Suspiria de Luca Guadagnino
Réalisateur : Luca Guadagnino
Année : 2018
Origine : Italie
Durée : 2h32
Avec : Dakota Johnson (Susie Bannion), Tilda Swinton (madame Blanc), Mia Goth (Sara), Chloe Grace Moretz (Patricia), Lutz Ebersdorf (docteur Josef Klemperer), Jessica Harper (Anke), etc.
Synopsis : Susie Bannion, jeune danseuse américaine, débarque à Berlin dans l'espoir d'intégrer la célèbre compagnie de danse Helena Markos. Madame Blanc, sa chorégraphe, impressionnée par son talent, promeut Susie danseuse étoile. Tandis que les répétitions du ballet final s’intensifient, les deux femmes deviennent de plus en plus proches. C’est alors que Susie commence à faire de terrifiantes découvertes sur la compagnie et celles qui la dirigent…
Le cinéaste transalpin Luca Guadagnino n’a pas froid aux yeux en décidant se proposer sa propre version de Suspiria (1977), un des monuments du cinéma d’horreur signé Dario Argento.
L’utilité du remake d’un tel film semblait inutile et le projet serait forcément casse-gueule. Luca Guadagnino risquait en outre de s’attirer les foudres des fans de la première heure. Sans compter l’immanquable comparaison entre les deux œuvres…
Pour donner du sens à un film attendu mais surtout redouté, Luca Guadagnino prend le parti de se libérer totalement de l’œuvre originelle. Évidemment, le synopsis reste le même avec une jeune danseuse américaine, Susie Bannion, qui rejoint une compagnie de danse dans une bâtisse où vont avoir lieu des événements mystérieux. Pour le reste, le spectateur est clairement en terrain inconnu. Et c’est tant mieux !
L'action se passe désormais à Berlin en 1977 (date du film original), dans un contexte marqué par les agissements de la bande à Baader. Le choix de la capitale allemande n’est pas anodin. L’école de danse jouxte le fameux mur de Berlin, évoquant la question de la liberté (la femme entravée dans son désir d’épanouissement) et la culpabilité des Allemands par rapport à la deuxième guerre mondiale. L’ombre de Fassbinder plane sur cette œuvre ancrée dans l’histoire.
Pour accroître le côté mélancolique de ce film, le réalisateur a fait le choix de couleurs sombres, avec une prédominance du gris. Exit donc les couleurs chatoyantes du Suspiria originel.
Quant aux meurtres commis, là encore on change radicalement de postulat. Chez Argento, un mystérieux tueur ganté (comme dans les gialli) élimine un à un des jouvencelles. Chez Guadagnino, la danse, élément devenu central, est à l’origine de la mort de nombreux personnages. La danse est une façon pour la femme de s’émanciper mais aussi de convoquer des forces obscures avec la mort qui rôde. Il est tout de même beaucoup question de possession démoniaque dans ce Suspiria new look.
Dans ces conditions, donner le rôle principal de Susie Bannion à Dakota Johnson peut surprendre. En fait, c’est un pied de nez au cinéma contemporain consensuel. Celle qui apparaissait comme une jeune fille bien sous tous rapports dans la trilogie érotico-romantico-SM des « 50 nuances », casse son image d’ingénue. A l’image du film, bien différent de ce que l’on imagine au départ, la fille de Don Johnson est plus mystérieuse que jamais. Alors que la Susie Bannion d’Argento (Jessica Harper) avait tout du petit être fragile, un peu nunuche, celle de Guadagnino est au contraire une femme mystérieuse. On ne sait pas trop quoi penser d’elle et le réalisateur brouille astucieusement les cartes. Ce n’est plus seulement la grande demeure qui attire l’attention mais également leurs occupants.
La mise en scène est au diapason avec de très jolis jeux de miroirs, des plans en plongée, en contre-plongée. Sans compter des chorégraphies magnifiques, qui évoquent tout à la fois la volonté d’être libre mais aussi la mort qui pointe sans cesse le bout de son nez.
Guadagnino privilégié l’ambiance alors qu’Argento mettait en scène des meurtres très graphiques, à l’image de tout bon giallo. Le réalisateur de ce nouveau Suspiria peut compter sur la musique de Thom Yorke, le leader de Radiohead, dont la musique hypnotique, aux aspects mélodiques, accroît le côté inquiétant de l’ensemble.
Cette œuvre non conventionnelle, divisée en six chapitres, se termine par un chapitre final (sans compter l’épilogue) radical hallucinatoire. A sa façon, Guadagnino revisite le raté Mother of tears d’Argento. Mais là, le spectateur a besoin d’avoir le cœur bien accroché car le climax de ce long métrage tranche avec ce que l’on a vu jusque-là. Les couleurs du film changent, donnant l’impression de vivre un cauchemar éveillé ou une entrée dans l’enfer. Le spectacle proposé est celui d’une étonnante orgie gore où la danse a toute sa place. Ces bacchanales constituent l’apothéose de cet envoûtant conte horrifique.
Dans ces conditions, la présence de Dakota Johnson est vraiment un choix couillu. A ses côtés, on retrouve une excellente Tilda Swinton, dont le corps particulier est parfait dans le rôle de la chorégraphe madame Blanc. Les autres acteurs ne déméritent pas non plus. Loin s’en faut.
Ce Suspiria 2018 a son existence propre et n’est pas du tout ridicule, même s’il est loin d’égaler l’œuvre d’Argento. En cause, une durée (bien) trop longue. Le flm aurait été sans doute plus pertinent sur une durée raccourcie d’au moins une demi heure. D’autant que plusieurs sous-intrigues ne sont qu’esquissées (les évocations de la deuxième guerre mondiale, le contexte politique de l’Allemagne de 1977, etc.) et n’apportent pas grand-chose à l’histoire.
Il n’en demeure pas moins que le Suspiria de Guadagnino est hautement recommandable. Il se démarque avec beaucoup d’a-propos de son glorieux aîné pour vivre sa propre vie. Il serait dommage de ne pas lui donner sa chance.