Publicité
Déjantés du ciné
9 avril 2013

Camille Claudel 1915

camille-claudel-1915

Réalisateur :Bruno Dumont

Acteurs : Juliette Binoche, Jean-Luc Vincent, Robert Leroy

Genre : Biopic

Nationalité : Français.

lien IMDB

 

Synopsis : Hiver 1915. Internée par sa famille dans un asile du sud de la France – là où elle ne sculptera plus – chronique de la vie recluse de Camille Claudel, dans l’attente d’une visite de son frère, Paul Claudel.

Bruno Dumont, cinéaste réputé pour l'intransigeance de son cinéma, signe avec Camille Claudel 1915 un nouveau portrait de femme d'une grande intensité.

Inspiré du roman Une femme de Anne Delbée, le métrage retrace 3 jours de la vie de Camille Claudel au sein de l'asile de Montdevergues, en Dordogne, dans l'attente de la visite de son frère Paul.

En ouverture du film, un carton présente aux spectateurs quelques indications biographiques rudimentaires, afin de situer l'action, permettant au réalisateur de s'affranchir des contraintes d'un biopic classique.

Dès les premiers plans, nous retrouvons la rudesse et l’exigence du cinéma de Dumont : nous voyons l'héroïne prostrée, mutique, conduite au bain, le visage marqué par la dureté d'une colère intériorisée.

Comme à son habitude, Dumont filme sans ménagement, avec un cadrage au cordeau, en plan fixe, composant des plans d'une grande beauté graphique d'où finissent par émerger l'émotion, comme principe de vérité des individus.

Dumont, bien documenté sur la vie de Camille Claudel, et en particulier sur la période de son internement, connaît également ce qui en constitue le mythe : Camille Claudel serait la victime expiatoire d'une société bourgeoise et phallocrate, n'admettant pas la licence de Camille, pas plus que son talent, volé et écrasé par Rodin, ce qui l'aurait précipité dans les abîmes de la maladie mentale. Mieux, elle n'aurait jamais été folle, selon certains.

Bruno Dumont n’ignore rien de cela, et se joue de cette image d’Épinal pour ne brandir qu'une chose : la notion de point de vue dans le cinéma, et dans l'art en général.

Il présente SA version de Camille Claudel, et l'on ne pouvait, ni ne devait, rien souhaiter d'autre.

Aussi, ne faut-il pas s’étonner de voir Juliette Binoche se fondre autant dans l'univers du réalisateur : son jeu se fait plus sobre, plus subtile, afin de pallier cette parole que Bruno Dumont rend si rare que sa valeur en est amplifiée. La maladie, fut-elle mentale, ne se raconte pas, ne se « dit » pas, elle se vit, se joue, se ressent. C'est aussi ce qui à conduit le réalisateur, dans sa volonté de reconstruire un univers le plus fidèle qui soit aux asiles psychiatriques du début du 20 siècle, à choisir de tourner avec les résidents d'une Maison d’accueil spécialisée, les seuls de nos jours à garder les stigmates physiques de leur maladie.

Juliette Binoche a donc pour partenaires des médecins et des infirmières (qui jouent le rôle des sœurs), ainsi que de réelles personnes présentant des troubles psychiatriques, et la caméra se pose sur les différents acteurs avec la même compassion, la même humanité.

Les rares gros plans ne visant qu'à saisir l'émotion, les déchirements et autres éclats au plus près, sans voyeurisme.

 

Dans cette univers aux frontières si étroites, Camille Claudel, qui est déjà internée depuis deux ans, ne supporte plus son enfermement. Elle ne s'estime pas malade et, par conséquent ne comprend pas les raisons qui la retiennent plus longtemps. Si Dumont nous montre clairement qu'elle est moins malade que ses congénères, et s'il va même jusqu'à nous faire douter à certains instants, certaines interrogations de Camille nous prouvent le contraire : elle souffre d'un délire de persécution et est persuadée que l'on veut l'empoisonner. S'il faut souligner le jeu de Juliette Binoche tout en finesse, en ruptures, entre faiblesse, instants de replis et fragilité et violentes réactions, il convient de souligner la justesse du regard du cinéaste sur la maladie : celle-ci n'est jamais soulignée ni accentuée, elle est présente de manière diffuse, comme si elle semblait guetter chacun de nous, et, surtout, comme si elle n'avait pas de véritable visage.

 

 

 

Camille Claudel, égérie de la liberté faite femme, de par sa relation avec Rodin (ici presque passée sous silence, comme en contre-pieddu film de Bruno Nuytten) et son génie artistique, est confrontée à un double enfermement que nous montre bien Dumont : celui, physique, et évident, de l'internement, l'autre plus insidieux de la maladie mentale.

 

Camille qui a tant de mal à supporter la compagnie des autres internés ne voit-elle en eux que sa propre folie ?

 

Seul l'espoir de sortir semble l'aider à vivre. Et l'annonce de la visite de son frère vient alimenter cet espoir et le consolider.

 

Comme d'habitude, le fil scénaristique de Dumont est ténu : dans le cas présent, il contribue à nous faire ressentir l'ennui de Camille.

 

La sobriété du cinéma de Dumont vient renforcer le sentiment de désolation intellectuelle,la solitude et la détresse que ressent Camille.

 

Malgré la présence des sœurs, malgré la présence d'une chapelle au sein de l'asile, celui-ci semble abandonné de Dieu, comme peut l'être Camille dans sa folie.

 

Même la scène de promenade n'apporte pas d'aération véritable : l’ascension d'un chemin pierreux sous le soleil écrasant de la Dordogne, balayée par le Mistral, prend des allures de montée au calvaire. Le retour n'est qu'un long enfouissement de Camille au plus profond d'elle-même.

 

Camille-Claudel-19151

 

Au sein de l'asile, deux lieux intriguent : la scène de théâtre, ou des malades viennent répéter Don Juan, et la chapelle, où vient se recueillir parfois Camille. Curieusement, ces deux lieux semblent se répondre.

 

À l’abandon apparent de la chapelle répond la vie du théâtre. Mais dans les deux cas, ce sont les « fous » qui prennent la parole et se mettent en scène.

 

Lors de l'un des recueillements de Camille au sein de la chapelle, l'une des pensionnaires joue le rôle du prêtre en interprétant un sermon à sa façon. Loin d'être une parodie de la religion, cette scène est plutôt une réappropriation de la religion, une restitution maladroite des préceptes qui sont inculqués au sein d'un établissement tenu par des religieuses.

 

De l'autre côté le théâtre apparaît comme un espace de liberté, du moins en apparence : Dumont, dont la mise en scène, et la direction d'acteur sont si rigoureuses, le sait bien. D'ailleurs, les « acteurs » de Don Juan ne sont pas ménagés par leur professeur de théâtre. Ainsi, la notion de liberté et d’évasion liée à une animation semble bien relative.

 

De plus, le choix même de la pièce interroge. Don Juan, cet éternel séducteur, « symbole » du libertinage, dans sa version la plus positive et littéraire, ne désigne-t-il pas ce besoin pathologique de séduire ? Comme si la seule proposition théâtrale qui pouvait être faite à des fous ne pouvait dépasser l'horizon même de la maladie. En extrapolant, Don Juan, par son trop plein d'amour ne serait-il pas le pendant « négatif » de la religion (Dieu est amour) ? La licence de Don Juan semble elle-même répondre à celle, suggérée, de Camille qui viendra assister aux répétitions pour tromper son ennui. En faisant se « confronter » ces deux univers, celui de la scène et celui de la chapelle, Dumont semble de surcroît nous suggérer que tout n'est que jeu, représentation et simulacre, sauf pour les malades de l'Asile qui vivent la réalité de leur maladie comme celle des rôles qu'ils endossent.

 

 

 

Presque en contrepoint de la vie de l'Asile, nous assistons à l'arrivée de Paul qui sillonne les routes à bord de sa voiture. Sa voix, off, nous fait partager ses pensées les plus intimes, ses inquiétudes, au sujet de la folie de sa sœur, et du risque qu'il encourt lui-même, se reconnaissant volontiers de nombreux traits de caractères communs à ceux de Camille. Au fil de son périple, nous le voyons marquer une halte dans un hôtel, où il s'installera, demi-nu, pour écrire, s'arrêtant parfois pour contempler le jeu de ses muscles. La scène, filmée de manière « crue » se révèle troublante par sa longueur, par l'étrange regard de Paul, tout abandonné à la cause religieuse et investi d'une mission.

 

camille-claudel-1915-13-03-2013-8-g

 

 

Cette scène, comme tout le personnage de Paul, ainsi que ses paroles, ne peuvent qu'interroger sur la notion de folie, et les limites de celle-ci. La folie de Paul, son « illumination » religieuse, bien que socialement admise, surtout pour un homme de lettres de son rang (il est déjà ambassadeur à cette époque), ne semble devoir faire aucun doute à nos regards contemporains. Plus tard, nous le voyons s'arrêter pour discuter avec un prêtre. Tout en gravissant la pente douce d'une colline, Paul évoque son extase religieuse, et la mission qu'il fait sienne : vouer sa vie et son œuvre à la célébration du christianisme. Le prêtre est admiratif et conclura l'entretien par « nous attendons de vous que vous soyez un saint ». Paul porte cette attente, cette lourde croix serait-on tenté de dire avec conviction. L'ascension des deux hommes répond à l'ascension de Camille lors de la promenade. Là où il n'y avait que douleur, apparaît l'apaisement, la sérénité. Arrivé au sommet, le visage de Paul sera même baigné d'une douce lumière.

 

Mais le jeu des correspondance entre les scènes ne s'arrête pas là. En effet, la rencontre entre Paul et le prêtre renvoie également à l'une des scènes du début : le bref entretien entre Camille et le psychiatre. Le prêtre peut être vu comme une autorité, religieuse, muette et admirative devant le spectacle de l'extase (de la folie ?) de Paul. Contrairement au prêtre qui formule une attente démesurée et elle-même porteuse d'excès (nous attendons de vous que vous soyez un saint), le psychiatre est l'autorité médicale qui ramène Camille au principe de réalité, sans oublier d'écouter sa patiente.

 

La rencontre, tant attendue avec Paul, constitue le point d'orgue du film, ce n'est pas un mystère.

 

Celle-ci a lieu dans l'un des salons de l'asile. Le dépouillement si cher à Dumont nous fait toucher du doigt la tension palpable entre les deux personnages : Paul, malgré l'amour qu'il porte à sa sœur, se sent gêné, on le devine sur la défensive. Camille, elle, se sait en position d'infériorité, car elle est suspendue à la décision de sa famille, sa mère en particulier.

 

Là encore, quelques mots suffisent à faire naître le malaise, à faire sentir le poids de cette mère que l’on ne voit pas. Le père, protecteur, (Dieu?) n'est plus et Camille après avoir perdu la protection de Rodin se sent abandonnée, sans autre horizon que la maladie, l'asile et l'espoir de revoir sa famille. Un espoir fou, peut être sa folie se résume-t-elle à cela, mais qui contribue à l'aider à vivre de longues années internée.

 

Brutalement, Paul met fin à la rencontre, et part comme l'on fuit. Un court entretien avec le psychiatre lui apprendra que Camille pourrait envisager de regagner sa famille, ce qui ne sera pas le cas. L'autorité, médicale, ne peut rien contre la société et les gens « sains ».

 

Un dernier plan nous montre le visage de Camille illuminé par le soleil. Toutefois, contrairement à ces deux derniers films, Hadewijch et Hors Satan, le réalisateur ne sacralise pas son héroïne.

 

 

 

Camille Claudel 1915 s'impose comme une expérience d'immersion radicale, dans la folie, l'ennuie et l'univers asilaire.

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Déjantés du ciné

Site indépendant proposant plus de 700 critiques de films américains, asiatiques et européens, dans tous les genres (action, comédie, documentaire, drame, romance, fantastique et S-F, horreur, policier, politique, thriller, western, etc.)
Voir le profil de Tchopo sur le portail Canalblog

Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité