par le biais d’une mise en scène fiévreuse et emportée, dans un véritable cauchemar expressionniste sur pellicule qui défie les lois spatio-temporelles. Le cinéaste polonais a volontairement laissé des zones d’ombre, rendant ce monument d’étrangeté encore plus mystérieux.

Inspiré par le père d’Andrzej Zulawski, qui a vécu les horreurs du nazisme, La troisième partie de la nuit pose les jalons d’une œuvre passionnante et controversée. L’hystérie caractéristique des films de Zulawski est présente, mais de manière moins affirmée que dans Le diable (le sommet hystérique de l’œuvre de Zulawski), La femme publique ou L’amour braque. Le film n’en est pas moins violent, mais cette violence est sous-jacente (à l’exception des scènes de début et de fin), contenue, mais prête à exploser et à entraîner les personnages vers la folie ou la mort. En outre, ce film peut aussi être vu comme une première ébauche (mais quelle ébauche !) du chef d’œuvre de Zulawski, Possession. En effet, le traitement du double et de l’autre comme objet d’horreur mais aussi de ressemblance est commun aux deux films, même si Possession poussera cette thématique à son point-limite.

La dernière scène du film montre en très gros plan, au son d’un rock apocalyptique, des images de poux allant dans tous les sens. L’humanité a-t-elle été vaincue et remplacée par ces insectes sales et inquiétants ? A moins que les hommes se soient métamorphosés, atteignant leur dernier stade d’évolution : des poux repoussants avançant à l’aveuglette dans un monde qui n’existe déjà plus… 

Très maîtrisé pour un premier long métrage, La troisième partie de la nuit ne peut laisser indifférent. Si la succession ininterrompue de cris, de hurlements, de convulsions, de bouches déformées, d’hystérie, de sang et d’érotisme malsain peut dérouter (mais ne serait-ce pas la figuration de l’angoisse de Zulawski face à la pourriture du monde ?), le film distille grâce à ce parti-pris audacieux une ambiance nauséeuse et mortifère particulièrement marquante qui s’achève dans un finale terrifiant mais d’une beauté sidérante, inscrivant le métrage dans une tradition purement romantique. Insolite, grandiloquent mais fascinant, véritable poème visuel, La troisième partie de la nuit arbore la logique du rêve (ou plutôt du cauchemar) et contient en germe toutes les obsessions de Zulawski : c’est le film idéal pour pénétrer dans l’univers si particulier du cinéaste.

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