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Déjantés du ciné
7 mars 2013

Top 20 cinéma 2012 et bilan par Locktal

L’année 2012 s’est achevée depuis quelques temps et avait un lourd challenge à relever, au vu de la qualité exceptionnelle de l’année cinéma 2011.

A mon grand regret, il faut hélas constater que 2012 ne fut pas tout à fait au niveau de l’excellent cru 2011. Si de nombreux films intéressants sont sortis dans les salles, il y eut néanmoins moins d’œuvres réellement marquantes et s’élevant au-dessus de la mêlée.

Il est donc temps de s’atteler au bilan cinéma de cette année cinématographique 2012. En premier lieu, je tenterai de dresser un tour d’horizon assez exhaustif des longs métrages sortis dans les salles (du moins ceux que j’ai pu visionner), puis je terminerai cette synthèse par mon top 20 personnel.

Remarque : je ne parle que de films que j'ai vus en salles au cinéma ; je n'y ai pas inclus les films uniquement sortis en DTV (comme par exemple l'excellent Red state de Kevin Smith, que nicofeel cite dans son top 20 année 2012) en France et qui datent de l'année 2012...

 

I Tour d’horizon des sorties cinéma 2012

1)    Les déceptions 

a)    Europe

Chez les français, Pierre Jolivet (avec Mains armées) et Cédric Kahn (avec Une vie meilleure) ont livré deux œuvres assez intéressantes ayant en commun la belle actrice Leïla Bekhti (la révélation du sympathique Tout ce qui brille, de Géraldine Nakache et Hervé Mimran, qui date de 2009 et qui a connu une suite que je n’ai pas vue et qui est sortie en 2012 : Nous York, réalisée par les mêmes auteurs et plutôt décevante, d’après ceux qui l’ont vue), mais en-deçà de leurs précédents opus.

Mains armées est un polar français assez efficace, mais qui a un peu le cul entre deux chaises : polar réaliste, presque documentaire, d'un côté et tragédie familiale de l'autre... Les relations (ou plutôt l'absence de relations) entre le père (Roschdy Zem) et sa fille (Leïla Bekhti) ne sont pas suffisamment développées pour toucher vraiment.  Si le projet de Jolivet qui est tout à son honneur, son exécution ne semble pas complètement satisfaisante... Le film reste néanmoins assez solide  et se regarde sans ennui, d'autant que les acteurs se révèlent très convaincants.

Une vie meilleure dresse un portrait peu reluisant de la situation actuelle de la société française en crise et montre le combat que doit livrer un jeune couple (interprété par Guillaume Canet et Leïla Bekhti) qui cherche à ouvrir un restaurant contre des banques frileuses qui les poussent à utiliser les fameux crédits revolving. Evidemment, les conséquences seront désastreuses et auront raison du couple. Dans une société qui ne valorise que la réussite individuelle et où l’argent règne en maître, les héros ne font que se heurter à des murs qui finissent par faire voler en éclat leur désir de fonder une famille. Si le projet est ambitieux et lucide, le film se révèle un peu mécanique dans ses effets et manque du coup d’émotion, notamment par rapport aux précédents films de Kahn.

L’argent se retrouve également au cœur du dernier film de Costa-Gavras, Le capital. Thriller financier assez efficace, le film manque cependant de subtilité et s'égare parfois dans le mélange des genres, où le spectateur navigue entre une satire pas toujours très fine et le pur thriller qui représente la partie la plus réussie du film. Du coup, la dénonciation devient un peu trop démonstrative (défaut qui est assez récurrent chez Costa-Gavras), avec certains personnages inutiles (par exemple le personnage de la top model) ou peu étoffés (la femme du héros Marc Tourneuil, interprétée par Natacha Régnier, ou encore l'analyste financière jouée par Céline Sallette). Néanmoins, le film se suit plutôt bien, même s'il manque de nuances, et bénéficie d'une bonne interprétation de Gad Elmaleh à contre-emploi dans le rôle de Marc Tourneuil, mais il n'est pas aussi réussi que l’excellent Margin call de J. C. Chandor, sorti cette même année 2012 (dont je parlerai postérieurement).

Peut-être moins réussi que les deux précédentes aventures de Prudence et Bélisaire (Mon petit doigt m’a dit… en 2005 et Le crime est notre affaire en 2008, Associés contre le crime..., toujours réalisé par Pascal Thomas, est néanmoins plutôt plaisant, surtout dans sa dernière partie d'une réjouissante fantaisie... Le duo Frot / Dussolier fonctionne toujours bien, mais l'ensemble manque peut-être un peu de rythme, ce qui n'empêche pas de passer un agréable moment.

On peut aussi citer le film d’Alain Chabat, inspiré de la célèbre BD de Franquin : Sur la piste du Marsupilami, qui se révèle être une comédie exotique plaisante et souvent assez drôle (la scène hilarante où Lambert Wilson, habillée en drag queen, se met à chanter du Céline Dion est un grand moment !), bourrée de péripéties parfois inventives, et qui fait passer un bon moment mais ne marque pas durablement... Néanmoins, parmi les blockbusters français sans âme sortis cette année 2012, le film fait partie du haut du panier et remplit à peu près son contrat, même s’il est un peu en deçà des belles réussites que constituaient Didier en 1997 et Astérix & Obélix – Mission Cléopâtre en 2002 (on passera discrètement sous silence le « surréaliste » RRRrrrr !!!!, qui date de 2004).

Pour en terminer avec les déceptions du cinéma hexagonal, il faut évoquer le cas complexe concernant Jacques Audiard, qui a signé le drame De rouille et d’os, film reçu très positivement par la grande majorité des critiques et du public et régulièrement cité comme l’un des films les plus marquants de 2012. A mon sens, ce n’est pas encore avec ce film qu’Audiard entrera dans le cercle des grands cinéastes. Même si je le trouve globalement meilleur que le très ambigu Un prophète (2009), De rouille et d'os ne réserve aucune surprise, surtout au regard de la filmographie d’Audiard. C'est certes encore une fois un film solide, bien interprété par les deux acteurs principaux (Matthias Schoenaerts, la révélation du puissant Bullhead de Michael R. Roskam, film d’une toute autre classe à mon avis et que j’évoquerai plus tard, et Marion Cotillard, excellents), mais pour lesquels j'ai du mal à m'émouvoir et dont je ne me sens jamais proche. Pourtant, l'intrigue pouvait donner lieu à un film poignant, mais de trop nombreux points importants sont rapidement expédiés par Audiard, qui ne les développe jamais vraiment, comme la relation d'Ali (Schoenaerts) avec son fils (la pirouette finale, assez réussie, mise à part), la découverte par Stéphanie (Cotillard) de son infirmité (trop rapidement évoquée à mon goût) ou encore le personnage de Bouli Lanners, jamais mis en valeur alors qu'il aurait pu apporter un peu d'ambiguïté à l’ensemble. Si le film se laisse parfaitement regarder, il manque clairement un petit quelque chose qui le placerait un peu au-dessus du lot... En ce sens, il s’agit bien un film d'Audiard, qui ne parvient encore une fois pas à transcender son matériau d'origine. C’est pourquoi l’engouement critique autour du film me laisse perplexe.

Continuons notre périple des déceptions avec une escale en Italie. Le cinéaste Emanuele Crialese, après la belle réussite de Respiro en 2002 et celle plus relative de Golden door en 2006, est de retour avec le (trop) esthétisant Terraferma, tourné une nouvelle fois (après Respiro) dans l’île de Lampedusa. Le film s’intéresse au sort des immigrants étrangers, très nombreux dans cette île, et les confronte aux habitants et aux touristes. S’il offre quelques images très fortes (comme l’arrivée des immigrants africains qui débarquent sur une plage bondée), il traite trop superficiellement le thème brûlant de l’immigration, qui est parfois sacrifié au formalisme des plans (comme ces plans sous-marins, signature de Crialese).

Direction l’Espagne avec le deuxième film de Juan Antonio Bayona, après le beau L’orphelinat en 2007. Cette fois, le cinéaste espagnol revient sur le très meurtrier tsunami de 2004 avec The impossible et en tire un film-catastrophe visuellement somptueux, mais qui s'empêtre dans une deuxième partie versant dans le mélo un peu trop facile. Néanmoins, le réalisme et la précision de la mise en scène forcent le respect, notamment dans une première heure vraiment très réussie, dans laquelle la survie devient le seul enjeu, immergeant totalement le spectateur avec les protagonistes grâce à la force des images et le travail remarquable sur le son. Les acteurs (surtout Naomi Watts) sont totalement impliqués, mais la deuxième heure du film s'étire un peu trop en longueur et reste extrêmement convenue, nous laissant sur un sentiment mitigé.

Alex de la Iglesia, après l’excellent Balada triste (2010), livre le sympathique Un jour de chance, satire intéressante des dérives des médias, parfois un peu caricaturale mais qui fonctionne pas mal, grâce notamment à une bonne utilisation du décor (le musée moderne-théâtre antique, qu'on peut voir comme une métaphore). Le film fait penser, toutes proportions gardées, au génial Le gouffre aux chimères (1951) de Billy Wilder, et se révèle assez touchant sur la fin, bien qu'un peu manipulateur. Il est cependant dommage de ne pas avoir traité de manière plus poussée la crise actuelle espagnole et ses conséquences, dans une Espagne coincée entre puissance de l'argent et appauvrissement. Toutefois, le personnage principal (interprété par José Mota) représente assez bien cette situation paradoxale, mais il n'est pas très bien épaulé par des seconds rôles grossiers, à l'exception de Salma Hayek dans le rôle de l'épouse du héros, qui est très convaincante.

On reste en Europe avec un détour par le Royaume-Uni où le grand Ken Loach a livré un opus assez paresseux : La part des anges, comédie sociale plutôt revigorante, très bien interprétée, à la légèreté bienvenue mais sans grande ampleur. On y retrouve en mode mineur l’attachant monde prolétaire cher à Loach, mais le film semble suivre un programme tout tracé, avec un public déjà acquis à sa cause, et reste assez platement mis en scène. Un film agréable, loin d’être honteux mais qui s’oublie assez vite.

Simon Curtis, après de nombreux téléfilms, réalise son premier film pour le cinéma avec My week with Marilyn, qui est un biopic de la star hollywoodienne mythique, mais sans réelle surprise, qui vaut surtout pour l'interprétation de l'ensemble du casting, comme Kenneth Branagh en Laurence Olivier et surtout la très convaincante performance de Michelle Williams en Marilyn Monroe... Le film, limité au tournage du film de Laurence Olivier Le prince et la danseuse (1957), ne transcende jamais son sujet et se révèle finalement assez académique, même s’il se suit agréablement.

Après le formidable Morse en 2008, le suédois Tomas Alfredson livre avec La taupe une adaptation ambitieuse d’un célèbre roman de John Le Carré qui, malgré sa splendeur formelle, pèche par une trop grande distanciation. Certes brillant, peut-être même trop brillant, le film laisse la désagréable impression qu’Alfredson se regarde filmer et se désintéresse de ses personnages, au profit de la seule  force esthétique de ses plans. Du coup, le spectateur se trouve prisonnier du système mis en place et finit par se lasser de la multiplication des fausses pistes. On peut néanmoins se laisser séduire par cet exercice de style souvent brillant mais désincarné.

Le très inégal John Madden, auteur notamment du surestimé Shakespeare in love en 1998 et du plus attachant Capitaine Corelli en 2001, a sorti cette année Indian palace, qui s’intéresse à plusieurs retraités britanniques qui décident de s’établir en Inde. Le cinéaste ne traite cependant jamais en profondeur du choc des cultures et de la problématique liée à la retraite, il se contente de suivre paresseusement ses protagonistes chercher leur voie dans un environnement exotique inconnu. Si les acteurs sont tous excellents (Judi Dench, Maggie Smith, Tom Wilkinson, Bill Nighy), c’est bien là hélas le seul intérêt de cette fable assez caricaturale sur les bienfaits de la retraite.

Toujours en Grande-Bretagne, le brésilien Fernando Meirelles, auteur des intéressants mais à mon sens surestimés La cité de Dieu (2002), The constant gardener (2005) et Blindness (2008), signe avec 360 une relecture contemporaine mais sans réelle surprise de La ronde d’Arthur Schnitzer... Si on ne s'y ennuie pas et que les acteurs sont convaincants, l'originalité n'est pas de mise et on aurait aimé un peu plus de complexité chez les personnages.

b)    Etats-Unis

Du côté des Etats-Unis, deux cinéastes majeurs ont rendu des copies plutôt décevantes : Woody Allen et Stephen Frears.

Le premier, en pilotage automatique, signe avec To Rome with love un film assez mineur, prévisible et un peu longuet, émaillé de quelques scènes hilarantes (le chant sous la douche sur la scène de l’opéra) et du charme dégagé par la jolie et fraîche Alessandra Mastronardi. Si le film n’est pas désagréable, on aurait pu penser que le tournage en Italie, immense terre de culture et d’art, aurait plus inspiré Woody, d’autant que ses précédentes escapades en dehors des Etats-Unis s’étaient soldés par des réussites, à Londres en particulier avec le génial Match point en 2005 ou le surprenant Le rêve de Cassandre en 2007).

Quant au britannique Stephen Frears, il offre avec Lady Vegas une comédie assez poussive, étonnante de sa part (surtout au vu des brillantes réussites de Héros malgré lui en 1992, The snapper en 1993, High fidelity en 2000, voire Tamara Drewe en 2010). Si le film est plutôt sympathique au départ et fait illusion, il finit par se révéler assez saoulant et répétitif, malgré l’interprétation joyeuse des acteurs (Bruce Willis et Catherine Zeta-Jones notamment), et le charme incontestable de la jolie Rebecca Hall (révélée notamment en 2008 par le beau Vicky Cristina Barcelona, de… Woody Allen). Pour les mêmes raisons que chez Allen, Las Vegas n’a pas autant inspiré Frears que ce qu’on aurait pu croire, au regard du potentiel cinégénique de la ville.

De son côté, l’australien John Hillcoat a également relativement déçu avec un sympathique mais peu original Des hommes sans loi, hommage un peu compassé aux films de gangsters, surtout après la formidable réussite de son western crépusculaire The proposition (2005) et la réussite plus mineure de son film post-apocalyptique The road (2009), première incursion du cinéaste dans le cinéma américain. Mélange intéressant de film de gangsters et de western, à l'esthétique soignée, Des hommes sans loi tire son originalité par le fait d'ancrer le récit au sein de paysages ruraux... Néanmoins, le film réserve trop peu de surprises dans cette histoire classique de vendetta, si ce n'est ses excès soudains de violence. Bien interprété par l'ensemble des acteurs, il reste trop balisé, trop sage, même si on passe un bon moment.

Présenté en compétition au festival de Cannes 2012, le nouveau film de Lee Daniels, Paperboy (après l’inégal mais étonnant Precious en 2009), est un polar néo-noir moite assez intéressant, parfois lourd et vulgaire, visuellement réussi (le grain argentique semble bien présent), mais dénué de fièvre et d'émotion, malgré quelques outrances bienvenues... Les personnages qui semblaient sur le papier assez riches se révèlent hélas plutôt caricaturaux et superficiels. Cela dit, le film se laisse tout à fait regarder, mais il manque clairement de subtilité... Nicole Kidman y compose un personnage particulièrement vulgaire qui fascinera ou rebutera.

L’acteur Ben Affleck, après les attachants Gone baby gone (2007) et The town (2010), revient avec son film Argo de manière solide sur l’évocation historique de la libération de plusieurs diplomates américains s’étant réfugiés à l’ambassade du Canada à Téhéran lors de la crise iranienne des otages de 1979 en se faisant passer pour une équipe de tournage faisant des repérages pour un film de science-fiction, et livre un film d'espionnage intéressant, souvent haletant et efficace. Toutefois, il est dommage qu'Affleck ait privilégié le suspense (même si c'est bien mené, à l'exception de la fin, un peu too much) au détriment des enjeux géopolitiques pourtant passionnants entre les Etats-Unis et l'Iran. D'ailleurs, le film donne une image de l'Iran très négative, à la limite de la caricature, sans vraiment chercher à comprendre les motivations de ce pays, ce qui limite un peu cette entreprise néanmoins sympathique, ne serait-ce que par l'évocation de faits historiques méconnus. Mais on reste loin des grands thrillers politiques de Pakula ou de Frankenheimer...

Au niveau des blockbusters, Tony Gilroy, après notamment un convaincant Michael Clayton en  2007, réalise le quatrième volet de la saga Jason Bourne : Jason Bourne : l'héritage, qui se présente comme un bon thriller d'action, efficace et sans temps mort, porté par un très convaincant Jeremy Renner (le héros du remarquable Démineurs de Kathryn Bigelow, qui date de 2008). Toutefois, le film peine à se démarquer des trois opus précédents, notamment dans ses péripéties qui sont trop proches des films avec Matt Damon, et la scène d'action finale, toute spectaculaire qu'elle est, manque de lisibilité en raison de plans trop nombreux et montés trop rapidement...

Quant à Marc Webb qui avait séduit avec sa très sensible chronique de couple (500) jours ensemble en 2009, il a cédé à l’appel du film à gros budget et a été chargé de relancer la franchise Spider-Man, après la trilogie réussie de Sam Raimi consacrée à l’homme-araignée. Webb signe donc avec The amazing Spider-Man un reboot assez inutile à mon sens, mais pas désagréable... Cependant, les questions de la culpabilité et de la responsabilité ne sont pas suffisamment développées par le cinéaste, de même que le bad guy, qui aurait pu faire un personnage intéressant, reste peu impressionnant et assez fade. Et puis, Spider-Man qui lance des blagues lourdingues avant de frapper, bof... Reste le couple Andrew Garfield / Emma Stone, qui fonctionne pas mal, même si la relation aurait également pu être approfondie... C’est d’autant plus dommage que Webb semblait être au départ le cinéaste idéal pour traiter cette relation dans toute sa complexité : il s’est hélas contenté de livrer un blockbuster calibré, qui est loin d’être inoubliable.

Après notamment le poétique et sensible Pleasantville en 1998, on attendait également mieux de Gary Ross. Cédant aussi à l’appel du blockbuster, histoire de surfer sur l’énorme succès des adaptations des romans Twilight de Stephenie Meyer, le cinéaste présente une adaptation de la série de best-sellers écrits par Suzanne Collins, Hunger games. Le film n’est pas désagréable mais il reste assez anodin dans l'ensemble, et surtout assez aseptisé et peu nuancé (il y a vraiment les méchants d'un côté et les gentils de l'autre), émaillé de scènes d'action assez peu lisibles... Hunger games demeure hélas à la surface des choses, alors qu'il y avait sans doute matière à donner une oeuvre vraiment intéressante. Sur le même thème de la télé-réalité, Battle royale (2000) de Kinji Fukasaku ou même de Le prix du danger (1983) d'Yves Boisset sont autrement plus percutants...On peut toutefois noter une interprétation très convaincante de la jeune Jennifer Lawrence (révélée en 2010 par le beau Winter's bone de Debra Granik).

En cette année 2012, l’héroïne du célèbre conte des frères Grimm, Blanche-Neige, semble inspirer les producteurs américains puisque pas moins de deux versions sont sorties dans les salles à quelques semaines d’intervalle. Je n’ai pas encore vu l’adaptation de Tarsem Singh (l’auteur de l’inégal The cell en 2000 et surtout de l’étonnant The fall en 2006) intitulé tout simplement Blanche-Neige, avec la jeune Lily Collins (la fille de Phil Collins) dans le rôle-titre et Julia Roberts dans celui de la reine : je ne me prononcerai donc pas sur ce film.

En revanche, j’ai vu la deuxième version, réalisé par Rupert Sanders dont c’est le premier long métrage, et intitulée Blanche-Neige et le chasseur. Ce film propose une relecture pas inintéressante du célèbre conte, même si elle manque un peu d'originalité (car on y sent des scènes déjà vues dans d'autres films, comme évidemment Le seigneur des anneaux de Jackson ou le moyen Jeanne d'Arc de Besson). Si le film tient à peu près la route visuellement, il aurait mérité d’être plus resserré et les prestations de ses acteurs plus contrôlées : Charlize Theron (dans le rôle de la reine) semble en effet en surjeu pendant la moitié du temps et les autres acteurs, notamment Kristen « Bella » Stewart (dans le rôle de Blanche-Neige) manquent de conviction. Néanmoins, le mélange d'heroic fantasy, de gothique et de merveilleux est loin d'être désagréableet Blanche-Neige et le chasseur, malgré un côté inégal, comprend tout de même quelques bonnes idées, comme le passage où Blanche-Neige arrive dans un village dont les habitantes sont scarifiées pour ne pas faire de l'ombre à la reine, ou lorsque la reine aspire littéralement la jeunesse de ses victimes.

Il faut également noter la sortie en janvier 2013 d’une nouvelle version (entièrement muette et en noir et blanc) de Blanche-Neige intitulée Blancanieves et réalisée par le cinéaste espagnol Pablo Berger, qui est absolument somptueuse et dont je parlerai lors du bilan cinéma 2013.

Pour en finir avec les blockbusters, le nouveau film de l’inégal Ridley Scott, Prometheus, présenté comme une sorte de préquelle au séminal Alien (que Scott a réalisé en 1979), est un film de science-fiction ambitieux, qui aborde de nombreux thèmes métaphysiques mais hélas sans les développer réellement. Si le spectacle est immersif et total, la direction artistique impressionnante et la mise en scène de Ridley Scott très maîtrisée, le film, qui comporte plusieurs incohérences, ne se montre pas tout à fait à la hauteur des attentes suscitées et surtout propose ce qui peut sembler être une interprétation créationniste ou du moins très ambiguë de l’origine du monde. Toutefois, cela reste du bon boulot en terme de design.

Enfin, je terminerai par ce qui constitue pour moi le plus mauvais film de 2012, du moins parmi tous ceux que j’ai vus : Extrêmement fort et incroyablement près, réalisé par le britannique Stephen Daldry (auteur des déjà surestimés Billy Elliot en 2000, The hours en 2002 et The reader en 2008) qui confirme à mon sens son statut de piètre cinéaste. S’intéressant aux conséquences du 11 septembre 2001 sur la vie d’un petit garçon vivant seul avec sa mère (interprétée par Sandra Bullock) et qui a perdu son père (joué par Tom Hanks) dans la destructions des tours du World Trade Center, le film est un mélodrame indigeste, larmoyant et manipulateur, formaté mécaniquement pour la cérémonie des Oscars et qui finit par écœurer le spectateur à force d’effets gratuits et tape à l’œil, au lieu de l’émouvoir. Pire, le spectateur ne se sent jamais impliqué et se sent prisonnier d’un programme calibré, prévisible et qui prend progressivement la forme d’un chantage affectif.

c)    Océanie

Après la réussite (même si on peut émettre certaines réserves) de sa trilogie Le seigneur des anneaux, le néo-zélandais Peter Jackson a livré le premier volet de sa nouvelle trilogie adaptée de Tolkien, Le hobbit – Un voyage inattendu : un voyage plutôt plaisant mais qui semble un peu en-deçà de sa précédente trilogie, en raison d’un côté plus familial et moins épique, d’images de synthèse trop systématiquement utilisées et d’une durée excessive, surtout durant la première partie du film (cf le repas interminable des nains chez le hobbit). En dépit d’une relative déception, le spectacle est tout de même au rendez-vous et donne malgré tout envie de découvrir les deux prochains opus.

 

2)    Les révélations

Il faut hélas constater le manque flagrant de révélations en cette année 2012, notamment du côté européen (au moins parmi les films qui ont bénéficié d’une sortie cinéma). Toutefois, on peut noter quelques belles découvertes.

a)    Europe

Pour la France, Ernest et Célestine constitue un merveilleux film d’animation. Co-réalisé par Vincent Patar, Stéphane Aubier (tous les deux déjà co-auteurs de l’excellent Panique au village en 2009) et Benjamin Renner (dont il s’agit du premier film). Fable tendre et sensible sur la différence basée sur les relations complémentaires entre une petite souris espiègle prénommée Célestine et un ours artiste grognon nommé Ernest, aux caractères opposés mais bravant tous les deux les absurdités de l’ordre établi, le film est un magnifique ode à la tolérance, qui bénéficie d’un graphisme minimaliste étonnant, aux traits incroyablement délicats.

On peut aussi citer la réussite relative de Du vent dans mes mollets, deuxième long métrage de la française Carine Tardieu après le sympathique La tête de maman en 2007. Adaptation de la BD de Raphaële Moussafir, le film est une chronique familiale sensible et touchante, souvent drôle, qui traite assez subtilement des relations entre deux petites filles (très bien interprétées par Juliette Gombert et Anna Lemarchand) dont l’une est d’origine juive, que cela soit avec leur famille ou entre elles, et qui n'hésite pas à aborder avec une certaine gravité la thématique de la mort (Auschwitz mais aussi la mort des proches, désirée ou non). L'univers enfantin et coloré recréé par la réalisatrice finit par irriguer les lieux et les personnages, mais n'empêche pas une certaine cruauté.

Provenant d’Italie, le premier long métrage de cinéma réalisé par Stefano Sollima (le fils du grand Sergio Sollima, auteur notamment des magnifiques Colorado en 1966, Le dernier face à face en 1967 et La poursuite implacable / Revolver en 1973) : ACAB : All cops are bastards, est un polar sec et brutal, qui dresse le portrait d'une brigade de CRS corrompue. On pourra reprocher au film une certaine ambiguïté : dénonce-t-il un certain fascisme de la société actuelle ou excuse-t-il les relents racistes dus à un contexte social de plus en plus désagrégé ? Mais il faut reconnaître que le film est plutôt efficace et les scènes d'affrontement entre CRS et supporters sont d'une grande intensité.

Du côté du Royaume-Uni, le britannique Ben Wheatley, après un premier film inédit chez nous intitulé Down terrace en 2009 (pas visionné), a vu sortir pas moins de deux de ses films dans les salles françaises : Kill list (que je n’ai pas encore eu l’occasion de découvir mais qui bénéficie de critiques plutôt élogieuses) et Touristes, thriller déjanté qui narre la virée sanglante d’un étrange couple dans la campagne anglaise. Jeu de massacre réjouissant, le film, qui mélange humour noir et romantisme noir, devient un peu lassant et répétitif à la longue, en raison du fait que le couple ne connaît pas d’évolution et finit par faire du sur-place, malgré une fin assez mémorable.

Escale au Danemark où le danois Nikolaj Arcel, après trois films dont un seul est sorti en France (et encore, en DVD), L’île aux sorciers (2007), qui semble être un divertissement familial (mais je n’ai pas vu ce film), signe un quatrième film qui bénéficie enfin d’une distribution mondiale : Royal affair. Drame historique élégant aux enjeux politiques bien orchestrés, le métrage permet de revenir sur une page méconnue de l'histoire du Danemark, en mêlant habilement intrigues de cour, manipulation et drame romantique.  Bien interprétée par l'ensemble des acteurs (dont un excellent Mads Mikkelsen dans le rôle de Struensee), cette fresque privilégie le huit clos (la plus grande partie de la trame se déroule dans le palais), isolant les trois principaux protagonistes du reste du monde (donc du peuple) et les enfermant. Elle s'intéresse notamment à la relation ambigüe qui lie le héros Struensee au roi. On pourra regretter une certaine froideur qui bride parfois le souffle romanesque, mais le film n'ennuie jamais et reste un plaisir pour les yeux. Par ailleurs, l'actrice suédoise qui interprète la reine Caroline, Alicia Vikander, est particulièrement craquante.

On reste en Scandinavie, plus précisément en Norvège, avec le cinéaste Joachim Trier qui, après un premier film intitulé Nouvelle donne en 2006 (que je n’ai pas vu mais qui avait eu des critiques élogieuses), frappe un grand coup avec le sublime Oslo, 31 août, librement adapté du roman de Pierre Drieu La Rochelle et qui avait déjà inspiré Louis Malle pour un de ses plus grands films, Le feu follet (1963). Trier garde l’unité de temps (une journée) et concentre en cette journée tout ce qui fait la vie de son jeune héros Anders (magnifiquement incarné par Anders Danielsen Lie), ex-junkie hanté par la question de sa place sur la Terre et du suicide. Alors que brillent les derniers feux de l’été, Anders tente de trouver une raison de vivre en renouant avec ses amis durant sa journée de permission, notamment lors de la confrontation avec son ami de virée, maintenant marié et père de famille, et qui a fini par accepter cette vie morne et banale. Anders, lui, ne peut accepter cette situation et préfère déambuler au gré du hasard dans Oslo (superbement filmée par Trier) pour trouver peut-être une bouée de sauvetage qui n’arrive pas (peut-être parce qu’il n’a pas envie qu’elle arrive). Le mal de vivre, la solitude, l’impossibilité d’un avenir, finissent par l’emporter, poussant fatalement notre héros à éteindre à jamais la dernière flamme, déjà vacillante, de son existence. D’une tristesse infinie, Olso, 31 août est incontestablement l’un des films les plus remarquables de cette année 2012 et fait attendre impatiemment le prochain film de Joachim Trier.

Finissons avec la Belgique qui a livré un remarquable premier film réalisé par Michael R. Roskam : Bullhead, sorte de polar rural sur fond de trafic d’hormones et à la structure proche du film noir. La belle idée du métrage est de dresser le portrait complexe de Jacky Vanmarsenille (interprété par un impressionnant Matthias Schoenaerts, vu ensuite dans De rouille et d’os de Jacques Audiard), véritable brute mutique qui va progressivement s’humaniser au gré de flashbacks revenant sur sa trajectoire et révélant un trauma d’enfance qui expliquera les raisons de son comportement violent et pulsionnel. Le spectateur découvrira alors l’homme brisé derrière la testostérone, le petit garçon apeuré derrière les muscles et les hormones, et appréhendera la suite du film avec un regard nouveau qui redéfinira les contours de ce polar fascinant, permettant l’affleurement d’une émotion déchirante. Un vrai coup de maître, qui fait attendre impatiemment le prochain film de Roskam.

b)    Etats-Unis

Commençons notre tour d’horizon des révélations par le premier film réalisé par Jake Schreier : Robot & Frank. Cette émouvante fable se présente sous la forme d’un film de science-fiction assez ludique, mais qui traite néanmoins avec sensibilité de la maladie d'Alzheimer et de la mémoire (qu'elle soit humaine ou artificielle). Frank Langella y est impérial dans le rôle principal. Si on peut reprocher la mise en scène assez anonyme de Schreier, on passe cependant un agréable moment et le film parvient même à être assez touchant sur la fin.

Sous ses airs de film apocalyptique, le premier film d’Evan Glodell réalisé avec un budget dérisoire, Bellflower, est une vraie bonne surprise. Instable, troublant, sensoriel, à la limite du cinéma expérimental, le film n’a pas peur de prendre des risques, même s’il perd un peu le spectateur, et fait preuve d’une énergie et d’une générosité dignes de respect. L’ambitieuse construction du récit, qui évite la linéarité et préfère une approche sensitive et onirique, utilise la rupture sentimentale du héros (interprété par le cinéaste lui-même) pour opérer une scission à l’intérieur du film, élément déclencheur de la régression du personnage qui choisira alors la voie de l’immaturité et de la violence, se réfugiant dans ses rêves de geek hanté par Mad Max, rêves ou cauchemars qu’il partagera avec son pote (le film est aussi un bel ode à l’amitié, destructrice mais aussi reconstructrice) en attendant l’apocalypse qui sonnera alors presque comme une délivrance. Bellflower est une œuvre unique, qui pourra irriter par ses partis pris parfois outranciers (flous constants, images saturées, jump cut), mais qui dénote une personnalité forte.

Premier long métrage du jeune Josh Tank, écrit par le jeune Max Landis (fils du cinéaste John Landis), Chronicle est une approche originale du film de super héros, préférant s’attarder sur les comportements de ses jeunes protagonistes, des adolescents lambdas qui se découvrent d’un coup des superpouvoirs qu’ils utiliseront à leurs propres fins, sans se soucier des funestes conséquences qui découleront de leur irresponsabilité. Parfois proche des œuvres de Gus Van Sant par le traitement sensible accordé à ses jeunes héros, le film rend ainsi le climax final encore plus déchirant, d’autant que Tank utilise assez habilement le procédé du found foutage, qui permet d’ancrer le métrage dans la plus banale des réalités, comme si les événements étaient filmés par Monsieur Tout le monde, par le biais d’un camescope ou d’un téléphone portable. On suivra donc avec attention la suite de la carrière naissante de Josh Tank.

Sean Durkin réalise également un excellent premier long métrage avec le troublant Martha Marcy May Marlene, chronique faussement doucereuse du retour difficile d’une jeune fille s’étant échappée d’une secte au sein de sa famille (chez sa sœur et son époux en fait). Imprévisible, fantomatique, sensuelle, parfois irritante mais souvent touchante, Martha (interprétée magistralement par la jeune Elizabeth Olsen, la sœur cadette des célèbres jumelles Olsen) est coincée entre la prison représentée par la secte et la nouvelle prison constituée par le foyer de sa sœur et de son mari, couple bourgeois qui a du mal à comprendre le malaise ressenti par la jeune fille. Le film distille un climat anxiogène particulièrement dérangeant et ne cherche à aucun moment à être trop explicatif ou psychologisant, laissant le spectateur s’immerger dans la tête de Martha, égarée, décalée, insaisissable… Très belle surprise !

La crise économique mondiale est le sujet du premier film de J. C. Chandor, qui signe le remarquable Margin call. Description quasi-chirurgicale de l’univers de la haute finance, le film suit les cadres d’une banque d’affaires durant la nuit précédant le krach boursier de 2008. Respectant l’unité de lieu et de temps, ce huit clos financier observe froidement la catastrophe à venir, conséquence d’un système capitaliste poussé dans ses limites. En outre, Chandor réussit à rendre chaque personnage intéressant, évitant constamment la caricature, au sein d'un film polyphonique diablement efficace, tendu comme un thriller et superbement interprété par l'ensemble des acteurs (Kevin Spacey, Paul Bettany, Jeremy Irons, Demi Moore, Zachary Quinto).

Matthew Gordon donne naissance à un premier film attachant : Summertime. Il s’agit d’un beau film sur le thème déjà maintes fois abordé d’ « on ne choisit pas sa famille » qui, s’il n’offre pas de réelles surprises, révèle néanmoins un sens du cadre et une sensibilité tout à fait appréciables, ainsi que de jeunes interprètes non professionnels formidables... Le film est concis, précis et dresse un portrait réaliste de l'envers du rêve américain.

Après deux premiers films à l’intérêt limité : L’exorcisme d’Emily Rose en 2005, qui surfait maladroitement sur le succès du célèbre L’exorciste (1973) de William Friedkin et sur le revival des films de possession ces dernières années, puis le triste remake sorti en 2008  du classique datant de 1951 de Robert Wise, Le jour où la terre s‘arrêta, Scott Derrickson livre enfin un film honorable avec Sinister, un thriller fantastique assez haletant, qui repose sur une idée intéressante même si elle ne brille pas forcément par son originalité : le voyeurisme peut être dangereux, idée qui n'est pas exploitée de manière approfondie. Néanmoins, le film, parfois un peu longuet, est assez prenant dans sa gestion de la tension et fait sursauter plusieurs fois. La première partie est particulièrement réussie et utilise habilement le found footage pour faire naître un suspense efficace et mystérieux tenant en haleine le spectateur. La deuxième partie est hélas plus paresseuse et n'exploite pas toutes les possibilités du script, elle est beaucoup plus commune. Mais on passe un bon moment au final.

Après un premier film resté inédit chez nous, Great world of sound (2007), Craig Zobel frappe un grand coup avec le troublant Compliance. Inspiré de faits réels, ce thriller qui peut sembler invraisemblable à première vue est assez dérangeant, car il évoque de manière assez effroyable comment sous la coupe de l'autorité on peut faire faire n'importe quoi à certaines personnes qui semblent pourtant bien braves au quotidien. Zobel livre un huit clos étouffant, absurde et sordide mais auquel on peut reprocher un côté parfois trop manipulateur vis-à-vis du spectateur. En revanche, le cinéaste évite un côté trop moralisateur en alternant intelligemment les points de vue. L'interprétation tout en finesse de Anne Dowd dans le rôle de Sandra, la gérante du fast-food, femme honnête (mais peut-être inconsciemment un peu jalouse de la beauté de Becky) qui se transforme progressivement en bourreau sans s'en rendre compte, est parfaitement convaincante, face à la jolie Becky (interprété par Dreama Walker) qui semble tout accepter sans réagir, dans une sorte de soumission à l'autorité.

Christopher McQuarrie, le scénariste notamment de Usual suspects (1994) et de Walkyrie (2008), tous les deux réalisés par Bryan Singer, signe son deuxième long-métrage, après le sympathique Way of the gun en 2000 : Jack Reacher, un vigilante carré et efficace, parfaitement interprété par Tom Cruise et la belle Rosamund Pike (loin des rôles de potiches habituelles de ce type de production), qui rappelle un peu (toutes proportions gardées) les grands thrillers paranos des années 1970. Pas de scènes spectaculaires inutiles, pas de surenchère, mais un rythme parfait, une mécanique bien huilée qui ne joue pas au plus malin avec le spectateur. Puis un humour bienvenu, et le bonheur de revoir le génial Robert Duvall et le cinéaste Werner Herzog dans un rôle surprenant... Bref, sans doute pas un grand film, mais le plaisir est au rendez-vous !

 Enfin, on peut saluer le lauréat de la Caméra d’Or au festival de Cannes 2012, Benh Zeitlin, qui offre avec Les bêtes du Sud sauvage un très beau conte naturaliste à dimension fantastique, qui transforme la fin du monde en une odyssée pleine d'espoir, uniquement vue du point de vue de la jeune héroïne admirablement incarnée par la jeune Quvenzhané Wallis. Entre documentaire et surnaturel mythologique, Zeitlin fait surgir la magie de la misère et permet à sa jeune protagoniste d'apprendre à survivre et à résister, rééquilibrant ainsi les forces de la nature et le monde des hommes dans un tout universel. Par ailleurs, le portrait du père de l'héroïne est saisissant : imparfait, imprévisible mais souvent touchant. Sans doute (trop) influencé par le grand Terrence Malick, ce premier film reste une très belle découverte, malgré une musique assez envahissante...

c)    Amérique Latine

En provenance du Chili, les deux cinéastes chiliens Pedro Peirano et Sebastian Silva (déjà auteur de deux films : La vida me mata en 2007, toujours inédit chez nous et La nana en 2009, que je n’ai pas vus) ont présenté Les vieux chats, film à la thématique rebattue (« Famille, je vous hais ») mais qui réserve malgré tout quelques surprises, notamment en raison des comportements extrêmes et parfois étonnants des protagonistes, tous excellemment interprétés. Les deux réalisateurs jouent adroitement du cloisonnement pour finalement ouvrir progressivement sur un horizon plus ouvert et apaisé...

Pour le Mexique, Gerardo Naranjo, après plusieurs films restés inédits en France, offre avec Miss Bala un polar d'une efficacité diabolique, qui plonge son héroïne Laura (la magnifique Stephanie Sigman) et le spectateur dans l'enfer des cartels, par le biais d'une mise en scène immersive privilégiant les plans-séquences et refusant le spectaculaire... Le cinéaste met sur le même pied d'égalité les cartels, les policiers, les politiques, sans parler des flics et militaires américains et pointe du doigt un système corrompu de toute part, dans lequel aucun échappatoire n'est possible... On pourra trouver le film quelque peu roublard dans certains partis pris, mais le calvaire de Laura, victime et complice malgré elle, ne peut laisser indifférent, anticipant un fait divers sanglant datant du 24 novembre 2012 et dans lequel une reine de beauté mexicaine liée aux cartels de drogue, Maria Susana Flores Gamez, avait été tuée par l’armée.

Après un premier long métrage sorti confidentiellement mais apparemment déjà marquant, Daniel y Ana en 2009 (que je n’ai pas vu), le mexicain Michel Franco revient avec une œuvre-choc qui a déjà fait couler beaucoup d’encre : Después de Lucia. Ce film d'une très grande cruauté, parfois à la limite du soutenable dans les humiliations de plus en plus radicales infligées à la jolie Alejandra (interprétée par la jeune Tessa Ia, exceptionnelle), jeune adolescente encore en deuil de sa mère et n'ayant plus qu'un père vivant lui-même ce deuil de manière différente et délaissant un peu sa fille, entraîne ses deux protagonistes (le père et sa fille) dans une véritable descente aux enfers. La mise en scène précise de Michel Franco, au début énigmatique, cerne progressivement le spectateur pour ne plus le lâcher, lui faisant ressentir toute l'horreur de la situation par le biais de fulgurants plans-séquence sans échappatoire. Alejandra semble au fur et à mesure s'offrir en sacrifice (c'est peut-être même sa volonté), tirant le film vers un dénouement terrible et laissant les personnages et le spectateur au bord du gouffre. Le film dans son cheminement implacable se rapproche un peu des travaux du grand cinéaste autrichien Michael Haneke et se révèle particulièrement troublant.

d)    Asie

Débutons notre parcours par l’Iran, où le cinéaste Massoud Bakhshi, après quelques documentaires, se lance dans la fiction avec un brillant premier long métrage intitulé Une famille respectable, qui dessine un portrait implacable de l'Iran contemporain, où la seule motivation est l'argent, cet argent qui achète tout, qui décime les familles et les valeurs, qui achète même les martyrs au nom de la révolution. Bakhshi utilise efficacement les ficelles du polar pour montrer le fossé qui sépare les anciennes générations des nouvelles et la domination toute-puissante du capitalisme, le tout enveloppé sous la forme d'une véritable tragédie, où notre héros et référent, Arash, est le détonateur de la fracture familiale qui se révélera indélébile, traçant les destins à venir, pour aboutir finalement à la révolte d'Arash...

Dans un genre très différent, en provenance d’Indonésie, The raid est un sacré concentré d’action, à l’efficacité héritée du grand John Carpenter et utilisant efficacement les unités de lieu et de temps. Le film est signé par le gallois expatrié Gareth Evans qui, après le sympathique mais oubliable film d’action Merantau (2009), passe à la vitesse supérieure avec ce trépidant actionner au rythme dément et aux scènes martiales spectaculaires.

On finira ce petit tour asiatique avec le très beau premier long métrage du vietnamien Phan Dang Di, Bi, n’aie pas peur !, chronique familiale étonnamment sensuelle qui relate la vie d’une famille vietnamienne de Hanoi à travers le regard naïf du petit Bi, 6 ans. L’environnement et la nature, notamment l’omniprésence de l’eau, mettent à nu les désirs et les frustrations sexuels des femmes de la famille, et provoquent une atmosphère moite et érotique qui frappe par sa crudité, contrastant avec l’innocence de Bi. Troublant, sensoriel et mystérieux, le film constitue une belle curiosité.

 

3)    Les confirmations et les attentes non déçues

a)    Europe

Commençons par la France, qui a vu la confirmation des attentes suscitées par certains cinéastes attendus au tournant.

La réalisatrice Patricia Mazuy, assez peu prolifique mais auteur des remarquables Peaux de vaches en 1989 et Saint-Cyr en 2000, revient avec le superbe Sport de filles, qui reprend un peu le schéma westernien qui influençait déjà son premier film (Peaux de vaches) pour déboucher sur une étude subtile des rapports entre les protagonistes et aussi avec les chevaux, aux enjeux universels : pouvoir, domination, argent,… Le film suit le parcours de Gracieuse (une excellente Marina Hands), une jeune femme en colère (qui porte donc mal son prénom !) qui n’a pas les moyens de s’adonner à sa passion : l’équitation, et qui va tenter malgré tout de poursuivre son rêve, croisant sur son chemin des personnages singuliers, notamment un couple interprété par le grand acteur allemand Bruno Ganz en ancien entraîneur de dressage et une Josiane Balasko à contre-emploi, qui tient son mari par l’argent. D’une grande sensibilité, entre émotion et force brute, Sport de filles est un film étrange et assez imprévisible, qui mérite vraiment le coup d’œil.

Cinéaste discret mais passionnant qui n’a eu de cesse d’ausculter les travers de la société française et notamment ses rapports difficiles avec l’immigration maghrébine, Philippe Faucon, après plusieurs films rigoureux et sans concession comme Samia en 2000 ou encore La trahison en 2005, décortique de manière extrêmement précise les mécanismes de l'intégrisme islamique. Sous ses airs de film-dossier (qui est peut-être sa seule limite), le long métrage de Faucon est implacable, dressant le portrait d'une jeunesse immigrée (ou pas, comme le personnage de Nico-Hamza) en perte de repère qui, victime d'une certaine exclusion de la société, est la cible idéale pour un endoctrinement sous la houlette d'un leader charismatique. Concis, sans fioriture, La désintégration est dans la droite lignée des précédentes œuvres de Faucon et bénéficie par ailleurs d’une interprétation convaincante, notamment Rashid Debbouze (le frère de Jamel).

Après les belles réussites de Louise-Michel en 2008 et de Mammuth en 2010, Benoît Delépine et Gustave Kervern continuent sur leur lignée avec le décapant Le grand soir, comédie féroce et désespérée, avec un côté punk et destroy assumé, superbement interprétée par Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel. On pourra regretter un léger manque d'unité (le métrage ressemble parfois à une suite de sketches qui manque de continuité), mais le film porte un regard sacrément désabusé sur la société française contemporaine.

L’acteur pornographique HPG, après avoir réalisé en 2006 un très curieux premier film dans le circuit traditionnel intitulé On ne devrait pas exister, revient avec un second long métrage tout aussi étrange mais peut-être plus maîtrisé : Les mouvements du bassin, un film complètement atypique, drôle et parfois assez glauque, qui a le mérite d'inventer un corps de cinéma burlesque et pathétique à la fois, se nourrissant de l'expérience pornographique de HPG et en l'orientant vers une fable assez désabusée où la virilité est mise à rude épreuve. Parfois maladroit, mais aussi touchant, risqué et toujours surprenant, le film bénéficie d'une interprétation assez remarquable de HPG et de l'ensemble des acteurs (Eric Cantona, Rachida Brakni et Joana Preiss). Le raccord entre les deux histoires, au départ indépendantes, donne lieu à une scène étonnante, qu’on pourrait rapprocher de celle du dernier film d’Alfred Hitchcock, Complot de famille (1976).

Quant à Bruno Podalydès, après plusieurs excellentes comédies comme Dieu seul me voit en 1998 ou encore Liberté-Oléron en 2001 et la relative déception de Bancs publics en 2009, il revient en grande forme avec le très bon Adieu Berthe, qui prend place parmi ses meilleures comédies : drôle, inventive, farfelue, poétique et parfois mélancolique. Le rythme est parfaitement soutenu, d'une grande musicalité, tandis que tous les acteurs sont excellents, tandis que le ton général fait penser aux remarquables Versailles rive gauche (1992) et Dieu seul me voit.

Après les belles réussites de Encore (1996), Rien sur Robert (1999) et Petites coupures (2003) et la déception relative que fut Le grand alibi en 2008, Pascal Bonitzer signe Cherchez Hortense, une comédie subtile, humaniste et parfois mélancolique revêtant la forme ludique du puzzle, superbement portée par un Jean-Pierre Bacri souvent émouvant (les seconds rôles sont également excellents). Les dialogues et les situations, parfaitement ciselés, participent au plaisir de la vision de ce film à la conclusion touchante. Il en résulte une œuvre un peu en-deçà des trois premiers métrages de Bonitzer, mais qui reste hautement recommandable.

Le grand retour tant attendu de Leos Carax, après le très beau (et parfois incompris) Pola X en 1999, se fait par la grande porte avec le surprenant Holy motors, qui se révèle être une véritable splendeur tout en étant un hommage au 7ème art en même temps qu'un autoportrait de Carax et de son cinéma, rempli d'idées lumineuses et inventives. Holy motors est un film totalement libre et déroutant, drôle et mélancolique à la fois, qui débouche sur une scène absolument sublime dans le bâtiment abandonné de La Samaritaine, sorte de scène primitive qui redistribue les cartes et permet un regard neuf sur ce qu'on a alors vu... Et Denis Lavant est époustouflant, dans l'incarnation de ses différents rôles successifs qui sont comme autant de visions de la vie et de ses illusions... Impressionnant !

De son côté, Noémie Lvovsky, après notamment les réussites de Oublie-moi (1994) et de Les sentiments (2003), s’attaque à la science-fiction avec le jubilatoire Camille redouble, très beau film nostalgique, drôle et parfois poignant qui dresse un portrait sensible des affres de l'adolescence, tout en s'interrogeant sur le rapport au temps, au passé et aux souvenirs, et superbement interprété par la réalisatrice. Je trouve le film plus réussi que le sympathique Peggy Sue s'est mariée (1986) de Coppola, car plus touchant, plus basé sur la reconstitution de soi que sur la reconstitution d'un passé révolu.

Le prolifique François Ozon signe, après le beau succès de Potiche en 2010, le dérangeant Dans la maison, sans doute un de ses meilleurs films, malsain, manipulateur, voyeuriste, drôle et perturbant à la fois. Le cinéaste français l’a conçu comme un véritable thriller, qui manie un suspense vraiment troublant dans lequel fiction et réalité s'entremêlent intelligemment, égarant totalement le spectateur. Les acteurs sont tous très convaincants, notamment Fabrice Luchini (qui retrouve Ozon après Potiche) et le jeune Ernst Umhauer, tandis que les clins d'œil à Hitchcock, Pasolini ou encore Chabrol plutôt bien amenés.

Parmi les vétérans français, le grand Raymond Depardon a offert le superbe Journal de France, film qu’il a co-signé avec Claudine Nougaret (son ingénieur du son) et qui se présente comme un superbe portrait de Depardon par Claudine Nougaret. Le cinéaste décortique sa démarche qui s'épure de plus en plus, jusqu'à ne laisser plus que la trace des hommes, lorsque ceux-ci ont disparu du cadre, cette trace que la photographie et le cinéma enregistrent et immortalisent à jamais. On voudrait d'ailleurs que les pages de ce journal ne s'arrêtent jamais de tourner... Un film magnifique !

De son côté, Benoît Jacquot livre l’admirable Les adieux à la reine. J'ai beaucoup aimé l'approche non spectaculaire du cinéaste, qui fait véritablement exister ses personnages, notamment féminins, que cela soit Sidonie (la belle Léa Seydoux est excellente), Marie-Antoinette (une très convaincante Diane Kruger), Madame Campan (Noémie Lvovsky, formidable), et même Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen, très bien aussi). Mais surtout, j'y ai vraiment ressenti un monde qui s'écroule, la pourriture et la lâcheté finissant par envahir le cadre au fur et à mesure, à mille lieues de l'académisme qu'on pouvait craindre. Le soin apporté à la lumière, qui s'assombrit progressivement, participe à cette chute inéluctable. En outre, le contraste est saisissant à l'intérieur du château de Versailles, entre la luxuriance des appartements royaux et la pauvreté des chambres du personnel et du sous-sol envahis par les rats, ce choc des mondes ne pouvant mener qu'à la révolte du peuple. Et Sidonie, au milieu de tout cela, qui conserve sa position ambiguë, alors que la noblesse tombe en perdition... Jacquot ne suit finalement que son regard, son point de vue, sans jamais la juger, et offre pour ma part l’un de ses meilleurs films.

On peut également saluer la très belle réussite de Après mai, d’Olivier Assayas, fresque mélancolique et désabusée (qui débute en plein mai 1968) sur la perte des illusions, qui s'interroge avec sensibilité sur la notion d'engagement, qu'il soit politique, artistique ou personnel. Le film, mêlant intime et faits historiques dans un même mouvement, dispose d'un rythme effréné qui emmène le spectateur dans les tourments et les questionnements des différents protagonistes, au son d'une excellente BO. Jamais idéaliste, Après mai suit finalement le cheminement d'un personnage qui cherche tout simplement sa place, en multipliant les expériences, qu'elles soient collectives ou individuelles, au gré de relations qui se nouent et se dénouent, mais qui finissent par forger progressivement sa personnalité.

L’immense Alain Resnais signe à 80 ans le surprenant Vous n'avez encore rien vu, un film vertigineux qui reflète à l'infini la pièce de Jean Anouilh, entre passé, présent et avenir, puis entre imaginaire, réalité, représentations et répétitions, le tout dans une mise en abyme assez sidérante. Par ailleurs, les décors semblent mouvants, se pliant aux désirs des acteurs voire des spectateurs, conférant à l'ensemble une atmosphère étrange et troublante à la fois et qui place au centre de ce dispositif les corps et les voix des acteurs-spectateurs (ici sous leurs vrais noms pour la plupart) qui sont les instruments essentiels de cette transmission de la pièce.

Terminons ce tour d’horizon des confirmations françaises avec le dernier film (hélas !) de Claude Miller : Thérèse Desqueyroux, poignante adaptation du célèbre roman de François Mauriac, qui dresse un très subtil portrait de femme (Audrey Tautou est excellente) du début du siècle dernier, entre rébellion contre une condition féminine prévisible et déjà toute tracée, et désir de vivre une autre existence. Le film est tout en retenue, ce qui permet de ressentir d'autant plus l'angoisse et le désir de liberté de Thérèse, mais Miller permet néanmoins à celle-ci de préserver une partie de son mystère. On pourra reprocher au film un certain manque d'audace et son côté peut-être un peu trop lisse, mais les protagonistes parviennent malgré cela à exister, ce qui est déjà bien. Je précise que je n'ai pas vu la version de Georges Franju (qui date de 1962) avec Emmanuelle Riva. Mais cet ultime film de Miller (disparu en avril 2012) demeure une belle réussite.

Pour la Belgique, le retour de la grande réalisatrice Chantal Akerman s’est fait par l’adaptation du premier roman éponyme de Joseph Conrad : La folie Almayer. L’expérience est immersive, ensorcelante, d’une grande puissance poétique, mais le spectateur devra faire un petit effort pour entrer dans cette œuvre fascinante qui ne se laisse pas facilement apprivoiser.

De son côté, le talentueux Joachim Lafosse, auteur des intriguants Nue propriété (2006) et Elève libre (2008), porte à l’écran un fait divers particulièrement affreux dans le terrible A perdre la raison, un film oppressant qui se mue progressivement en véritable tragédie (on pense notamment à Médée, mais aussi parfois à Chabrol), dans lequel Joachim Lafosse explore les relations entre les trois protagonistes (un couple et le père adoptif du mari) qui se transforment en véritables rapports de dépendance (sans qu'on sache exactement qui dépend de qui),. Le malaise s'installe au fur et à mesure, dans un cadre enfermant totalement les personnages, pour ne plus lâcher le spectateur, entraînant petit à petit la descente aux enfers de Murielle (une magnifique Emilie Dequenne tout en retenue, exceptionnelle tout au long du film) et trouvant son apothéose dans un geste fou. Tahar Rahim et Niels Arestrup sont également impressionnants dans cette relation père-fils ambiguë qui finit par ôter à Rahim son rôle de chef de famille. Lafosse, sans juger aucun des trois personnages, prévient dès le début qu'on assistera à une tragédie et va essayer d'en trouver les raisons, tout en gardant une part de mystère en procédant parfois par ellipses, permettant ainsi au spectateur de se faire sa propre opinion dans ce drame sordide.

Enfin, Lucas Belvaux, quant à lui, traque la part sombre en chacun de nous avec le très noir 36 témoins, qui confronte l’être humain à sa lâcheté, sa peur, ses mensonges, sa culpabilité. Intense et étouffant, ce faux polar provoque indéniablement le malaise.

Provenant de Suisse, Ursula Meier, après l'intriguant Home (2008), réussit une oeuvre assez singulière qui finit par toucher malgré l'âpreté du propos : L’enfant d’en haut, qui se présente sous la forme d’une chronique sociale dure mais touchante, magnifiquement interprétée par Léa Seydoux (très étonnante dans ce film, où son mystérieux regard mélancolique est capté différemment, par rapport à ses films précédents) et le petit Kacey Mottet Klein (qui campe Simon avec une force peu commune). La réalisatrice utilise parfaitement le décor de cette fable rugueuse mais émouvante, et joue avec assez de finesse sur la verticalité, entre la misère d'en bas et le fric d'en haut, révélant la volonté d'élévation sociale du petit Simon... Le film ose montrer sans fard les dessous des stations de sports d'hiver, bien loin de l'insouciance des clients fortunés venus en vacance. Ursula Meier parvient ainsi intelligemment à renouveler un sujet déjà maintes fois traité au cinéma, insistant notamment sur l'argent qui biaise et détruit sans cesse des rapports humains déjà bien fragiles. Elle réserve en outre une surprise de taille qui redéfinit de manière assez subtile le comportement des personnages....

Continuons avec un détour par l’Allemagne, où le cinéaste allemand Christian Petzold, après les puissants Yella (2007) et Jerichow (2008), retrouve son actrice fétiche Nina Hoss pour Barbara, évocation rigoureuse de la RDA 10 ans avant la réunification de l’Allemagne. Ce film assez étouffant, au climat grisâtre et déprimant, semble dresser un mur infranchissable entre deux êtres qui sont aussi deux médecins collègues dans un hôpital de campagne de la RDA. Pourtant, cette atmosphère suspicieuse permet progressivement aux deux protagonistes de dépasser ce mur pour pouvoir enfin vaincre un système terrifiant, où même la bonté est porteuse de menace... Superbement interprété par la belle Nina Hoss, confrontée à un dilemme terrible : réaliser son rêve de s’établir à l’Ouest ou rester à l’Est pour lutter contre les conditions de vie et résister, et Ronald Zehrfeld, Barbara est une belle découverte.

On passe par l’Autriche où le cinéaste autrichien Michael signe le poignant Amour (co-production franco-autrichienne en langue française), un huit clos épuré et quasi-documentaire qui traite de manière puissante d'un couple en fin de vie, dont l'un des membres voit son état se déliter progressivement. Haneke s'attache aux détails, montre les gestes quotidiens, qu'ils soient tendres ou cruels avec une précision infinie. Il filme en plans souvent fixes ces corps vieillissants sans se montrer voyeuriste, et surtout peut-être pour la première fois chez le réalisateur réputé pour sa froideur et son côté clinique, une réelle émotion se dégage du film. On peut évidemment saluer les remarquables performances de Jean-Louis Trintignant et d’Emmanuelle Riva, qui sont exceptionnels.

Pour le Danemark, le cinéaste Thomas Vinterberg, après le coup d’éclat du terrible Festen en 1998, n’avait pas vraiment confirmé son talent par ses films ultérieurs assez anodins. C’est désormais chose faite en cette année 2012, où il réalise l’intense La chasse, drame sobre et efficace porté par l'excellente prestation de Mads Mikkelsen. L'atmosphère nordique et campagnarde participe pleinement à la tension qui émane de ce métrage et qui trace implacablement une véritable descente aux enfers pour le protagoniste, coupable, même sans preuve, dans l'esprit de l'opinion publique. On pourra reprocher au film de Vinterberg un côté un peu manipulateur et parfois peu subtil, mais la fable est puissante, aboutissant à un dernier plan glaçant.

Concernant le Royaume-Uni, après le viscéral Eden lake en 2008, James Watkins a réalisé un très beau film de fantômes interprété par Daniel « Harry Potter » Radcliffe à contre-emploi, La dame en noir, produit par les inoubliables studios Hammer, et qui semble remettre au goût du jour l’épouvante gothique et flamboyante de la firme.

David Mackenzie, après s’être fait remarquer avec notamment Young Adam (2003), My name is Hallan Foe (2007) et Toy boy (2009), signe avec Perfect sense un très beau film d'amour sur fond de fin du monde (encore une fois !), envoûtant, sensuel et aussi terriblement angoissant, superbement interprété par le couple poignant formé par Ewan McGregor et Eva Green. On peut aussi noter que Mackenzie a vu sortir un autre de ses films en salles en 2012, Rock’n’love, mais que je n’ai pas encore visionné.

Le très inégal Sam Mendes a livré à ma grande surprise un 23ème James Bond de haut niveau, Skyfall, qui est peut-être son meilleur film à ce jour, après le surestimé American beauty (1999), les poussifs Les sentiers de la perdition (2002) et Jarhead (2005) et surtout l’affreux Away we go en 2009 (je sauve néanmoins Les noces rebelles, qui date de 2008). Avec Skyfall, Mendes signe un excellent James Bond, parfaitement dosé et à la progression implacable, qui réserve pas mal de surprises. Tout en offrant un spectacle divertissant et rythmé, traversé de convaincantes scènes d'action très lisibles, le film n'omet jamais ses personnages et tisse des liens complexes entre Bond (Daniel Craig très en forme), M (Judi Dench trouve sans doute son meilleur emploi en tant que M dans cet opus) et l'excellent bad guy (un Javier Bardem marquant qui campe une sorte de double négatif de Bond), qui servent à merveille la progression du récit. On peut noter aussi une très belle photo de Roger Deakins.

Enfin, saluons le retour du grand Terence Davies, qui après les formidables Distant voices (1988) et The long day closes (1992) et le superbe documentaire Of time and the city (2008), offre le magnifique The deep blue sea, mélodrame glaçant et brûlant à la fois, souvent oppressant, à la mise en scène extrêmement travaillée, dans lequel brille une admirable Rachel Weisz, qui est ici époustouflante. Il faut voir les changements subtils de ses expressions pour mesurer la véritable tragédie qu'elle vit, écrasée par le poids des conventions et la lâcheté de son amant. Un film à découvrir absolument !

Pour l’Italie, le retour des grands cinéastes Paolo et Vittorio Taviani est une très belle surprise : César doit mourir est en effet un film à l'équilibre miraculeux, entre fiction (théâtrale) et documentaire, à l'utilisation de l'espace impressionnant (le théâtre, l'espace carcéral), qui est aussi une magnifique ode à l'art et à la liberté. Les frères Taviani jouent magistralement avec la tragédie, l'univers carcéral et la Rome antique, entrelaçant tous ces éléments tout en gardant une grande cohérence d'ensemble totalement offerte aux spectateurs ; ils réussissent par ailleurs le tour de force de faire mieux connaître ces véritables condamnés devenus acteurs à travers la tragédie qu'ils jouent. Du coup, il se dégage du film une émotion surprenante, teintée d'humanisme, qui hante longtemps encore après la vision. L’ours d’or qui a été décerné au film lors du festival de Berlin 2011 est amplement mérité.

Quant à Marco Tullio Giordana, auteur notamment des remarqués Pasolini – Mort d’un poète (1995) et Nos meilleures années (2003), il revient avec un film-dossier rigoureux et haletant : Piazza Fontana, passionnant thriller historique sur un attentat qui a eu lieu en 1969 à Milan et dont les coupables n'ont jamais pu être clairement identifiés, qui fait penser par son élégant classicisme aux films politiques italiens des années 1970 comme ceux de Francesco Rosi. Le spectateur se perd progressivement, comme le héros du film (le commissaire Calabresi), dans une affaire aux ramifications multiples impliquant aussi bien des militants d'extrême-droite que ceux d'extrême-gauche, le tout orchestré par certains détenteurs du pouvoir politique. Le film se suit sans jamais ennuyer, pour déboucher sur un dénouement hélas implacable.

Le Portugal a peut-être offert le plus beau film de l’année avec le sublime Tabou de Miguel Gomes, dont c’est le troisième long métrage après La gueule que tu mérites (2004), que je n’ai pas vu, et le déjà excellent Ce cher mois d’août (2008). Un magnifique poème mélancolique, qui entraîne le spectateur par le biais d'une puissante structure narrative aux croisements de la réalité, l'imaginaire et l' (les) histoire(s). Tourné dans un noir et blanc somptueux, ce film est constitué d'un prologue énigmatique aux images fascinantes (le crocodile au regard mélancolique et le fantôme de la femme aimée dans le même plan) et de deux parties (Paradis perdu et Paradis) qui se répondent tout en étant traitées de manière très différente, l'une se déroulant à l'époque contemporaine dans une Lisbonne presque déchue et l'autre dans un passé révolu, presque rêvé, à la grandeur encore présente. Gomes aborde la fin de l'empire colonial portugais par le biais de cette histoire d'amour absolu et coupable (du moins pour les protagonistes, un peu comme les rapports entre le Portugal et ses colonies) aux relents mélodramatiques, romanesque en diable, grâce à l'expressivité d'une incroyable mise en scène héritée du cinéma muet, qui finit par transcender le spectateur, l'amenant aux portes de l'imaginaire où le passé revient comme un fantôme, laissant une trace indélébile qui permettra la reconstruction du récit. Le contrepoids des morceaux musicaux choisis (Be my baby dans plusieurs versions, comme une réinterprétation, à rapprocher de la réinterprétation des codes du muet par Gomes) offre une sorte de liberté à ses protagonistes, englués dans un amour absolu mais meurtri, tout en liant les deux parties. Devant cet amour qui naît et atteint sa plénitude, ensuite détruit puis reconstruit, même un crocodile ou une caméra peuvent pleurer (le plan du début, les plans où la pluie coule sur la caméra). Et Gomes de croire à la pleine puissance du cinéma, ensorcelant littéralement le spectateur pour ne plus le lâcher, le hantant encore longtemps après la vision du film... Une œuvre impressionnante, qui est assurément l'un des plus grands films de cette année 2012, si ce n'est le meilleur (en tout cas, c’est le plus beau film sorti en 2012 pour moi !).

Escale en Roumanie, où Cristian Mungiu, après la formidable réussite de son premier film 4 mois, 3 semaines, 2 jours en 2007 (et palme d’or méritée à Cannes la même année), a offert l’austère mais remarquable Au-delà des collines, drame intense qui traite sans concession de l'emprise religieuse par le biais d'une très belle histoire d'amour entre deux jeunes filles, Alina et Voichita. Le cinéaste roumain observe avec une grande rigueur le déroulement de la vie dans ce couvent orthodoxe et les évènements dramatiques qui conduisent inéluctablement à un finale terrible et glaçant. Surtout, Mungiu dénonce mais ne condamne pas, il accorde la même attention à tous les personnages, y compris au pope et aux religieuses qui croient fermement être dans leur bon droit lorsqu'ils exécutent l'exorcisme. Face à ce "père" intransigeant et irresponsable et à Dieu tout-puissant mais invisible, la relation amoureuse impossible entre Alina et Voichita devient poignante, même si déjà condamnée.

Finissons par la Russie et les pays voisins : le cinéaste russe Andrei Zvyaguintsev, après les très beaux Le retour (2003) et Le bannissement (2007), échappe un peu à l’influence de Tarkovski qui irriguait un peu trop ses deux premiers films avec le glaçant Elena, portrait sans concession d’une famille recomposée se déroulant dans la Russie contemporaine qui constate que la notion d’égalité est une illusion, et confirme qu’il faudra compter sur lui dans les prochaines années.

Le grand Alexandre Sokourov a livré quant à lui un opus puissant, Faust. Dernier volet de la tétralogie démythifiante d'Alexandre Sokourov centrée sur certains hommes ayant incarné le pouvoir totalitaire, après les remarquables Moloch en 1999 (sur Hitler), Taurus en 2001 (sur Lénine) et Le soleil en 2005 (sur Hirohito), s'inspirant librement de l'œuvre célèbre de Goethe, le Faust de Sokourov va se focaliser uniquement sur les tourments du fameux docteur et plus spécialement sur la lutte de pouvoir qui va l'opposer à Méphistophélès, représenté sous les traits d'un vieil usurier difforme omniprésent. Le film s'ouvre sur un plan mystérieux (vu du ciel ? De Dieu?) d'un miroir volant dans les nuages et libérant un bout de papier tombant au gré du vent, la caméra suivant ce papier et révélant progressivement le village où habite Faust, puis son cabinet où, aidé de son assistant Wagner, il autopsie un cadavre, Sokourov insistant sur le pénis tuméfié du mort. D'entrée, Sokourov décrit un univers mortifère et putréfié, un monde en décomposition dans lequel s'agitent en vain des hommes réduits à l'état de corps matériels, figés dans des espaces confinés, des ruelles étroites et suffocantes. La photographie à dominante jaune, verte et gris de Bruno Delbonnel renforce ce climat délétère et pourrissant. Dans ce monde agonisant, le docteur Faust, hanté par la solitude et s'interrogeant sur le sens de la vie, nie l'existence de Dieu et déclare lui-même ne pas avoir d'âme. Le cinéaste russe dresse le portrait singulier d'un Faust nihiliste, n'obéissant qu'à ses pulsions, ne respectant aucune autorité, qu'elle émane de Dieu ou du diable... Mais les autres hommes et femmes du village ne sont pas épargnés par le regard impitoyable de Sokourov, à l'instar de Wagner (créateur et démiurge raté, à l'image de son ridicule homoncule), et amoureux transi de la belle Marguerite) ou du frère de Marguerite (ne sachant faire que la guerre). Sokourov ne cesse par ailleurs de déformer la chair et le corps de ses pauvres créatures, en distordant ou en anamorphosant ses images, en hachant parfois leur mouvement, les faisant ressembler à des figures de Jerome Bosch. Même Marguerite, si lumineuse, ne peut échapper à cette malaxation de la chair, à cette distorsion des images, son visage étant parfois comme voilé par une lumière incertaine et inquiétante. Le personnage de Méphistophélès est décrit comme un bouffon difforme, repoussant. Cela dit, il semble être l'un des rares personnages à avoir une foi, et ses confrontations avec Faust se transforment progressivement en enjeu de pouvoir, ce qui conduit le spectateur à s'interroger sur qui manipule qui... Est-ce Méphistophlès ou bien Faust qui est manipulé ? Sokourov retarde d'ailleurs au maximum la signature du fameux pacte, qui devient alors presque anecdotique, puisque Faust, comme il le dit lui-même, n'a pas vraiment d'âme. Même l'attraction que va faire naître en lui la lumineuse Marguerite se transformera en élan concupiscent, image de la faiblesse et de son absence d'humanité de Faust. Et lorsque sera révélé le fameux fruit défendu de Marguerite (dans un plan absolument somptueux), le désir si ardent auparavant se mélangera au dégoût... Et pourtant, ce corps incandescent, si délicat, si beau de Marguerite, enfin dévoilé à Faust et au spectateur, ne pourra rien face à la dégénérescence absolue de l'espèce humaine. Au contraire, ce dernier attrait enchanteur sera le déclencheur de la mégalomanie de Faust, de son absence de culpabilité... Même Méphistophélès ne pourra ramener Faust à la raison, celui-ci se détachant au fur et à mesure de son emprise, le renvoyant à la bouffonnerie. Non, Faust, même en enfer, ne suivra que sa soif démiurgique de puissance (le geyser), même en étant seul au monde, marque peut-être de sa libération...Enfin, l'univers sonore et particulièrement travaillé et contribue parfaitement à l'atmosphère troublante du film. Faust est un film fascinant, d'une très grande richesse, et esthétiquement impressionnant, qui confirme l'immense talent de Sokourov. Il demeure un trouble certain à la fin de la projection, qui pousse à revoir le film.

De son côté, la réalisatrice d’origine ukrainienne Michale Boganim signe un beau film intimiste qui revient sur la catastrophe de Tchernobyl : La terre outragée. Mêlant adroitement passé, présent et futur, le film dresse le portait désespéré de survivants ne sachant plus quelle place tenir et quel avenir avoir, entre oubli et mémoire, et bénéficie d’une interprétation tout en finesse de la belle Olga Kurylenko.

b)    Etats-Unis et Canada

Commençons par le talentueux Jeff Nichols qui a confirmé au-delà de toute espérance les espoirs misés sur son précédent long métrage, Shotgun stories (2007), avec le magistral Take shelter, récit implacable d’une paranoïa d’une incroyable beauté formelle et porté par les sublimes interprétations de Michael Shannon dans le rôle de Curtis et Jessica Chastain dans celui de son épouse Samantha. Jeff Nichols ne condamne jamais Curtis, ne le regarde jamais de haut : au contraire, il lui accorde toute sa confiance, permettant ainsi l’empathie du spectateur. La folie (ou pas) de Curtis, hanté par ses visions apocalyptiques, le pousse à protéger sa famille composée par sa femme et leur petite fille sourde-muette) : s’il finit par les parquer de force dans le fameux abri du titre, il éprouve toujours pour elles un amour absolu et accepte même l’aide rationnelle de Samantha qui l’apaise. D’ailleurs, il faut noter que le film ne sort jamais de la petite communauté familiale des protagonistes, ce qui permet de concentrer toute l’attention du spectateur sur la cellule familiale et non de l’étendre au monde, laissant le doute s’installer. Une des autres excellentes idées du cinéaste est de faire prendre conscience à son héros, en cours de film, de sa folie, ce qui donne naissance à plusieurs scènes magnifiques dans lesquelles le caractère abstrait de la fin du monde pressentie par Curtis est confronté à la réalité la plus concrète et le quotidien le plus banal (difficultés de payer les traites, consultation d’un psychologue, enquête sociale). D’où aussi la force impressionnante de la scène finale, peut-être la plus belle de toute l’année 2012, dans laquelle la vision de Curtis finit par contaminer son épouse, sa fille et même le spectateur, sidéré. Assurément, l’un des films de fin du monde les plus saisissants, et l’un des plus gros chocs cinématographiques de l’année 2012.

Après les remarqués L’arriviste (1999), Monsieur Schmidt (2002) et surtout l’excellent Sideways (2004), Alexander Payne revient après quelques années pour offrir avec The descendants une belle chronique familiale se déroulant à Hawai et portée par un très bon George Clooney dans le rôle de Matt King, père de famille dont l’épouse est dans le coma, sur le point de décéder et qui doit prendre soin de leurs deux filles : la petite Scottie, qui ne comprend pas le deuil à venir et l’adolescente Alexandra, pleine de ressentiment envers sa mère pourtant mourante. Complètement dépassé par cette terrible situation, Matt doit en plus prendre une décision importante concernant le domaine familial. Payne utilise merveilleusement le décor naturel, d’une immensité impressionnante, paysages sublimes qui contrastent avec la petitesse des hommes qui se démènent comme des petits diable sur des terres qu’ils ont pourtant colonisées et défigurées . Hawai est filmée comme une sorte de paradis perdu, gâché par la cupidité des habitants, tandis que la passivité de Matt sera soumise à rude épreuve dans cette touchante chronique humaniste et douce-amère qui ne sombre jamais dans le mélodrame malgré une situation difficile et parfois cruelle, et dans laquelle Matt devra apprendre à grandir et à assumer ses responsabilités, aussi bien envers Hawai qu’envers ses filles.

De son côté, Joe Carnahan a sorti un survival éprouvant et sans concession avec un impressionnant Liam Neeson, Le territoire des loups, qui confirme le retour en forme de ce cinéaste qui, après l’excellent polar Narc (2002), avait baissé de niveau lors de ses deux films suivants, les sympathiques mais assez anecdotiques Mise à prix (2007) et L’agence tous risques (2010). Carnahan tire le meilleur parti de paysages neigeux grandioses et traite assez subtilement des relations tendues au sein d’un groupe faussement solidaire. Et le finale est particulièrement frappant…

Le troisième film du jeune Rian Johnson, après le très convaincant Brick en 2005  (sorte de film noir étrange se déroulant dans l’univers d’un teen movie) et l’amusant Une arnaque presque parfaite en 2008, oppose l’excellent Joseph Gordon-Levitt (déjà héros de Brick) au vétéran Bruce Willis dans un mélange assez vertigineux de science-fiction et de fatalité : Looper. Les deux acteurs interprètent le même rôle, mais à des âges différents. Cet étonnant film de science-fiction, qui commence comme un film noir et se poursuit en course-poursuite aux enjeux assez vertigineux, dans laquelle le temps est soumis à rude épreuve, présent, futur et même passé se cristallisant pendant un instant qui peut redéfinir (ou pas) toute une ligne de vie (ou plutôt un cycle de vie). Rian Johnson situe son film dans le futur qui ressemble étrangement à notre présent, sauf que la misère y est peut-être encore plus prégnante : le cinéaste utilise adroitement des décors épurés, souvent inquiétants (comme cette ferme au milieu d'immenses champs de blés), insufflant une atmosphère troublante, nimbée de mélancolie, où les souvenirs semblent littéralement hanter les personnages en dictant leurs actes, que ces actes soient bons ou mauvais (la frontière entre le bien et le mal s'effrite progressivement), menant à un finale percutant et interrogateur.

Cary Fukunaga, après le très réussi Sin nombre (2009), livre une nouvelle et frémissante adaptation du célèbre roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre, qui bénéficie en outre d’une magnifique photographie et de les interprétations intenses de la jeune Mia Wasikowska dans le rôle-titre et de Michael Fassbender dans celui de Rochester, qui est ici non pas un monstre mais un homme frappé par le destin et la fatalité...

Jason Reitman, après le succès des sympathiques Juno (2007) et In the air (2009), change de cap avec une comédie acide et peu aimable sous influence cassavetienne, Young adult, qui offre un rôle complexe, irritant et émouvant à la fois, à la belle Charlize Theron. Narcissique, égocentrique, irresponsable, à la limite de l'érotomanie, le portrait de Mavis (Theron) reste malgré tout assez nuancé, cachant un mal-être profond et une inadaptation sociale : on a du mal à la détester complètement... Elle devient même assez pitoyable ou pathétique, mais parvient malgré tout à être parfois assez touchante dans son jusqu'au-boutisme..., Reitman n'hésitant pas à prolonger certaines scènes jusqu'au malaise, rendant le film assez troublant...

Andrew Dominik, qui avait séduit avec son premier film Chopper en 2000 et surtout avec son très beau western élégiaque L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford en 2007, a offert un polar froid et cynique, Cogan – Killing them softly, peut-être un peu trop désincarné mais qui a le mérite de dresser un parallèle frappant entre la gestion mafieuse et la gestion des multinationales.

Le talentueux scénariste David Koepp (L’impasse et Snake eyes de Brian De Palma, Jurassic park et La guerre des mondes de Steven Spielberg), après un premier film angoissant, Hypnose (1999), et deux films plus anodins (Fenêtre secrète en 2004 et La ville-fantôme en 2008), est revenu avec un thriller très ludique d’une redoutable efficacité, Premium rush (curieusement intitulé Course contre la mort pour son exploitation vidéo), où on suit le héros interprété par Joseph Gordon-Levitt (encore !) à vélo dans les rues de New York par le biais d’une mise en scène frénétique totalement immersive.

L’inégal Ang Lee signe un beau conte initiatique avec L’odyssée de Pi, attachante adaptation du best-seller de Yann Martel qui dépasse le divertissement familial et le livre d’images pour devenir une belle réflexion sur la transmission des mythes et le télescopage des religions, où le rassurant arche de Noé peut devenir aussi l’inquiétant radeau de la méduse. Lee en profite pour y développer ses thèmes fétiches, comme la force et le poids du souvenir, l’affirmation de soi, la bête qui sommeille en l’homme… Si le film pèche parfois par excès métaphysique et par des images de synthèse pas toujours convaincantes, il demeure un beau défi et a le mérite de ne pas prendre le spectateur pour un imbécile, tout en gardant un aspect épique et spectaculaire. Et sa conclusion surprenante permet une redéfinition totale de ce qu’on a vu auparavant et un regard différent sur les enjeux du métrage.

Parmi les vétérans, on peut aussi se réjouir du retour du grand Francis Ford Coppola, qui signe avec Twixt un poème gothique magnifique et bouleversant, à l'esthétique renversante. Je sais que le film divise, mais j'ai complètement accroché à cette œuvre libre, touchante parce que c’est aussi une sorte d'exorcisme pour Coppola par rapport à la mort accidentelle de son fils. Le film, dont les brillantes expérimentations rappellent le génial Rusty James (1983) du même cinéaste, est également ludique et se présente comme un très bel hommage au cinéma de genre dans lequel Coppola a commencé (et donc un hommage à son mentor Roger Corman). Mais surtout, Twixt est l’autoportrait d'un cinéaste en proie au doute qui décide de tout recommencer pour retrouver l'inspiration, même si cela doit passer par la douleur, même si cela se traduit par le fait de ressasser continuellement un drame personnel dont on se sent responsable. Coppola y montre bien les affres de la création, la souffrance que cela peut engendrer, mais aussi la peur de la répétition. Certes, le cinéaste avait déjà parlé de sa difficulté à accepter le deuil de son fils, mais jamais de manière aussi frontale, aussi nue. Dans Twixt, c'est l'acceptation de cette perte, finalement la fin de la quête, qui lui permet de retrouver le plaisir de refaire des films, même s'il n'a plus les moyens d'antan, même si ce sont des films bricolés. L'inspiration créatrice ne peut venir que de soi, finalement. Il faut chercher au plus profond de soi pour de nouveau être capable de recréer. Pour finir, on saluera l’excellente performance de Val Kilmer en double du cinéaste.

Malgré un côté inégal, J. Edgar de Clint Eastwood est un biopic ambitieux sur J. Edgar Hoover, le directeur du F.B.I. pendant plus d’un demi-siècle, qui dresse un portrait complexe et fascinant de ce policier, en n’édulcorant pas son côté homosexuel et antipathique, ainsi que sa relation à sa mère. L’interprétation de Leonardo DiCaprio dans le rôle-titre mérite le respect, tout comme la superbe photographie clair-obscur et le refus du récit conventionnel. On pourra toutefois reprocher au film sa trop grande distanciation, tandis que les maquillages censés exprimer la vieillesse des personnages ne sont pas des plus réussis, donnant un côté trop cireux à une œuvre déjà très froide et qui renforce sa trop grande théâtralité.

Steven Spielberg signe un nouveau film marquant avec son très beau Cheval de guerre, qui suit les aventures d’un cheval qui passe de mains en mains, de camps en camps, durant la première guerre mondiale. La mise en scène réserve des moments particulièrement impressionnants (comme ce cheval se débattant dans un no man’s land à la fin du film), n’hésite pas à se montrer parfois extrêmement dur (comme l’ellipse de la mort de la petite fille, rendant ce triste événement encore plus déchirant) et l’émotion qui affleure tout au long du film ne m’a jamais semblé mièvre ou déplacé. L’hommage au cinéma de John Ford et plus généralement au cinéma classique hollywoodien achève de rendre ce film pacifiste très touchant.

Wes Anderson, après les mémorables Rushmore (1998), La famille Tenenbaum (2001), La vie aquatique (2004), le génial A bord du Darjeeling Limited (2007) et son détour réussi par le film d’animation avec Fantastic Mr Fox (2009), continue de creuser son sillon singulier avec le poignant Moonrise kingdom, film typiquement « wesandersonien » qui oppose magnifiquement le monde des enfants (représenté par les deux héros du film, loin de toute caricature) au comportement entier, adulte même, à celui des adultes, engoncé dans une routine dont ils ne cherchent même plus à s'extraire, au comportement presque enfantin. Surtout, Wes Anderson n'a peut-être jamais poussé aussi loin la recomposition familiale, qui est finalement le but du film, telle la composition d'un morceau de musique. Bref, un très beau film, drôle, émouvant et mélancolique, superbement interprété par l'ensemble des acteurs (dont un Bruce Willis à contre-emploi très touchant). Les deux jeunes acteurs qui interprètent les héros du film sont une belle révélation.

Le prolifique Steven Soderbergh a réalisé deux films très différents mais plutôt réussis qui sont sortis en 2012 : d’abord Piégée, un thriller d’action offrant la vedette à la belle et athlétique Gina Carano (vraie pratiquante du free fight) qui étonne par un traitement presque nonchalant se concentrant sur la description d’un monde illusoire mais émaillé de quelques scènes de bastons assez impressionnantes. Si le scénario est classique, Soderbergh s’en démarque pour livrer un opus visuellement travaillé et très ludique, dans lequel le casting masculin 4 étoiles (Channing Tatum, Ewan McGregor, Michael Fassbender, Antonio Banderas) est décimé par Miss Carano ! Le second film de Soderbergh, Magic Mike, au rythme tout aussi nonchalant mais possédant une sensibilité et une mélancolie touchantes, reprend l’acteur Channing Tatum (ex strip-teaseur) en lui faisant interpréter son propre rôle dans une chronique se révélant finalement assez dépressive et constatant l’envers du rêve américain et qui offre un rôle en or au surprenant Matthew McConaughey.

McConauhey, justement, interprète également le Killer Joe du vétéran William Friedkin, dans un polar noir et crasseux qui démontre que le cinéaste n’a rien perdu de sa rage malgré ses 77 ans en 2012. Après l’impressionnant Bug en 2006 (qui avait révélé l’acteur Michael Shannon, revu dans l'admirable Take shelter de Jeff Nichols), le réalisateur notamment des géniaux Le convoi de la peur (1977) ou Police fédérale Los Angeles (1985) dresse avec ce film le portrait peu reluisant d’une Amérique profonde crapoteuse et dégénérée, obsédée par l’argent, dans laquelle tous les personnages sont corrompus ou en passe de l’être, comme parasités progressivement dans un avenir sans échappatoire. Maniant l’humour noir et le malaise avec une facilité déconcertante, Friedkin n’hésite pas à pousser le bouchon un peu, débouchant sur un nihilisme assez effrayant.

De son côté, Oliver Stone revient au thriller noir et violent avec Savages, qui constitue peut-être son meilleur film depuis l'excellent U-turn (1997). Le film est un polar sombre et tragique, doté d'un humour noir bienvenu et plutôt bien interprété, notamment par une Salma Hayek émouvante lorsque Stone ose la tragédie et un Benicio Del Toro des plus glaçants. Le suspense est bien mené et le film tient bien la route, malgré une conclusion assez décevante.

On peut citer encore deux cinéastes américains importants qui avaient connu ces dernières années quelques errements mais qui ont réussi à offrir chacun deux films en 2012, Tim  Burton et Abel Ferrara.

Tim Burton est en effet parvenu à sortir deux films en cette année 2012. Le sympathique Dark shadows avec un Johnny Depp assez cabotin (comme souvent ces derniers temps) est un bel hommage au cinéma gothique qui doit beaucoup aux interprétations mémorables d’Eva Green et de Michelle Pfeiffer (de retour chez Burton après son excellente incarnation de Catwoman dans le génial Batman le défi en 1992). Ce nouveau film bénéficie en effet d'une atmosphère gothique assez réussie, alternant plutôt adroitement le romantisme noir et le burlesque. Surtout, Burton n'évacue absolument pas la sexualité inhérente au vampire et apporte un traitement singulier à la thématique familiale, dont chaque membre se révèle et au fur et à mesure. Par ailleurs, le plus beau personnage est celui interprété par Eva Green, magnifique sorcière typiquement burtonienne qui cache sous sa cruauté une détresse inapaisable... Bref, c’est une bonne surprise, pas totalement aboutie, mais beaucoup plus touchante et personnelle que l'académique Alice aux pays des merveilles (2010).

Mais surtout, Burton signe en cette même année 2012 l’excellent film d’animation Frankenweenie, où le cinéaste retrouve avec bonheur ses thématiques fétiches ainsi que toute sa fantaisie et tout son talent, pour ce qui constitue peut-être son meilleur film depuis le délirant Mars attacks ! (1996). Cette version allongée du beau court-métrage éponyme (déjà réalisé par le cinéaste américain) de 1984 est une très belle surprise de la part de Tim Burton, après certains films n'ayant pas fait l'unanimité (parfois à juste titre). Magnifié par la précision et la fluidité de l'animation et par le design des personnages, le film possède un rythme effréné et demeure un superbe hommage aux films d'horreur d'antan, comme évidemment le célèbre Frankenstein de James Wahle (1932), les œuvres de la Hammer et même Gamera, la tortue géante tant aimée des amateurs de kaiju. Surtout, le personnage du chien Sparky, mort revenu à la vie, est vraiment réussi et touchant dans sa nature monstrueuse mais incroyablement humaine. On pourra regretter une fin pas assez noire, mais c'est peut-être la victoire du rêve et de la volonté sur la réalité.

Quant à Abel Ferrara, son superbe Go go tales (qui date déjà de 2007), évocation quasi-autobiographique qui rassemble tous ses thèmes sous une apparente légèreté et une bonne dose de mélancolie, a enfin pu être exploité en salles cette année 2012, tandis que le non moins superbe 4h44 – Dernier jour sur terre surfe sur la vague des films apocalyptiques (nombreux encore cette année 2012) pour mieux lancer un appel à la réunion de tous et constitue l’un de ses films les plus émouvants et sincères. Les deux films ont aussi en commun l’acteur Willem Dafoe, alter-ego du cinéaste.  Plus précisément, si le propos maintes fois traité peut sembler convenu (et il l'est, dans une certaine mesure), Ferrara livre malgré cela un film apocalyptique étonnant, anti-spectaculaire (le film se déroule dans la vie quotidienne), en quasi huit-clos (l'essentiel des scènes se déroule dans l'appartement du couple), où les seules communications avec le monde se font par écrans interposés (télé, ordinateurs avec Skype, portables,...), la fin du monde permettant dans un ultime geste de réunir tout le monde, dans un magnifique fondu au blanc (le blanc étant le mélange de toutes les couleurs, le rôle des couleurs étant important dans le film) qui sera le plan final, donc loin du pessimisme habituel des films apocalyptiques. Et puis, on sent l'autoportrait de Ferrara dans le personnage interprété par Willem Dafoe (qui forme d'ailleurs un couple touchant avec la compagne actuelle de Ferrara, Shanyn Leigh), rendant ce film modeste très émouvant...

On notera également la sortie en salles cette année 2012 du premier film de Stanley Kubrick : Fear and desire, qui date de 1953 et longtemps invisible en raison de la volonté du cinéaste américain de ne pas le montrer car celui-ci le jugeait imparfait. Verdict : ce premier film de Kubrick est une curiosité intéressante, parfois maladroite (notamment dans son utilisation un peu sentencieuse de la voix off et son côté un peu théâtral, peu aidé par le jeu approximatif de certains des acteurs, notamment Paul Mazursky, futur réalisateur de Bob et Carole et Ted et Alice en 1969 et de Une femme libre en 1978) mais qui comporte déjà en germe plusieurs des composantes essentielles de son cinéma, comme le refus du sentimentalisme, l'absurdité d'un système (ici la guerre) que l'homme a lui-même créé, la gestion d'une situation de conflit. Le regard du cinéaste américain observe déjà l'humanité avec une froide lucidité, regard qui restera le même tout au long de sa filmographie. On pense parfois, toutes proportions gardées, au génial Apocalypse now (1979) de Coppola en visionnant ce film réalisé avec un très faible budget et en toute indépendance, par sa tendance à l'abstraction et son côté fable. Et certains plans sont stupéfiants, comme ceux de la première tuerie ou ceux de la scène entre Mazursky et la jeune autochtone, notamment les gros plans très expressifs sur les victimes. Le tout est magnifiquement photographié, surtout les plans sur l'eau et la nature environnante, dangereuse et mystérieuse à la fois. Bref, Fear and desire est une sorte de brouillon des films à venir, une œuvre bancale mais passionnante, à découvrir pour parfaire sa connaissance du cinéma de Kubrick.

Parmi les blockbusters sortis cette année 2012, on peut noter les réussites réjouissantes de Avengers de Joss Whedon et de The dark knight rises de Christopher Nolan. Après son intéressant film de science-fiction Serenity (2005), Whedon offre avec Avengers un film jubilatoire, au rythme d'enfer, avec des personnages bien typés, un scénario adroitement construit et des scènes d'action d'une grande lisibilité et très efficaces... Par ailleurs, il a aussi écrit le très curieux La cabane dans les bois, réalisé par Drew Goddard, un film d'horreur référentiel, certes malin mais assez surprenant, qui est sorti cette année 2012.

Christopher Nolan, de son côté, clôt en beauté sa trilogie consacrée à Batman avec le puissant et épique The dark knight rises. Si le film est peut-être un poil en dessous de l’impressionnant 2ème volet, The dark knight (2008), il reste d’une ambition bienvenue qui reprend les enjeux déjà évoqués (sociaux, criminels, institutionnels, financiers) dans les deux précédents opus pour les pousser à leur point-limite (la société est au bord de l’explosion, en guerre), grâce à un montage alterné pyramidal (que Nolan a déjà expérimenté dans The dark knight et l’excellent Inception en 2010) qui enchâsse plusieurs niveaux de récit simultanément et les pousse ainsi vers le point de rupture qui sera aussi l’arrivée du chaos, mais peut-être aussi une renaissance. Car Nolan montre aussi la dualité de chaque personnage qui peut ainsi en enfanter un autre : Batman (un excellent Christian Bale) le super-héros peut cacher un homme ordinaire qui souhaite tout simplement vivre une existence normale, Bane (le grand méchant, joué par un très bon Tom Hardy), brute sans foi ni loi, peut aussi devenir un monstre transi d’amour pitoyable, un jeune inspecteur ordinaire (Blake, interprété par le toujours impeccable Joseph Gordon-Levitt) peut se transformer en super-héros (Robin, peut-être), et même le personnage transparent de Miranda (Marion Cotillard, pas si mauvaise qu’on a bien voulu le dire) peut acquérir de l’épaisseur et ainsi boucler la boucle. Seul le personnage de Selina (la belle Anne Hathaway, étonnante dans le rôle) garde une ligne droite et claire, elle sera l’instrument de la révolte de Batman, mais sans jamais occulter sa nature duale, voire plus, de voleuse et de fiancée de Batman (on peut noter que si Selina est clairement Catwoman, elle n’est jamais nommée comme telle dans le film). Tous ces protagonistes sont ainsi à l’image de la société, duale elle aussi. Belle conclusion à la trilogie, en tout cas.

David Fincher, après les éclatantes réussites de Zodiac (2007) et The social network (2010) et la déception relative de L’étrange histoire de Benjamin Button (2008), a signé le remake de l’intéressant métrage suédois Millénium le film (2009) de Niels Arden Oplev (qui avait notamment révélé l’actrice suédoise Noomi Rapace), adaptation du best-seller de Stieg Larsson : le glaçant Millénium – Les hommes qui n’aimaient pas les femmes. Le film de Fincher est plus maîtrisé que son prédécesseur suédois, utilisant parfaitement les décors neigeux, distillant subtilement le trouble et le malaise ; par ailleurs, les remarquables interprétations de Daniel Craig (assez éloigné des James Bond) et de Rooney Mara dans le rôle de Lisbeth Salander (aussi étonnante que celle de Noomi Rapace) participent également à la réussite du film, qui n’atteint certes pas la puissance de Zodiac mais qui s’avère un excellent thriller.

Enfin, on peut citer le plaisir coupable qu’on éprouve devant The expendables 2 de Simon West, suite du sympathique The expendables réalisé par Sylvester Stallone en 2010. Peut-être plus réussi que le premier volet, cette suite bourrine permet de retrouver avec plaisir quelques trognes des années 1980, comme Chuck Norris et Jean-Claude Van Damme dans le rôle du bad guy, en plus de ceux déjà présents dans le premier volet (Stallone mais aussi Dolph Lundgren, Jason Statham, Jet Li, Bruce Willis, Arnold Schwarzenegger). Certes, The expendables 2 n’est pas un grand film (aucune finesse, un scénario peu original) mais procure un plaisir indéniable aux amateurs des actioners des eighties, d’autant qu’il bénéficie d’un bon rythme et de scènes d’action plutôt bien emballées, en particulier le carnage final assez jubilatoire et le duel entre Stallone et Van Damme.

Provenant du Canada, le jeune québécois Xavier Dolan, après les réussites de J’ai tué ma mère (2009) et Les amours imaginaires (2010), confirme sa singularité avec son film le plus ambitieux, Laurence anyways, chronique romanesque baroque et pathétique à la fois, qui s'intéresse encore une fois à la notion d'identité, tout en étant une touchante et cruelle évocation du couple et de son usure. Il en résulte un bel éloge de la différence, parfois flamboyant, parfois grandiloquent, parfois poignant, parfois chaotique, mais toujours généreux et plein d'énergie. Melvil Poupaud et Suzanne Clément sont totalement convaincants dans leurs rôles respectifs. Si le style parfois clinquant de Dolan peut irriter, je trouve qu'il sert parfaitement les propos du film, dans lequel Dolan n'hésite pas à flirter avec le mélodrame exacerbé et à évoquer le passage du temps et ses conséquences sur le couple (le film se déroule sur 10 ans, de 1989 à 1999). Par ailleurs, la bande-son très variée traduit bien l'état d'esprit des différents protagonistes...

Le grand cinéaste canadien David Cronenberg a livré un film fascinant avec le magistral Cosmopolis, à mon sens l'une de ses œuvres les plus remarquables, qui semble réussir la greffe entre ses films des années 1970-80 et ceux à partir de Crash (1996) jusqu'à A dangerous method (2011)... Adaptation du roman éponyme de Don DeLillo, le film fait d’abord penser à un film apocalyptique mais mute subrepticement vers une fable sur le capitalisme qui constate froidement le fossé qui se creuse entre les riches et les pauvres, alors qu’ils sont aujourd’hui côte à côte, fossé figuré par la simple vitre de la limousine qui sépare le golden-boy Eric Packer (joué superbement par Robert Pattinson, loin de la saga des Twillight) de ce qui se passe dans la rue et de la colère qui gronde. Cosmopolis se déroule d’ailleurs quasiment entièrement à l’intérieur de la limousine, celle-ci devenant une sorte de cocon organique qui protège Packer dans une bulle, l’empêche de nouer une relation normale et bien évidemment biaise son rapport au monde. Extrait de la limousine, Packer pourra alors enfin se confronter au monde et à lui-même dans une scène finale étonnante.

Quant au français Pascal Laugier, après le déroutant Saint-Ange en 2004 et le traumatisant Martyrs en 2008, il est parvenu à tourner au Canada un film étrange et troublant avec la belle Jessica Biel, The secret, qui surprend sans cesse le spectateur pour arriver à une conclusion ambiguë et moralement discutable. Néanmoins, l’expérience, non exempte de lourdeurs et d’un côté parfois manipulateur, mérite qu’on s’y attarde et achève de considérer Laugier comme un véritable auteur.

c)    Asie

Au niveau des confirmations, pour le continent asiatique, le chinois Wang Bing a tenu toutes les promesses contenues dans son magistral documentaire A l’ouest des rails (2003) dans pas moins de deux films : Fengming – Chronique d’une femme chinoise, datant de 2007 mais sorti en 2012 dans les salles françaises, témoignage implacable d’une femme chinoise victime des camps de rééducation suite à sa soi-disant « droitisation » (cf http://dejantesducine.canalblog.com/archives/2012/04/03/23778471.html) et Le fossé, 1er film de fiction de Wang qui reconstitue avec précision l’enfer de ces camps.

Un autre chinois, Wang Quan’An, l’auteur du très beau Le mariage de Tuya (2006) a livré avec Apart together la chronique attachante d’une famille chinoise séparée par la scission de la Chine communiste et Taiwan.

Quant au hongkongais Johnnie To, il a livré un excellent La vie sans principe, film à la construction astucieuse qui, par le biais de trois personnages (une conseillère bancaire, un policier et un gangster de seconde zone), se révèle être une fable assez cruelle sur l'argent et ses conséquences, sur laquelle plane l'ombre de la crise économique qui pousse toujours les hommes à plus de cupidité. Les multiples collusions créent un univers presque abstrait, opaque (comme l'argent) mais qui entraîne pourtant des conséquences très concrètes pour les personnages. Ce thriller social, assez imprévisible, constitue l’un des films les plus singuliers de To, où le cinéaste n'oublie pas néanmoins le plaisir ludique de filmer, mais sans que cela soit pesant. La scène où la jeune banquière, pourtant consciente du risque qu'elle fait prendre à sa cliente mais qui est aussi soumise à une obligation de résultats, manipule la pauvre femme afin de la faire investir dans un fonds très risqué, est terrifiante de réalisme, d'autant que To l'étire au maximum.

Le japonais Goro Miyazaki, le fils du grand Hayao Miyazaki, a réussi à s’affranchir de la tutelle paternelle avec le nostalgique La colline aux coquelicots, tandis que son compatriote Mamoru Hosoda, déjà auteur des très bons La traversée du temps (2006) et Summer wars (2009) s’est surpassé cette année 2012 avec le sublime Les enfants-loups, Ame & Yuki, poignant récit initiatique formellement admirable, qui traite avec beaucoup de tact du passage à l’âge adulte et des choix qui en découlent. Subtil, constamment touchant, le film aborde magnifiquement les thèmes de la transmission, de la différence, de l'apprentissage, entre tradition et modernité, ville et campagne, instinct et raison... Par ailleurs, l'animation et le graphisme sont exceptionnels, alliés au talent de conteur d'Hosoda.

Le grand cinéaste iranien Abbas Kiarostami s’est expatrié au Japon pour présenter un film mystérieux et troublant, Like someone in love, dans lequel il prend le pouls d'une société qu'il découvre et qu'il montre aux spectateurs à travers ses propres figures et thématiques (thématiques du leurre et du reflet, voiture-caméra, utilisation efficace du hors-champ, voix off qui ne l'est pas vraiment). Il en résulte une œuvre insaisissable, esthétiquement sublime, qui s'interroge par le biais de trois personnages sur la question d'aimer ou de croire aimer dans une société où tout devient échange et gangrenée par la solitude. Ce n'est sans doute pas le meilleur Kiarostami, mais le film mérite largement qu'on s'y attarde.

On peut aussi saluer la sortie dans les salles françaises en 2012 de l’impressionnant premier film du cinéaste japonais Nobuhiro Suwa (auteur notamment des magnifiques M/other en 1999 et H story en 2001) : 2/Duo (qui date de 1997), puissante chronique d’un couple en train de se déliter. Le cinéaste traque les recoins de chacun de ses deux protagonistes, du modeste appartement où les deux tourtereaux vivent, par le biais de plans-séquence serrés, mais plus il approche des personnages plus ceux-ci deviennent opaques, emmenant le spectateur en perte de repères dans des contrées inexplorées : exemple la rupture est enclenchée par une demande en mariage... Le film est l'implacable radiographie d'un jeune couple au bord de la séparation, alternant des séquences étonnantes qui provoquent des sentiments contradictoires chez le spectateur, révélant progressivement des fêlures imperceptibles. La forme est d'une liberté totale, en apparence légère, nonchalante mais en fait complexe, troublante, accordant une grande importance au cadre et mélangeant même fiction et documentaire, ce qui entretient encore la confusion entre les acteurs et leurs personnages (donnant d'ailleurs naissance à une séquence-clé du film).

Le sud-coréen Hong Sang-soo et le philippin Brillante Mendoza se sont offert les services de l’actrice française Isabelle Huppert, qui est parvenue avec son talent habituel à se glisser dans problème dans les univers des deux cinéastes. Pour Hong Sang-soo, dans In antoher country, Isabelle Huppert devient un corps étranger qui se fond parfaitement dans le décor, amenant son exotisme et un côté un peu déphasé. Hong en profite pour opérer de subtiles variations au sein de son système, notamment par l’intrusion du burlesque (par exemple la gestuelle du jubilatoire personnage du maître-nageur) , et continue d’explorer les possibles, en recombinant de manière ludique les différents schémas exposés et en jouant sur la répétitions de quelques situations. Ce n’est pas le meilleur film du cinéaste coréen mais il procure néanmoins un plaisir immense au spectateur. Pour Brillante Mendoza, dans Captive, Huppert devient une otage française aux mains d’un groupe terroriste : elle n’est jamais filmée comme une star mais comme la composante d’un groupe réunissant terroristes et otages, où chacun a son importance et dont les interactions entre eux influent sur les personnages et aussi sur le rapport du spectateur à ce qu’il voit. Mendoza retrace implacablement la longue prise d’otages de manière quasi-documentaire et sans véritable climax mais en insistant subtilement sur la nature complexe des relations qui se tissent entre les terroristes et les otages : pas de spectaculaire, pas de jugement mais juste un cinéma immersif et tendu qui montre la terrible complexité du monde tout en laissant le spectateur se faire un point de vue.

Nous terminerons notre tour d’horizon par le cinéaste iranien Asghar Farhadi qui a été révélé en France en l’année 2011 grâce au succès aussi inattendu que mérité de son passionnant drame Une séparation. Si d’autres films de Farhadi avaient déjà eu l’honneur d’une sortie en salles en France auparavant, comme La fête du feu (2006) et A propos d’Elly (2009), ceux-ci étaient passés assez inaperçus. Une séparation a remis les pendules à l’heure et non seulement a permis aux deux autres films précités d’être redécouverts mais aura aussi contribué à la sortie dans les salles françaises en 2012 d’un autre film de Farhadi, encore antérieur à La fête du feu : Les enfants de Belle Ville, qui date de 2004 et qui confirme le talent du cinéaste, dont c’est seulement le deuxième long métrage. Ce film complexe, tendu comme un thriller, se révèle en effet passionnant : le cinéaste y  expose clairement les enjeux qui, au-delà de la critique de la société iranienne, sont finalement universels, en démontrant que chacun a ses raisons mais que les réponses données à ces dilemmes sont loin d'être simples et absolues, chaque décision entraînant inévitablement des conséquences sur la vie des protagonistes. Par ailleurs, la romance naissante entre Ala et Firoozeh (magnifiquement incarnés par les acteurs) est traitée avec une infinie délicatesse, rendant encore plus cruelles les conséquences en chaîne qui découlent de l'enjeu de départ.

 

II Mon top 20 de l’année 2012 

1)    Tabou (Miguel Gomes, Portugal)

Tabou 2

2)    Holy motors (Leos Carax, France)

holy

3)    Cosmopolis (David Cronenberg, Canada)

Cosmopolis

4)    Faust (Alexandre Sokourov, Russie)

Faust

5)    Take shelter (Jeff Nichols, USA)

Take

6)    Les enfants loups, Ame & Yuki (Mamoru Hosoda, Japon)

enfants

7)    Twixt (Francis Ford Coppola, USA)

Twixt

8)    Les adieux à la reine (Benoît Jacquot, France)

adieu

9)    Vous n’avez encore rien vu (Alain Resnais, France)

Vous

10)  Moonrise kingdom (Wes Anderson, USA)

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11)  Después de Lucia (Michel Franco, Mexique)

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12)  The deep blue sea (Terence Davies, RU)

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13)  A perdre la raison (Joachim Lafosse, Belgique)

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14)  Oslo, 31 août (Joachim Trier, Norvège)

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15)  La vie sans principe (Johnnie To, HK)

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16)  Cesar doit mourir (Paolo et Vittorio Taviani, Italie)

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17)  In another country (Hong Sang-soo, Corée du Sud)

In

18)  Amour (Michael Haneke, Autriche / France)

Amour

19)  Cheval de guerre (Steven Spielberg, USA)

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20)  4h44 – Dernier jour sur terre (Abel Ferrara, USA)

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Ainsi s’achève le bilan de cette année 2012, sans doute un peu plus pauvre que celui de l’année 2011, exceptionnel. Toutefois, il y eut malgré tout beaucoup de films intéressants : il ne faut donc pas bouder notre plaisir !

En attendant l’année 2013, qui s’annonce d’ores et déjà sous de meilleurs auspices (Django unchained de Quentin Tarantino, The master de Paul Thomas Anderson, Zero dark thirty de Kathryn Bigelow, Blancanieves de Pablo Berger, Lincoln de Steven Spielberg, Happiness therapy de David O. Russell, Passion de Brian De Palma, La fille de nulle part de Jean-Claude Brisseau, La poussière du temps de Theo Angelopoulos,… sont déjà des films marquants).

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