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Déjantés du ciné
8 avril 2008

Lucia et le sexe de Julio Medem

resize Réalisé par Julio Medem
Titre original : Lucia y el sexo
Titre international : Sex and Lucia
Année : 2001
Origine : Espagne
Durée : 128 minutes
Avec : Paz Vega, Tristan Ulloa, Najwa Nimri, Daniel Freire, Elena Anaya, Silvia Llanos,...

Fiche IMDB

Résumé : Après la mort de son petit ami, Lucia, qui est serveuse à Madrid, disparaît. Elle s'est exilée sur une île méditerranéenne afin de se ressourcer. Dans le calme de son exil, elle redécouvre les aspects troubles de son ancienne relation amoureuse.


Ce texte contient des spoilers : il est donc conseillé d'avoir vu le film avant d'en entreprendre la lecture.

Le cinéaste espagnol basque Julio Medem, révélé en 1993 avec le splendide L’écureuil rouge, possède une imagination débordante, entre naturalisme et symbolisme, qui lui a permis de créer un univers extrêmement personnel.

Cinquième film du réalisateur après Vacas, Tierra, L’écureuil rouge et le formidable Les amants du cercle polaire, Lucia et le sexe est assurément l’un de ses films les plus riches et les plus réussis, tout à fait représentatif de son style.

Scindé en deux parties d’inégales durées intitulées Lucia pour la première, très courte, et Le sexe pour la seconde beaucoup plus longue, Lucia et le sexe, comme tous les autres films de Medem, finit par s’affranchir de la notion de récit pour créer un film purement sensoriel, évoluant au gré du comportement changeant de l’héroïne.

Le film s’intéresse à la relation amoureuse et physique qui lie la belle Lucia, magnifiquement interprétée par la lumineuse Paz Vega (vue aussi chez Pedro Almodovar dans le superbe Parle avec elle et chez Jean-Pierre Limosin dans l’intriguant Novo), à l’écrivain Lorenzo (Tristan Ulloa, fiévreux), qui a sombré petit à petit dans la mélancolie et la dépression, entraînant la dégradation du couple.

La première partie du film narre la fuite de Lucia, après qu’elle ait appris que Lorenzo a été percuté par une voiture. Cette fuite brutale n’est pas expliquée sur le coup, Medem dévoilant progressivement des indices sur cette fuite, tout en laissant volontairement des zones d’ombre, par le biais de savants flashbacks remontant à la rencontre de Lucia et Lorenzo et permettant au passé de refaire surface, donc de redevenir présent dans l'esprit de Lucia (et pour le spectateur). Par cette construction, Medem crée un véritable suspense, où le spectateur doit chercher lui-même les raisons du comportement de Lucia dans ce qu’il voit.

La deuxième partie du film, le sexe, s’inscrit en fait dans la continuité de la première qui s’est limitée à présenter le personnage fantasque et impulsif de Lucia, se terminant sur une énigme à laquelle Medem ne répond pas, la fuite sur l’île. Une île totalement isolée, à la lumière surexposée, presque fantasmatique, en fait l’île dont parlait Lorenzo à Lucia. Dans cette seconde partie, Medem imbrique les flashbacks de manière totalement éclatée, faisant écho à la relation tumultueuse qui unit Lucia et Lorenzo, tout en observant le comportement présent de Lucia au gré de ses rencontres, notamment celle avec Héléna (incarnée toute en finesse par Najwa Nimri, héroïne du précédent film de Medem, Les amants du cercle polaire, et vue dans l’excellent Ouvre les yeux d’Alejandro Amenabar).

Entre le présent, sur l’île, et le passé qui refait surface et qui redevient présent, Medem crée un espace autonome purement cinématographique, entre-deux, où présent et passé redevenu présent finissent par se confondre et interagir, permettant de mettre en lumière tous les liens qui unissent les protagonistes.

L’érotisme promis par le titre du film est évidemment très présent, mais Medem n’en fait pas la même utilisation racoleuse qu’un Zalman King, spécialiste de l’érotisme chic et toc, auteur de Women of night ou A fleur de peau / Two moon junction. Dans Lucia et le sexe, l’érotisme n’est jamais instrumentalisé. Certes frontal (mais finalement très naturel), il évolue au fil du film. Vu du point de vue Lucia, le sexe est gai, franc, ludique, voire naïf, et s’exprime pleinement dans les très belles scènes érotiques entre Lucia et Lorenzo : en fait, il ressemble à Lucia, qui est elle-même naturelle, franche, gaie et un peu naïve aussi.

Cependant, plus le film avance, plus cet érotisme devient sombre et incontrôlable. Si la relation entre Lorenzo et Lucia semble à première vue simple, il n’en est rien. Au fur et à mesure de la progression du récit, il apparaît que le personnage de Lorenzo, bien qu’amoureux de Lucia, est hanté par un souvenir douloureux qui resurgit par bribes, au gré des retours dans le passé et qui complexifie sa relation avec Lucia.

Par ailleurs, cette résurgence se traduit par la difficulté de plus en plus grande qu’il a à écrire son second roman, inspiré de ses rapports avec Lucia mais aussi avec son trouble passé. L’écriture de ce roman va servir de révélateur quant à la personnalité tourmentée de Lorenzo, tout en permettant à Medem de jouer sur la mise en abyme de son récit. En effet, la progression du film est fortement liée à l’écriture du roman autobiographique de Lorenzo, finissant par effacer complètement la frontière entre l’écriture, la fiction et le récit, débouchant sur un nouvel espace cinématographique où le spectateur peut voyager librement dans le temps, la mémoire, les rêves et l’esprit des personnages. Une boucle temporelle est ainsi créée, emprisonnant les personnages jusqu’à ce qu’ils trouvent une porte de sortie, donc la clé de l’énigme.

L’érotisme est toujours présent mais se dédouble : le sexe avec Lucia demeure une source de joie pour le couple mais s’étiole avec la dépression de Lorenzo qui devient de plus en plus pesante, tandis que la relation purement physique que Lorenzo noue avec une jeune fille mystérieuse prénommée Belen (interprétée par la charmante Elena Anaya) s’exprime dans un érotisme sauvage, beaucoup plus ténébreux et inconfortable, traduisant à merveille l’état d’esprit tourmenté de l’écrivain.

Belen, clé de l’affreux souvenir qui ronge Lorenzo, fait basculer le film, jusqu’ici plutôt léger et déluré, vers la tragédie. Elle reste un personnage énigmatique, échappant à toute classification. Prise dans une relation à trois entre sa mère, ex-actrice porno et l’amant de celle-ci, Belen ne semble agir que par instinct ou pulsion, la conduisant elle aussi vers la souffrance et la dépression. Ses rapports avec Lorenzo ne font que mettre à jour un assouvissement mécanique de son désir sexuel, alimenté par le fait que Belen ne cesse de se comparer à sa mère, modèle et repoussoir, allant même jusqu’à mimer ses positions sexuelles lorsqu’elle visionne les films pornographiques de celle-ci. La narration jusqu’ici morcelée, éclatée, naviguant constamment entre présent et passé, atteint alors un point de rupture qui va permettre à Medem de redéployer son récit avec de nouvelles cartes.

Si le début du film pouvait paraître confus, tortueux et déconcertant, un peu à l’instar de l’état d’esprit de Lucia, qui cherche désespérément à comprendre les raisons du comportement de Lorenzo, les différents lignes narratives se raccordent avec la révélation du nœud dramatique expliquant les comportements des protagonistes, Lucia exceptée puisqu’extérieure au nœud : la mort de la petite fille prénommée Luna de Lorenzo et d’Héléna provoquée par la découverte par Luna de la relation sexuelle entre son père et Belen, qui se révèle être sa baby-sitter.

Lucia et le sexe devient alors une variation sur le jeu des hasards et des coïncidences, mais avec une approche d’une grande sensibilité, très différente de Krzysztof Kieslowski et Jacques Demy (pour le meilleur chez ces deux immenses auteurs) ou encore Claude Lelouch (souvent pour le pire), cinéastes abordant également cette thématique. L’île vers laquelle s’est enfuie Lucia sera le lieu de ralliement et de dénouement, l’espace de plénitude où tendent tous les protagonistes brisés du film et où un nouveau départ sera peut-être possible, l’endroit où les larmes si longtemps retenues pourront enfin couler, comme celles d’Héléna.

D’ailleurs, Medem fait de cette île un lieu ensoleillé qui semble hors du temps, aux couleurs chaudes et surexposées, lumineux, mystérieux aussi, dont le sol creux peut parfois s’ouvrir sur des trous profonds et inquiétants, accentuant le côté onirique du métrage, encore renforcé par des décors ou des visions insolites, comme la forme phallique du phare à côté d’un trou immense, dans lequel les personnages peuvent disparaître ou réapparaître.

La figure du trou est essentielle, puisqu’elle concerne non seulement le récit (qui est en effet troué de toutes parts), mais elle évoque aussi le trou noir de la mémoire, la disparition (la mort de la petite fille Luna) et la naissance (d’ailleurs, l’accouchement d’Héléna est filmé en gros plan, où le spectateur voit Luna sortir du « trou » de sa mère) ou la renaissance. Le trou permet aussi d’explorer les cavités sombres et inquiétantes de l’esprit, il facilite l’oubli mais aussi la résurgence. Il sert de raccordement entre tous les personnages ; relie le passé et le présent. Enfin, il peut ouvrir sur un monde parallèle, onirique, où il est possible de se réfugier.

En outre, le cinéaste basque inscrit ses protagonistes dans les éléments naturels, insistant sur des plans somptueux de terres, eau ou ciel, sur le vent qui balaie doucement la végétation, sur le soleil écrasant ou la lune brillante. Il crée ainsi un souffle cosmique qui submerge les individus et exacerbe leurs sensations. Ciel et terre, eau et air, soleil et lune font partie du même ensemble, ensemble dans lequel les hommes vont et viennent. Chez Medem, et cela dès ses premiers films, l’importance des astres est considérable et influe sur le comportement de ses personnages. Dans Lucia et le sexe, la lumineuse Lucia est affiliée clairement au soleil tandis que la petite fille morte, évidemment prénommée Luna, est affiliée à la lune, astre nocturne mais brillant, ce qui est logique puisque même morte, Luna doit continuer à briller pour que ses malheureux parents puissent se remettre à vivre. Si le symbolisme peut être trop appuyé dans certains films, il n’en est rien chez Medem : au contraire ce symbolisme est visuel, léger, dénué d’explication logique, jamais démonstratif et débouche souvent sur des scènes d’une grande poésie, à la grâce miraculeuse.

L’omniprésence des éléments qui semblent influer par des forces obscures et inexplicables sur le comportement des hommes fait évidemment penser au cinéma de Dario Argento, dont Medem est un grand fan. Mais contrairement à Argento, la force de ces éléments cosmiques n’est pas forcément mauvaise ou malfaisante.

Dans Lucia et le sexe, toute la mise en scène de Medem tend vers le raccordement. En premier lieu, il faut raccorder le récit, ce que fait Medem puisque la structure du film, au début déroutante et imprévisible, se resserre autour des personnages et révèle les liens qui les unissent. Mais cela ne suffit pas : pour se retrouver, redémarrer dans la vie après des événements tragiques, il faut aussi raccorder le passé et le présent, l’homme et la femme, la terre et le ciel, le soleil et la lune, bref il faut raccorder tous les éléments dans le grand ensemble cosmique. Faire le deuil, ne jamais oublier mais toujours aller de l’avant, fuir pour mieux se retrouver, disparaître pour mieux renaître. La figure du trou, commentée précédemment, peut aussi permettre le raccordement de tous les éléments. Comme il est dit dans le film, « C’est un conte plein d’atouts car à la fin il y a un trou pour revenir en son milieu et en changer le cours, si on le lui permet, si on lui laisse le temps ».

Profondément optimiste et généreux, Medem donne ainsi une nouvelle chance à ses personnages. Même s’il faut pour cela faire intervenir le fantastique. Même s’il faut disloquer le récit pour mieux le reconstruire.

D’une sensibilité à fleur de peau, Lucia et le sexe est une expérience fascinante, purement sensorielle. Le film a un rythme qui peut dérouter, alternant passé et présent, comédie et tragédie, vie et mort, rêve et réalité, avec une liberté de ton incroyable. Au son d’une bande-son envoûtante composée par Alberto Iglesias (le compositeur habituel de Medem), Lucia et le sexe ne peut laisser indifférent, invitant le spectateur dans des contrées troublantes et inconnues. C’est un film d’amour fou, qui inscrit ses personnages au sein du grand ensemble cosmique, dans un lieu où tous les éléments peuvent se rejoindre. Inventif, hypnotisant et captivant, doté d’un suspense constant, Lucia et le sexe est une des œuvres les plus abouties de Julio Medem et le film idéal pour pénétrer dans l’univers si particulier du cinéaste basque. A découvrir de toute urgence !

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