Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Déjantés du ciné
26 décembre 2010

Des filles en noir de Jean-Paul Civeyrac

desfillesennoir

Titre du film : Des filles en noir

Réalisateur : Jean-Paul Civeyrac

Année : 2010

Origine : France

Durée du film : 85 minutes

Avec : Élise Lhomeau (Noémie), Léa Tissier (Priscilla), etc.

FICHE IMDB


Résumé : Deux jeunes lycéennes qui sont très proches et qui en ont marre de la vie, songent au suicide.

Présenté à la quinzaine des réalisateurs au dernier festival de Cannes, Des filles en noir est un film sur un sujet que l'on n'a pas l'occasion de voir étudié en France au cinéma, le suicide.

Si d'autres cinéastes ont plus ou moins bien évoqué le sujet (on pense àVirgin suicide de Sofia Coppola mais surtout à l'excellent Der todesking du cinéaste underground Jörg Buttgereit), Des filles en noir est une œuvre d'une grande maturité.

Le cinéaste ne fait jamais dans la caricature et il n'enfonce jamais de portes ouvertes. Bien au contraire. Si les deux jeunes femmes que l'on voit dans le film, Noémie et Priscilla, des adolescentes respectivement âgées de 17 et 18, s'habillent effectivement en noir – d'où le titre du film – elles échappent à l'idée préconçue des filles de leur âge qui sont dans le style gothique.

Non, le cinéaste a avant-tout entendu faire ressentir au spectateur le spleen vécu par ces ados qui ne trouvent rien d'intéressant dans notre société. La justesse de ton des deux actrices principales, Élise Lhomeau (dans le rôle de Noémie) et Léa Tissier (dans le rôle de Priscilla) donne vraiment l'impression que l'on a affaire à deux adolescentes qui n'acceptent pas de rentrer dans la société où elles évoluent pourtant. Ainsi, au début du film on entend Noémie dire qu'elle n'a envie de rien. Un peu plus loin dans le film, à la question de savoir de qu'elle aime dans la vie, Priscilla répond « rien ». Si les deux jeunes filles ont des caractères un peu différents avec notamment une Priscilla qui est beaucoup plus sanguine que sa copine et qui n'hésite pas à badigeonner des voitures ou établissements du mot FEU pour montrer sa révolte, les deux jeunes femmes sont réunies par cette aversion au choix de vie qui leur est proposée. Ce sont d'abord des adolescentes déçues des garçons, l'une et l'autre ayant eu de vraies déceptions sur ce point. Voyant la vie de manière très idéaliste, elles n'acceptent pas les trahisons et les mensonges. Et puis ce sont également des jeunes filles qui ne réussissent pas à se raccrocher à tout ce que constitue normalement les repères dans la vie : à l'école elles sont considérées comme bizarres par leurs camarades de classe qui n'acceptent pas leur vision de la vie ; même la famille n'arrive pas à apporter une certaine stabilité. Noémie est en conflit permanent avec sa mère tandis que Priscilla a quitté ses parents et réside chez sa soeur et le copain de cette dernière mais aucune de ces deux personnes ne se soucie de la jeune fille. Noémie, particulièrement instable, n'hésite pas à clamer haut et fort devant sa classe d'école qu'elle va se suicider. Avec une pointe d'ironie, elle a le même propos avec sa grand-mère. C'est d'ailleurs avec sa grand-mère qu'on la voit pour une fois rire. Mais n'est-ce pas tout simplement un rire nerveux (« un livre de prière, on va se poiler ! »), révélateur d'un mal profond ?

Finalement, l'envie d'en finir avec la vie rapproche ces deux jeunes filles. Avec une superbe photographie très grisâtre, le réalisateur Jean-Paul Civeyrac renforce le côté sombre de cette œuvre et par la même occasion le côté déshumanisé de notre société. Rien n'est vraiment gai dans tout ça et la musique classique (Brahms, Schumann) utilisée à de nombreux moments n'est pas là pour détendre l'atmosphère.

On sent à chaque instant que ces deux filles sont capables de commettre un acte irréparable. Le lien fort qui les unit – qui n'est pas de l'amour mais est cependant plus que de l'amitié –  donne singulièrement l'impression qu'elles vont se suicider un jour ou l'autre, suivant en ce cas l'exemple du romancier romantique Kleist (qui s'était suicidé avec sa compagne). Une scène est vraiment particulièrement intéressante sur ce point, celle où l'on voit les deux jeunes filles qui discutent au téléphone et en viennent à l'idée de se suicider en même temps. Le montage parallèle que crée Jean-Paul Civeyrac établit une vraie tension, sachant que celle qui va sauter n'est pas fondamentalement celle auquelle on aurait pensé à la base. La violence du geste du suicide, pourtant attendu, accroît ce sentiment de tension perçu jusque-là dans le film.

Car tant dans sa thématique (avec ces deux filles qui n'arrêtent pas de penser à ça) que dans sa mise en scène sobre avec des raccords qui ont souvent lieu par le biais de fondus au noir, dans le choix des couleurs utilisées, la notion du suicide est omniprésente.

Et même quand un des deux personnages a disparu, l'autre n'arrête pas de penser à lui. La scène où Noémie se retrouve dans un brouillard épais et semble apercevoir Priscilla est très étrange. Elle semble bien indiquer qu'elle ne peut pas se passer de sa camarade qui était bien plus qu'une amie. Le fait de la voir pleurer (ce qu'elle ne fait jamais) est également un élément indiquant que Noémie regrette de ne pas avoir sauté également.

Même si l'univers devient moins sombre tant dans la mise en scène avec un raccord qui vient du ciel et est de couleur bleue (par rapport au noir omniprésent) que dans les relations sociales qui a désormais un but dans sa vie, en jouant dans un orchestre, on sent que cet équilibre est très fragile. Cette jeune fille, qui a déjà été hospitalisé par deux fois, peut rechuter à tout moment.

Si le film fait preuve d'une grande justesse de ton par rapport à cette thématique du suicide, le succès de ce long métrage est pour beaucoup dû à ses deux actrices nouvellement arrivées dans le cinéma et qui font preuve d'une incroyable maîtrise. On est bluffé par leurs performances, à tel point que l'on croirait que leurs réactions correspondent à un véritable vécu. Chapeau.

Au final, Des filles en noir aborde le suicide avec un regard qui met à mal notre société actuelle. Nullement aimable, le film a une vraie cohérence qu'il tire du jeu volontaire de ses actrices  et d'une mise en scène qui n'hésite pas à varier gros plans sur les visages et mouvements fluides.

Sans conteste, dans son genre, Des filles en noir est un très bon film qui mérite d'être vu. Malgré son côté « auteur », le film est facile d'accès. Alors vous savez tous ce qu'il vous reste à faire.

Publicité
Publicité
Commentaires
Déjantés du ciné
  • Site indépendant proposant plus de 700 critiques de films américains, asiatiques et européens, dans tous les genres (action, comédie, documentaire, drame, romance, fantastique et S-F, horreur, policier, politique, thriller, western, etc.)
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité